* Journaliste, agitateur culturel et témoin de son époque*
Pour son 2 ème livre « Les coups de minuit » paru aux éditions Arabesques en 2025, le jeune auteur Aziz Dridi tisse pour son lectorat une intrigue sombre, captivante, à l’écriture cinématographique.
Dans « Les coups de Minuit », deux allures d’hommes debout font la couverture du livre, digne de l’affiche d’un film d’action rétro, mais très curieuse. D’emblée, le lecteur fait la connaissance de Youssef, policier et de Taher, boxeur. Le premier mène une investigation dans un club de boxe clandestin et forcément intrigant, véritable bourbier de brutalité. Le 2 ème est Taher qui est féru de sport de combat, personnage esquissé au vécu mystérieux et au charisme qui ne laisse pas de marbre. Ce dernier canalise sa brutalité dans cet espace de boxe, faisant face à sa manière et au quotidien, aux aléas de la vie.
L’intrigue est annonciatrice de deux destins qui vont s’entrechoquer, laissant ainsi des péripéties surgir. L’enquête fructueuse sur ce club de boxe aux dessous troubles, commencent à porter ses fruits et les révélations finissent par jaillir…
« Les coups de minuit » est un modeste essai littéraire, fort de son style d’écriture concis et précis, dénué de bavardise. Le lecteur ne tarde pas à se familiariser aux personnages et à créer un lien, avec eux au fil des pages, malgré la complexité qui les enveloppe, leur caractère peu avenant. Les deux hommes fictifs, au centre de l’intrigue, nourrissent le mystère et l’intrigue au fil d’actions et de tournures inattendues. « Les coups de minuit » se lit d’une seule traite et entraine le lecteur dans un monde, qui rappelle dans la forme, celui de « Fight Club », chef d’œuvre du 7 ème art, signé David Fincher, avec Brad Pitt et Edward Norton, sorti en 1999.
Bien plus abouti que « L’homme qui voyait demain », le premier livre d’Aziz Dridi, paru aussi chez Arabesques, le jeune écrivain nous livre une intrigue à rebondissements, forte de son écriture maitrisée. Aziz Dridi entame son 3 ème livre. Le jeune écrivain montant, est initialement étudiant en chimie industrielle à l’INSAT. Sa passion pour les lettres et la publication ne cesse de croître. « Les coups de minuit » est en vente en ligne sur ceresbookshop ou dans les librairies et points de vente de livre en Tunisie.
Dans « Every-Body-Knows-What-Tomorrow-Brings-And-We-All-Know- What-Happened-Yesterday », Mohamed Toukabri a interpellé son public sur la scène des Hivernales – CDCN D’Avignon durant 10 dates successives : L’œuvre transcende les frontières et s’adresse à l’humain dans sa dimension multiple… avec l’appui de mots « Coups de poing ».
Par Haithem Haouel, Envoyé spécial au festival d’Avignon
La danse, c’est ce langage du corps qui peut s’avérer encore plus expressif que la parole. Cette performance de 50 min, signée par le chorégraphe tuniso-belge reste en partie hybride car elle dose texte engagée, écrit par la metteure en scène et dramaturge Essia Jaïbi et les mouvements scéniques justes de l’artiste danseur.
Une performance renforcée par la pertinence des paroles et expressions, lues à haute voix, parfois affichées. Des phrases trilingues, tantôt complètes ou fragmentées surgissent en anglais, en français et en langue arabe. L’arabe qui est à l’honneur en 2025 au festival d’Avignon en tant que langue vedette, révélatrice des origines tunisiennes de l’artiste chorégraphe.
