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* Journaliste, agitateur culturel et témoin de son époque*


Haithem Haouel

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« Bord à bord » de Sahar el Echi : Eclat de vie
REVIEWS & CRITIQUES12 / 19 / 2025

« Bord à bord » de Sahar el Echi : Eclat de vie

Mounira s’abîme dans la grisaille d’un quotidien dur et austère pour gagner sa vie. En guise d’échappatoire, elle se retrouve tiraillée entre deux relations parallèles, vécues en dents de scie. A l’affiche du 5e film court de Sahar El Echi, un trio d’acteurs : Mariem Sayah, Mohamed Hassine Grayaâ et Aymen Mejri.


Il s’agit de sa première fiction courte, avec les ingrédients d’une trame dramatique captivante et les éléments nécessaires pour entraîner le spectateur dans une histoire, de « Bord à bord ». La jeune femme, silhouette frêle, préoccupée au quotidien par les aléas de la vie, tient incessamment à subvenir à ses besoins en vendant des fricassés dans la carcasse d’un wagon abandonné. Elle voit son quotidien écorché par la brutalité d’un homme écrasant et par la légèreté d’un 2e jeune homme, plus attentionné, attachant. Mounira tente de gérer son relationnel, doublement broyée par la rudesse du lieu dans lequel elle vit. Telle une fable, ou un conte des temps modernes, le film s’achève autrement…


Sahar El Echi fait du lieu un 4e personnage. Il s’agit d’une décharge d’anciens véhicules usés, située dans une zone pauvre. Y faire gambader ses personnages donne un ton distingué à son film. Une dimension qui raconte les difficultés d’une frange sociale du pays, délaissée, précaire, oubliée. Celle d’une classe sociale qui ne vit que pour casser sa croûte au jour le jour mais qui (sur)vit en dépit des difficultés d’ordre matériel, social, et a chassé les hostilités. Mounira vit dans un milieu extrêmement patriarcal, masculinisé et parvient à s’imposer en s’attachant à son bien ultime : son modeste commerce de vente de fricassés.


« Bord à bord » s’achève un peu trop vite, à l’instant T où on commence à se familiariser avec les personnages. Sur 18 min, les aspirations et les rêves d’une existence meilleure prennent le dessus, et forment un hymne à la vie et un appel à la conquête d’autres cieux. Rester, oui, ou pourquoi ne pas répondre à l’appel d’un «Partir» aussi ? «Bord à bord» ou «Al Haffa» continue sa tournée dans les festivals internationaux. Il a été projeté au «Red Sea Festival» et compte partir à l’affût d’autres compétitions. Dans cette 35e édition des Journées cinématographiques de Carthage, il est en compétition officielle des courts métrages de fiction. Sa réalisatrice Sahar El Echi a déjà, à son actif, 4 courts métrages : «In Between», «Correspondances», «Mutation» et «Manwella». Le dernier en date s’affranchit des essais expérimentaux, réalisés auparavant et s’impose dans un nouveau genre maîtrisé.

« Bord à bord » de Sahar el Echi : Eclat de vie
Aïcha Boubaker cofondatrice de « Hkeyet édition » : « Une culture en phase avec les mutations technologiques »
ENTRETIENS5 / 15 / 2025

Aïcha Boubaker cofondatrice de « Hkeyet édition » : « Une culture en phase avec les mutations technologiques »

De nos jours, fonder une maison d’édition peut s’avérer difficile, pourtant, Aïcha Boubaker, éditrice et communicatrice, a entamé à bras-le-corps le lancement de «Hkeyet édition» depuis 6 mois. Imbibée de récits nouveaux et soucieuse de la pérennité du livre, l’amoureuse des livres et des lettres n’est pas passée inaperçue lors de la 39e édition de la Foire internationale du livre, mais pas que… «Hkeyet édition» est visible sur les réseaux sociaux et puise dans le digital pour attirer lecteurs, mais aussi auteurs… confirmés et surtout émergeants. Focus !


L’équipe de « Hkeyet édition » mise sur des outils numériques innovants et sur le pouvoir du digital pour maximiser sa visibilité. Votre maison d’édition a été lancée en janvier 2025. Qu’avez-vous à nous dire sur ce démarrage ?