Une esthétique parlante de la danse
Ce solo oscille entre danse contemporaine et hip-hop, en référence à la formation de l’artiste, ses précédents accomplissements, ses origines. Sensible à l’appropriation de l’espace urbain par l’art, Mohamed Touakbri, cerne à quel point la danse, spécialement l’ « Urban dance », peut faire écho chez les jeunes ou chez un public plus large tout en questionnant souvent la citoyenneté, l’autorité, l’affranchissement des barrières. La danse comme arme de résistance, de lutte, d’expressions, prend son sens dans ce récit chorégraphique, qui reste singulier et qui s’inscrit dans une histoire commune, collective. L’importance de la mémoire collective et sa transmission sont l’axe central de l’œuvre. Le titre long en langue anglaise est révélateur d’une narrative.
« Chacune et chacun sait ce que demain apporte et nous savons tous ce qui s'est passé hier ». Titre qui titille les mots et leur sens, évoque une temporalité longue en interrogeant le présent, en partant du passé tout en tentant (En vain ?) de se projeter dans un avenir forcément brouillé. Le mot « Everybody » exprime, à la fois, la pluralité mais peut signifier aussi « Chaque corps », si on le divise. Dans cette temporalité, c’est la place de la danse, son évolution, son appropriation au fil des générations qui est questionnée.
L’esthétique de la performance suscite l’intérêt, de par sa musique, celle du « Sampling », ou le fait d’écouter des sons rythmés et décomposés. Un travail sur le son, qui a été minutieusement orchestré par Annalena Fröhlich. Les habits travaillés et arborés par l’artiste au fil de sa performance, renforcent la dimension esthétique. Les costumes sont signés Magali Grégoir. Ce qui est perceptible et visible à l’œil nue, est accentué par la noirceur du lieu, ses murs sombres, son écran, reflet d’écrits éphémères.
A travers cette dernière création en date de Toukabri, une chronique de la danse -son histoire, son évolution, sa perpétuelle transmission- est narrée. L’art dansant du chorégraphe peut puiser dans une époque, celle d’un pays, un contexte précis, tout comme il peut tracer le personnel : un parcours frayé, entre deux rives, ses aléas, et sa complexité. La question du corps – archive reste centrale. La création fait partie de la sélection IN du prestigieux festival d’Avignon et s’est jouée à guichets fermés.
De nos jours, fonder une maison d’édition peut s’avérer difficile, pourtant, Aïcha Boubaker, éditrice et communicatrice, a entamé à bras-le-corps le lancement de «Hkeyet édition» depuis 6 mois. Imbibée de récits nouveaux et soucieuse de la pérennité du livre, l’amoureuse des livres et des lettres n’est pas passée inaperçue lors de la 39e édition de la Foire internationale du livre, mais pas que… «Hkeyet édition» est visible sur les réseaux sociaux et puise dans le digital pour attirer lecteurs, mais aussi auteurs… confirmés et surtout émergeants. Focus !
L’équipe de « Hkeyet édition » mise sur des outils numériques innovants et sur le pouvoir du digital pour maximiser sa visibilité. Votre maison d’édition a été lancée en janvier 2025. Qu’avez-vous à nous dire sur ce démarrage ?
C’est voulu, en effet, de miser sur le numérique. La naissance de « Hkeyet » est récente. On ne savait même pas qu’on allait être à temps à la Filt (sourire), et qu’on allait pouvoir annoncer la parution d’ouvrages. Cette maison d’édition est née d’une rencontre entre deux visions : celle de mon père et de la mienne. « Hkeyet édition » est cofondée par mon père imprimeur, Mourad Boubaker, fondateur de « MIP Imprimerie », qui existe depuis plus de 30 ans. Je suis imprégnée par le monde du livre et des lettres depuis toujours. Également communicantrice, j’ai mis mon savoir en œuvre. Mon père et moi avons fusionné nos deux visions pour un projet qui est dans l’air du temps, tout en ayant une ligne éditoriale précise, celle des « Primo-auteurs ».
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre ligne éditoriale ?
C’est celle qui vise à créer un terrain favorable aux personnes qui écrivent et qui ne savent pas ou ne trouvent pas où se faire publier. Pour le lancement, je cite l’exemple d’Ines Mghribi, Wassim Ayari, Oussama Kassabi, etc. Nous avons démarré avec 4 primo-auteurs et 13 parutions en tout. Beaucoup n’en sont pas à leur première publication. Je rencontre des gens qui écrivent partout. Ils méritent d’être mis en valeur. Une communication différente s’impose aussi.
Comment doit se faire cette communication ?
On doit miser sur les réseaux sociaux, le pouvoir du digital et les différents canaux des réseaux sociaux qui sont primordiaux. On dit souvent à tort, ici ou dans le monde, que « les jeunes n’aiment pas la culture et sont désintéressés ». C’est faux ! Les jeunes d’aujourd’hui ne se documentent pas de la même manière que les adultes de plus de 60 ans et ne se servent pas des mêmes outils. Même s’informer ou se cultiver se fait différemment d’une génération à une autre. Les podcasts et les youtubeurs n’ont rien à voir avec la télévision et la radio classique. Aucun des deux audimats ne fait ça vainement, ils agissent juste différemment. Pour mettre en valeur nos auteurs, nous allons vers le public, vers les book clubs, nous privilégions les échanges, les discussions, la proximité. On ne se contente pas uniquement des signatures ou des passages médias ! Il faut donner envie et susciter l’intérêt. A travers la magie du Net, je peux accéder à l’univers d’auteurs qui vivent n’importe où dans le monde. Le travail se fait en équipe qui est composée de mon associée Nour Bouaziz, moi-même, mon père, Fatma Chouraki et Walid Ferchichi, fondateur des Editions Arcadia.
Pour la sélection des textes et des écrivains, comment opérez-vous ?
Pour les primo-auteurs, ils se sont présentés en cherchant à se faire éditer. Beaucoup ont été retenus de bouche à oreille. Ça a marché et cela procure un grand sentiment de satisfaction. Une jeune étudiante s’est présentée à nous pendant la Filt et nous a confié vouloir se faire éditer. Elle a trois récits prêts. C’est très gratifiant. On a un comité de sélection et la qualité compte pour nous. Nous faisons des retours aux écrivains et cette interaction édifiante s’avérera fructueuse. C’est sûr.
Qu’avez-vous à dire à celles et ceux qui pensent que les jeunes de nos jours ne lisent plus ?
Ils sont déconnectés de la réalité. Les jeunes lisent, écrivent et produisent de différentes manières. Des créateurs de contenu culturel font fureur. Il faut leur tendre la main et j’ai besoin qu’on coopère toutes et tous ensemble. Nous vivons une ère qui bouillonne de talents. La culture doit être en phase avec les mutations technologiques de l’époque. Le pouvoir immense de la communication incite drastiquement à la lecture et à l’écriture. Il faut utiliser ces outils à bon escient, y compris l’Intelligence artificielle ou les liseuses. Nos livres sont aussi disponibles en version numérique, en ligne, grâce à « Clic 2 Read ».
Il brille par sa couverture attrayante, rouge, criarde d’amour. L’ouvrage « Hob Kira » du jeune écrivain Wassim Ayari a drainé de jeunes curieux, lecteurs et visiteurs à la 39e édition de la Foire Internationale du livre de Tunis lors de sa première séance de dédicace-lancement. Nous ne connaissions pas l’auteur avant cette parution- évènement chez « Hkeyet édition ». Et nous nous sommes posé la question : Qui se cache derrière cette histoire d’amour, tissée en langue arabe ? Entretien avec Wassim Ayari.
«Hob Kira » est un des premiers romans parus aux éditions « Hkeyet ». Que pouvez-vous nous dire sur votre livre sans trop en dévoiler à nos lecteurs ?
Une mise dans l’univers s’impose ! Il s’agit d’une fusion entre réalité et imaginaire. J’ai édifié un monde qui m’est propre en puisant dans la réalité. Elle suit Wajdi, un jeune homme orphelin, qui lutte pour subvenir à ses besoins, en travaillant durement, jusqu’au jour où il apprend que son père est vivant. Il part à sa recherche et dans sa quête, il rencontre « Kira ». Je n’en dis pas plus ! (Sourire).