C’est voulu, en effet, de miser sur le numérique. La naissance de « Hkeyet » est récente. On ne savait même pas qu’on allait être à temps à la Filt (sourire), et qu’on allait pouvoir annoncer la parution d’ouvrages. Cette maison d’édition est née d’une rencontre entre deux visions : celle de mon père et de la mienne. « Hkeyet édition » est cofondée par mon père imprimeur, Mourad Boubaker, fondateur de « MIP Imprimerie », qui existe depuis plus de 30 ans. Je suis imprégnée par le monde du livre et des lettres depuis toujours. Également communicantrice, j’ai mis mon savoir en œuvre. Mon père et moi avons fusionné nos deux visions pour un projet qui est dans l’air du temps, tout en ayant une ligne éditoriale précise, celle des « Primo-auteurs ».


Pouvez-vous nous en dire plus sur votre ligne éditoriale ?


C’est celle qui vise à créer un terrain favorable aux personnes qui écrivent et qui ne savent pas ou ne trouvent pas où se faire publier. Pour le lancement, je cite l’exemple d’Ines Mghribi, Wassim Ayari, Oussama Kassabi, etc. Nous avons démarré avec 4 primo-auteurs et 13 parutions en tout. Beaucoup n’en sont pas à leur première publication. Je rencontre des gens qui écrivent partout. Ils méritent d’être mis en valeur. Une communication différente s’impose aussi.


Comment doit se faire cette communication ?


On doit miser sur les réseaux sociaux, le pouvoir du digital et les différents canaux des réseaux sociaux qui sont primordiaux. On dit souvent à tort, ici ou dans le monde, que « les jeunes n’aiment pas la culture et sont désintéressés ». C’est faux ! Les jeunes d’aujourd’hui ne se documentent pas de la même manière que les adultes de plus de 60 ans et ne se servent pas des mêmes outils. Même s’informer ou se cultiver se fait différemment d’une génération à une autre. Les podcasts et les youtubeurs n’ont rien à voir avec la télévision et la radio classique. Aucun des deux audimats ne fait ça vainement, ils agissent juste différemment. Pour mettre en valeur nos auteurs, nous allons vers le public, vers les book clubs, nous privilégions les échanges, les discussions, la proximité. On ne se contente pas uniquement des signatures ou des passages médias ! Il faut donner envie et susciter l’intérêt. A travers la magie du Net, je peux accéder à l’univers d’auteurs qui vivent n’importe où dans le monde. Le travail se fait en équipe qui est composée de mon associée Nour Bouaziz, moi-même, mon père, Fatma Chouraki et Walid Ferchichi, fondateur des Editions Arcadia.


Pour la sélection des textes et des écrivains, comment opérez-vous ?


Pour les primo-auteurs, ils se sont présentés en cherchant à se faire éditer. Beaucoup ont été retenus de bouche à oreille. Ça a marché et cela procure un grand sentiment de satisfaction. Une jeune étudiante s’est présentée à nous pendant la Filt et nous a confié vouloir se faire éditer. Elle a trois récits prêts. C’est très gratifiant. On a un comité de sélection et la qualité compte pour nous. Nous faisons des retours aux écrivains et cette interaction édifiante s’avérera fructueuse. C’est sûr.


Qu’avez-vous à dire à celles et ceux qui pensent que les jeunes de nos jours ne lisent plus ?


Ils sont déconnectés de la réalité. Les jeunes lisent, écrivent et produisent de différentes manières. Des créateurs de contenu culturel font fureur. Il faut leur tendre la main et j’ai besoin qu’on coopère toutes et tous ensemble. Nous vivons une ère qui bouillonne de talents. La culture doit être en phase avec les mutations technologiques de l’époque. Le pouvoir immense de la communication incite drastiquement à la lecture et à l’écriture. Il faut utiliser ces outils à bon escient, y compris l’Intelligence artificielle ou les liseuses. Nos livres sont aussi disponibles en version numérique, en ligne, grâce à « Clic 2 Read ».

Aïcha Boubaker cofondatrice de « Hkeyet édition » : « Une culture en phase avec les mutations technologiques »
Wassim Ayari, à propos de « Hob Kira » : « Je tiens à écrire en toute liberté »
ENTRETIENS5 / 12 / 2025

Wassim Ayari, à propos de « Hob Kira » : « Je tiens à écrire en toute liberté »

Il brille par sa couverture attrayante, rouge, criarde d’amour. L’ouvrage « Hob Kira » du jeune écrivain Wassim Ayari a drainé de jeunes curieux, lecteurs et visiteurs à la 39e édition de la Foire Internationale du livre de Tunis lors de sa première séance de dédicace-lancement. Nous ne connaissions pas l’auteur avant cette parution- évènement chez « Hkeyet édition ». Et nous nous sommes posé la question : Qui se cache derrière cette histoire d’amour, tissée en langue arabe ? Entretien avec Wassim Ayari.