Peut-on en savoir plus sur le processus d’écriture et sa dynamique ?
C’est le fruit de nombreux essais d’écriture, qui se sont longtemps succédé et qui ont finalement abouti. Depuis le primaire, j’ai toujours aimé écrire et faire paraître un livre. Mon amour pour l’écriture est incommensurable.et pouvoir le faire était un rêve d’enfant. Je faisais des jets dans différents cahiers, en langue arabe. Quand j’ai quitté ma région natale « Makther », ma perception du monde a changé. Elle a grandi. Toujours sur PC, je n’ai cessé d’écrire, jusqu’à mon accident de voiture, qui n’a fait que m’encourager finalement, à terminer le roman. J’ai commencé à 17 ans à l’écrire et à le réécrire. Et depuis cette épreuve, je n’ai cessé d’écrire. En 2021, j’ai terminé « Hob Kira ».
Votre formation était pourtant scientifique au lycée…
Oui, spécialisé dans la « géologie ». Depuis toujours, je tiens à écrire en toute liberté.
Vous avez commencé par la grande porte : le roman long et non pas par des nouvelles. N’est-ce pas risqué ?
Quand je commence à écrire, je ne peux m’arrêter. Je ne sais pas si c’est positif ou négatif. (sourire). Le brouillon a atteint plus de 456 pages. Et pourquoi pas prochainement, je procéderai en tomes. C’est ma première Filt en mode écrivain. L’accueil du public a été exquis. Je suis content même je me considère comme un projet. J’use des réseaux sociaux, spécialement Facebook pour maintenir un lien avec les fans. Entretenir cette idée, c’est s’ouvrir sur le monde.
Une étude académique réalisée en langue française a été publiée chez « Sud éditions » par Sofiane Jaballah, sociologue. Comme son titre le révèle, l’ouvrage « Devenir salafiste en Tunisie : le Comment du Pourquoi » revient sur le processus d’une radicalisation ou « d’une conversion » comme l’auteur le cite dans son synopsis. Il effectue un retour aux origines, une plongée temporelle dans le passé, jusqu’à nos jours. Sofiane Jaballah est aussi assistant à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sfax, il milite pour le développement des sciences humaines et sociales en Tunisie, enracinées empiriquement, décolonisées et engagées.
«Le Comment du Pourquoi» interpelle dans votre titre. Annoncez-vous décortiquer le salafisme ?
L’approche est explicative (le Comment ?) et compréhensive (le Pourquoi ?). Je pose les deux questions : le comment c’est la motivation individuelle, c’est le processus. La 2e partie est causale, c’est le phénomène par l’extérieur. L’humain a-t-il le choix de l’être ? Ou subit–il un déterminisme social ?
Quelle est la genèse de cette étude ?
C’est une thèse de doctorat et un article de revue publié dans la revue Ibla, qui ne s’adresse pas à un large public. A un lectorat qui peut être profane mais qui s’intéresse à la question religieuse, le fondamentalisme. L’objectif ambitieux du livre c’est de donner un processus commun de devenir «autre» : je les appelle, les trans comme les autres ou les trans-religieux. Comme les transclasss, transfuges. Le mot transmission, transition, trans-passé. Je suis dans la transposition. J’ai déjà élaboré des réflexions et des études sur plusieurs strates sociales, publiées dans des ouvrages, des articles, comme mon étude sur «Rue d’Espagne» ou la prochaine qui tournera autour des «Barbécha» et une autre sur les gardiens des parkings, le secteur de l’informel en Tunisie, qui émane du précariat et des zones exclues ou isolées.
Est–ce que le contexte international ou ce qu’on a connu auparavant au niveau national vous a poussé à publier cette étude ?