«Hob Kira » est un des premiers romans parus aux éditions « Hkeyet ». Que pouvez-vous nous dire sur votre livre sans trop en dévoiler à nos lecteurs ?


Une mise dans l’univers s’impose ! Il s’agit d’une fusion entre réalité et imaginaire. J’ai édifié un monde qui m’est propre en puisant dans la réalité. Elle suit Wajdi, un jeune homme orphelin, qui lutte pour subvenir à ses besoins, en travaillant durement, jusqu’au jour où il apprend que son père est vivant. Il part à sa recherche et dans sa quête, il rencontre « Kira ». Je n’en dis pas plus ! (Sourire).


Peut-on en savoir plus sur le processus d’écriture et sa dynamique ?


C’est le fruit de nombreux essais d’écriture, qui se sont longtemps succédé et qui ont finalement abouti. Depuis le primaire, j’ai toujours aimé écrire et faire paraître un livre. Mon amour pour l’écriture est incommensurable.et pouvoir le faire était un rêve d’enfant. Je faisais des jets dans différents cahiers, en langue arabe. Quand j’ai quitté ma région natale « Makther », ma perception du monde a changé. Elle a grandi. Toujours sur PC, je n’ai cessé d’écrire, jusqu’à mon accident de voiture, qui n’a fait que m’encourager finalement, à terminer le roman. J’ai commencé à 17 ans à l’écrire et à le réécrire. Et depuis cette épreuve, je n’ai cessé d’écrire. En 2021, j’ai terminé « Hob Kira ».


Votre formation était pourtant scientifique au lycée…


Oui, spécialisé dans la « géologie ». Depuis toujours, je tiens à écrire en toute liberté.


Vous avez commencé par la grande porte : le roman long et non pas par des nouvelles. N’est-ce pas risqué ?


Quand je commence à écrire, je ne peux m’arrêter. Je ne sais pas si c’est positif ou négatif. (sourire). Le brouillon a atteint plus de 456 pages. Et pourquoi pas prochainement, je procéderai en tomes. C’est ma première Filt en mode écrivain. L’accueil du public a été exquis. Je suis content même je me considère comme un projet. J’use des réseaux sociaux, spécialement Facebook pour maintenir un lien avec les fans. Entretenir cette idée, c’est s’ouvrir sur le monde.

Wassim Ayari, à propos de « Hob Kira » : « Je tiens à écrire en toute liberté »
Sofiane Jaballah, auteur de « Devenir salafiste en Tunisie – Le comment du pourquoi » : « L’approche est explicative et compréhensive »
ENTRETIENS5 / 2 / 2025

Sofiane Jaballah, auteur de « Devenir salafiste en Tunisie – Le comment du pourquoi » : « L’approche est explicative et compréhensive »

Une étude académique réalisée en langue française a été publiée chez « Sud éditions » par Sofiane Jaballah, sociologue. Comme son titre le révèle, l’ouvrage « Devenir salafiste en Tunisie : le Comment du Pourquoi » revient sur le processus d’une radicalisation ou « d’une conversion » comme l’auteur le cite dans son synopsis. Il effectue un retour aux origines, une plongée temporelle dans le passé, jusqu’à nos jours. Sofiane Jaballah est aussi assistant à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sfax, il milite pour le développement des sciences humaines et sociales en Tunisie, enracinées empiriquement, décolonisées et engagées.


«Le Comment du Pourquoi» interpelle dans votre titre. Annoncez-vous décortiquer le salafisme ?


L’approche est explicative (le Comment ?) et compréhensive (le Pourquoi ?). Je pose les deux questions : le comment c’est la motivation individuelle, c’est le processus. La 2e partie est causale, c’est le phénomène par l’extérieur. L’humain a-t-il le choix de l’être ? Ou subit–il un déterminisme social ?


Quelle est la genèse de cette étude ?


C’est une thèse de doctorat et un article de revue publié dans la revue Ibla, qui ne s’adresse pas à un large public. A un lectorat qui peut être profane mais qui s’intéresse à la question religieuse, le fondamentalisme. L’objectif ambitieux du livre c’est de donner un processus commun de devenir «autre» : je les appelle, les trans comme les autres ou les trans-religieux. Comme les transclasss, transfuges. Le mot transmission, transition, trans-passé. Je suis dans la transposition. J’ai déjà élaboré des réflexions et des études sur plusieurs strates sociales, publiées dans des ouvrages, des articles, comme mon étude sur «Rue d’Espagne» ou la prochaine qui tournera autour des «Barbécha» et une autre sur les gardiens des parkings, le secteur de l’informel en Tunisie, qui émane du précariat et des zones exclues ou isolées.


Est–ce que le contexte international ou ce qu’on a connu auparavant au niveau national vous a poussé à publier cette étude ?


Bien sûr ! Dans le livre je consacre un chapitre à la «Sociologie de la sociologie », qui tente de préciser si j’étudie sur le salafisme ou si j’analyse mon rapport au salafisme. Tenter d’y faire face à travers la recherche ou s’ériger en sauveur… non ! J’ai choisi juste un sujet complexe et j’ai envie de le diffuser le plus possible et de le traduire. J’aimerais mieux faire connaître cette étude à travers des vidéos.

Sofiane Jaballah, auteur de « Devenir salafiste en Tunisie – Le comment du pourquoi » : « L’approche est explicative et compréhensive »
Les 5es Rencontres du théâtre arabe de Hanovre – Youness Atbane, artiste visuel, interprète : « L’exercice de la fiction est parfaitement collectif »
ENTRETIENS4 / 17 / 2025

Les 5es Rencontres du théâtre arabe de Hanovre – Youness Atbane, artiste visuel, interprète : « L’exercice de la fiction est parfaitement collectif »

Dans le cadre de la 5e rencontre du théâtre arabe à Hanovre, la découverte de l’auteur de « L’artiste imperméabilisé » s’est imposée par elle-même. Youness Atbane manie plusieurs disciplines artistiques, dû à son rapport précoce aux objets. Dès son plus jeune âge, il manie la matière, et développe au fil des années son savoir-faire jusqu’à en faire un support solide lui permettant d’interroger l’art contemporain et sa pérennité en 2025. A travers sa création « The waterproofed artist », il bouscule le langage scénique afin d’interroger pertinemment son public. Entretien.


Par Haithem Haouel : Envoyé Spécial à Hanovre (Allemagne)


Vous êtes artiste pluridisciplinaire, interprète. Vos performances en live fusionnent plusieurs arts de la scène dans le but de titiller la réflexion. C’est le cas dans « The waterproofed artist », présentée à l’occasion de la 5e rencontre du théâtre arabe d’Hanovre. C’est l’art contemporain que vous épinglez dans votre création …


J’appartiens à des disciplines multiples : l’art visuel et contemporain. Je me posais toujours la question : comment vais – je combiner les deux ? Ce style de lecture – performance est arrivé comme une solution au problème d’adaptation. Je me suis détaché de la galerie et de la scène classique. Ce que je vis en tant qu’artiste est devenu un sujet intéressant à traiter : le rapport avec les institutions, avec le politique, la géopolitique, les rapports de force : tout cela est devenu un espace intéressant à mettre en lumière pour le public. Ce qui se passe dans le monde de l’art visuel avec le marché de l’art, les tendances, les attentes d’une esthétique, de la narration… Tout m’a incité à conclure que le milieu de l’art comme sujet reste pour moi la meilleure façon de combiner les deux pratiques : les arts visuels et la danse. En même temps, c’est devenu un processus de travail. Quand je suis sur scène, je manipule l’objet. Etant originaire d’une famille de potiers, j’ai hérité de ce savoir. Une pratique qui me permet d’être entouré d’interprètes – objets, devenant de potentielles œuvres d’arts pour un projet d’exposition.


Alors, d’où émane la genèse de « The Waterproofed artist » ?