Bien sûr ! Dans le livre je consacre un chapitre à la «Sociologie de la sociologie », qui tente de préciser si j’étudie sur le salafisme ou si j’analyse mon rapport au salafisme. Tenter d’y faire face à travers la recherche ou s’ériger en sauveur… non ! J’ai choisi juste un sujet complexe et j’ai envie de le diffuser le plus possible et de le traduire. J’aimerais mieux faire connaître cette étude à travers des vidéos.
Dans le cadre de la 5e rencontre du théâtre arabe à Hanovre, la découverte de l’auteur de « L’artiste imperméabilisé » s’est imposée par elle-même. Youness Atbane manie plusieurs disciplines artistiques, dû à son rapport précoce aux objets. Dès son plus jeune âge, il manie la matière, et développe au fil des années son savoir-faire jusqu’à en faire un support solide lui permettant d’interroger l’art contemporain et sa pérennité en 2025. A travers sa création « The waterproofed artist », il bouscule le langage scénique afin d’interroger pertinemment son public. Entretien.
Par Haithem Haouel : Envoyé Spécial à Hanovre (Allemagne)
Vous êtes artiste pluridisciplinaire, interprète. Vos performances en live fusionnent plusieurs arts de la scène dans le but de titiller la réflexion. C’est le cas dans « The waterproofed artist », présentée à l’occasion de la 5e rencontre du théâtre arabe d’Hanovre. C’est l’art contemporain que vous épinglez dans votre création …
J’appartiens à des disciplines multiples : l’art visuel et contemporain. Je me posais toujours la question : comment vais – je combiner les deux ? Ce style de lecture – performance est arrivé comme une solution au problème d’adaptation. Je me suis détaché de la galerie et de la scène classique. Ce que je vis en tant qu’artiste est devenu un sujet intéressant à traiter : le rapport avec les institutions, avec le politique, la géopolitique, les rapports de force : tout cela est devenu un espace intéressant à mettre en lumière pour le public. Ce qui se passe dans le monde de l’art visuel avec le marché de l’art, les tendances, les attentes d’une esthétique, de la narration… Tout m’a incité à conclure que le milieu de l’art comme sujet reste pour moi la meilleure façon de combiner les deux pratiques : les arts visuels et la danse. En même temps, c’est devenu un processus de travail. Quand je suis sur scène, je manipule l’objet. Etant originaire d’une famille de potiers, j’ai hérité de ce savoir. Une pratique qui me permet d’être entouré d’interprètes – objets, devenant de potentielles œuvres d’arts pour un projet d’exposition.
Alors, d’où émane la genèse de « The Waterproofed artist » ?
Elle est née d’une simple situation : ma présence à la Biennale de Venise sur place en 2011. On est dans un milieu où tous les pays s’exposent artistiquement … Je présentais une performance. Je vois les pays qui s’entre – critiquent, qui prônent l’universalisme dans une ville qui coule littéralement, polluée par une couche d’huile, et avec un pavillon palestinien qui a créé beaucoup de tension. C’est comme une géopolitique, en mini – monde, érigée sous mes yeux. Une situation qui m’a marqué, sans vouloir en faire une analyse. J’ai été par la suite confronté à des situations de postcolonialisme compliquées. C’est comme l’ancien exotisme qu’on est en train de combattre : celui qui nous renvoie à l’identité, aux origines, et qui pousse les artistes à créer uniquement dans une vision du sud, la leur. Ma création se passe en 2048, le grand déluge de Venise, avec son pavillon flottant qui se perd tout en montrant cette logique et vision occidentale. Une île palestinienne imaginée deviendra une terre sacrée, en référence à l’arche de Noé et dans le but d’entretenir l’espoir d’une paix, d’une solution. Même si on en est loin …
Quelle est la portée de votre propos ?