Elle est née d’une simple situation : ma présence à la Biennale de Venise sur place en 2011. On est dans un milieu où tous les pays s’exposent artistiquement … Je présentais une performance. Je vois les pays qui s’entre – critiquent, qui prônent l’universalisme dans une ville qui coule littéralement, polluée par une couche d’huile, et avec un pavillon palestinien qui a créé beaucoup de tension. C’est comme une géopolitique, en mini – monde, érigée sous mes yeux. Une situation qui m’a marqué, sans vouloir en faire une analyse. J’ai été par la suite confronté à des situations de postcolonialisme compliquées. C’est comme l’ancien exotisme qu’on est en train de combattre : celui qui nous renvoie à l’identité, aux origines, et qui pousse les artistes à créer uniquement dans une vision du sud, la leur. Ma création se passe en 2048, le grand déluge de Venise, avec son pavillon flottant qui se perd tout en montrant cette logique et vision occidentale. Une île palestinienne imaginée deviendra une terre sacrée, en référence à l’arche de Noé et dans le but d’entretenir l’espoir d’une paix, d’une solution. Même si on en est loin …


Quelle est la portée de votre propos ?


Cette question représente de nos jours l’extension de l’image postcoloniale, le cœur du postcolonialisme dans son rapport critique est lié à cette question. On a arrêté le colonialisme mais le postcolonialisme perdure toujours dans nos rapports avec une académie qui s’est détachée du peuple, qui s’est replié sur elle – même et qui ne s’adresse qu’à l’Occident. Je pense que si ce langage-là avait existé dans nos systèmes éducatifs, il y aurait eu moins de violence. Le discours du large public est tout autre. Les académiciens ont abandonné leurs peuples de suite de leur formation occidentale, et je vois ce rapport à la décolonialité, qui est adressé uniquement aux pouvoirs concernés qui les subventionnent. L’exemple de l’Afro- futurisme m’avait beaucoup inspiré. La conception futuriste offre un espace d’échange, d’espoir. J’utilise l’humour pour m’adresser directement au public. Quand on place une question dans le futur, le public suit plus facilement. Je me place en tant qu’artiste, et je place un chercheur académicien et deux curateurs.


Le métier de curateur a été épinglé dans votre création, comme beaucoup de métiers annexés à l’art …


Ces nouveaux artistes responsables. Les curateurs créent la légitimité, en sont responsables et éclipsent les artistes. Ils combinent l’académique et l’artistique. Artistes, académiciens et curateurs sont pointés du doigt. Dans une autre création, il y a aussi les directeurs de musées.


Dans vos accomplissements, est-ce que l’époque s’est imposée par elle-même ou est- ce dans la continuité de votre cheminement ?


Plutôt dans la continuité. Je fais partie des gens qui détestent entendre dire « Qu’avant, c’était meilleur ». C’est archi – faux. C’était la galère. Le rapport à l’époque, c’est quand avant, on l’a vécu, aujourd’hui, on est inquiets, et le futur est flou. Ce rapport à la nostalgie est placé en 2048, dans ma dernière création, comme un temps de paix après des années de conflits qui peuvent surgir à tout moment. L’exercice de la fiction est parfaitement collectif. Les gens projettent leur propre fiction, sous différentes visions. Cet exercice de disponibilité permet d’émettre des propos différents.


Comment auriez-vous aimé que les gens rebondissent autrement que de se réfugier dans le passé ou la nostalgie ?


C’est justement faire appel à l’imaginaire et pratiquer la fiction. Ils ne peuvent que s’y plaire. Ils adorent puisqu’ils sont imprégnés par le cinéma, la littérature et sont habitués à l’imaginaire. C’est leur imagination qui est entretenue. Je n’apporte pas de réponse, je pose un exercice et c’est au public d’interpréter. C’est mon 5e projet autour de la fiction et c’est très satisfaisant.


D’où est-ce que découle cette métaphore autour de « l’artiste imperméabilisé », titre intrigant de votre création ?


Elle émane des artistes du sud de la Méditerranée qui s’adressent au nord. Le débat se fait dans la Méditerranée et il faudrait être imperméable. Ils peuvent nager dans la Méditerranée et assurer ce débat et pour le garantir il faut être imperméable et ne pas couler ou être atteint. C’est une image métaphorique qui reflète le débat lourd en cours et dénonce le rapport de pouvoir entre les deux pôles. La scène est une thérapie pour moi. Elle nous permet d’avoir du recul et c’est un espace qu’on augmente et qu’on contrôle.


Vous, qui êtes artiste des deux rives, quelle résonnance a votre travail, à Casablanca, votre ville d’origine et en Europe ?