Cette question représente de nos jours l’extension de l’image postcoloniale, le cœur du postcolonialisme dans son rapport critique est lié à cette question. On a arrêté le colonialisme mais le postcolonialisme perdure toujours dans nos rapports avec une académie qui s’est détachée du peuple, qui s’est replié sur elle – même et qui ne s’adresse qu’à l’Occident. Je pense que si ce langage-là avait existé dans nos systèmes éducatifs, il y aurait eu moins de violence. Le discours du large public est tout autre. Les académiciens ont abandonné leurs peuples de suite de leur formation occidentale, et je vois ce rapport à la décolonialité, qui est adressé uniquement aux pouvoirs concernés qui les subventionnent. L’exemple de l’Afro- futurisme m’avait beaucoup inspiré. La conception futuriste offre un espace d’échange, d’espoir. J’utilise l’humour pour m’adresser directement au public. Quand on place une question dans le futur, le public suit plus facilement. Je me place en tant qu’artiste, et je place un chercheur académicien et deux curateurs.
Le métier de curateur a été épinglé dans votre création, comme beaucoup de métiers annexés à l’art …
Ces nouveaux artistes responsables. Les curateurs créent la légitimité, en sont responsables et éclipsent les artistes. Ils combinent l’académique et l’artistique. Artistes, académiciens et curateurs sont pointés du doigt. Dans une autre création, il y a aussi les directeurs de musées.
Dans vos accomplissements, est-ce que l’époque s’est imposée par elle-même ou est- ce dans la continuité de votre cheminement ?
Plutôt dans la continuité. Je fais partie des gens qui détestent entendre dire « Qu’avant, c’était meilleur ». C’est archi – faux. C’était la galère. Le rapport à l’époque, c’est quand avant, on l’a vécu, aujourd’hui, on est inquiets, et le futur est flou. Ce rapport à la nostalgie est placé en 2048, dans ma dernière création, comme un temps de paix après des années de conflits qui peuvent surgir à tout moment. L’exercice de la fiction est parfaitement collectif. Les gens projettent leur propre fiction, sous différentes visions. Cet exercice de disponibilité permet d’émettre des propos différents.
Comment auriez-vous aimé que les gens rebondissent autrement que de se réfugier dans le passé ou la nostalgie ?
C’est justement faire appel à l’imaginaire et pratiquer la fiction. Ils ne peuvent que s’y plaire. Ils adorent puisqu’ils sont imprégnés par le cinéma, la littérature et sont habitués à l’imaginaire. C’est leur imagination qui est entretenue. Je n’apporte pas de réponse, je pose un exercice et c’est au public d’interpréter. C’est mon 5e projet autour de la fiction et c’est très satisfaisant.
D’où est-ce que découle cette métaphore autour de « l’artiste imperméabilisé », titre intrigant de votre création ?
Elle émane des artistes du sud de la Méditerranée qui s’adressent au nord. Le débat se fait dans la Méditerranée et il faudrait être imperméable. Ils peuvent nager dans la Méditerranée et assurer ce débat et pour le garantir il faut être imperméable et ne pas couler ou être atteint. C’est une image métaphorique qui reflète le débat lourd en cours et dénonce le rapport de pouvoir entre les deux pôles. La scène est une thérapie pour moi. Elle nous permet d’avoir du recul et c’est un espace qu’on augmente et qu’on contrôle.
Vous, qui êtes artiste des deux rives, quelle résonnance a votre travail, à Casablanca, votre ville d’origine et en Europe ?
Je me découvre actuellement, tout en ne parvenant pas à trouver de réponse : quand je présente une création au Maroc, je le fais avec le dialecte marocain et quand je suis en Europe, je le fais en anglais ou en français. Quand je finis le spectacle, je reçois ce spectateur lambda, qui me dit que ton texte, « tu l’as fait dans telle ou telle langue parce l’autre côté va le lire de la sorte et vice-versa ? ». Le fait que le public commence à créer une idée sur l’autre, ce n’est plus un rapport de dominé / dominant, c’est ce que pense ou perçoit l’autre qui compte. Je suis surpris et je ne sais comment agir dans les deux côtés. La crise se cristallise et le schisme avec. C’est une matière à creuser pour les académiciens.
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