Je me découvre actuellement, tout en ne parvenant pas à trouver de réponse : quand je présente une création au Maroc, je le fais avec le dialecte marocain et quand je suis en Europe, je le fais en anglais ou en français. Quand je finis le spectacle, je reçois ce spectateur lambda, qui me dit que ton texte, « tu l’as fait dans telle ou telle langue parce l’autre côté va le lire de la sorte et vice-versa ? ». Le fait que le public commence à créer une idée sur l’autre, ce n’est plus un rapport de dominé / dominant, c’est ce que pense ou perçoit l’autre qui compte. Je suis surpris et je ne sais comment agir dans les deux côtés. La crise se cristallise et le schisme avec. C’est une matière à creuser pour les académiciens.

Les 5es Rencontres du théâtre arabe de Hanovre – Youness Atbane, artiste visuel, interprète : « L’exercice de la fiction est parfaitement collectif »
5es Rencontre du théâtre arabe de Hanovre – « Cosmos » d’Ashtar Muallem et Clément Dazin : Humour cosmique
REVIEWS & CRITIQUES4 / 17 / 2025

5es Rencontre du théâtre arabe de Hanovre – « Cosmos » d’Ashtar Muallem et Clément Dazin : Humour cosmique

Découvrir l’artiste circassienne Ashtar Muallem fait l’effet d’une collision céleste dans une salle de spectacle obscure, celle du Pavillon d’Hanovre. Aménagée et scénographiée sur mesure, la scène est prête à lui laisser libre cours d’effectuer pirouettes, mouvements corporels, danse et dialogues humoristiques. « Cosmos » brouille les limites entre plusieurs disciplines et traite avec beaucoup d’humour, d’une thématique lourde : la Palestine occupée depuis 1948.

Par Haithem Haouel, Envoyé Spécial à Hanovre (Allemagne)

L’artiste, sous les feux d’un projecteur, jambes croisées ou en mouvement, se tient au pied d’un tissu en blanc suspendu, du toit jusqu’au sol. Ashtar le manie comme elle manierait un organe. Ce fil, c’est son extension le temps d’une performance certes physique, mais qui reste profondément parlante. « Cosmos » est une œuvre révélatrice d’anecdotes personnelles, passionnantes, vécues sous la colonisation sioniste, au fil des décennies oppressantes. Avec une lucidité mêlée à une pointe d’humour, l’artiste manie le verbal comme elle manie son corps : avec une grande souplesse.


Quoi de plus efficace que l’humour pour inviter à la réflexion ? Braquer les projecteurs sur un sujet pesant peut se faire d’une manière scénique, insolite, tout en suscitant le rire intelligent. Le tragique broye, marque et peut être répulsif. L’humour, lui, retient de bout en bout le spectateur.


Muallem défie la gravité avec force et aisance remarquable. Sa performance solaire électrifie la salle. « Etant née avec quelques flexibilités corporelles, j’ai dû les mettre à bon escient, et au service de l’art », précise l’artiste lors d’un panel. «Tout en vouant un intérêt au yoga, à la méditation et en me faisant aider par Youtube (Rire) ». Commente-t-elle, toujours avec un sens de l’humour inégalé.


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Ashtar est née et a grandi dans une école de théâtre fondée en Palestine, de parents acteurs de théâtre et fondateurs de l’espace. L’artiste vit dans un milieu qui lui a permis d’affiner ces techniques et de perfectionner son art scénique. Très vite, elle a été repérée par Clément Dazin, artiste de cirque, qui l’invite à collaborer ensemble, autour d’une création improvisée … réalisée en trois semaines. Depuis, le travail à deux continue. « Cosmos », créée après la pandémie, a tourné en France, mais Ashtar a tenu à la présenter en Palestine. « Heureusement que j’ai j’ai pu la présenter quelques fois, en Palestine. J’y tenais».


Toujours à propos de « Cosmos », au moins deux versions ont été réalisées dont une qui évoquait davantage l’aspect religieux, compliqué à faire tourner dans le monde arabe. Faire appel à l’imaginaire humoristique, c’est tenter de traiter de l’époque et de ses aléas, titiller l’humain, l’entretenir intelligemment et esquiver la noirceur. C’est rendre le politique malléable et drôle, ce qui n’est pas un travail mince à faire. «Si je suis la lumière qui est en moi, elle m’éloignera de l’obscurité. Ne pas être intimidé par toute la laideur qui nous entoure est vital donc brillons… surtout ! », conclut-elle.

5es Rencontre du théâtre arabe de Hanovre – « Cosmos » d’Ashtar Muallem et Clément Dazin : Humour cosmique
Haithem Haouel

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