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 « Les coups de minuit » d’Aziz Dridi – Editions Arabesques :  A la croisée des destins
REVIEWS & CRITIQUES7 / 24 / 2025

« Les coups de minuit » d’Aziz Dridi – Editions Arabesques : A la croisée des destins

Pour son 2 ème livre « Les coups de minuit » paru aux éditions Arabesques en 2025, le jeune auteur Aziz Dridi tisse pour son lectorat une intrigue sombre, captivante, à l’écriture cinématographique.


Dans « Les coups de Minuit », deux allures d’hommes debout font la couverture du livre, digne de l’affiche d’un film d’action rétro, mais très curieuse. D’emblée, le lecteur fait la connaissance de Youssef, policier et de Taher, boxeur. Le premier mène une investigation dans un club de boxe clandestin et forcément intrigant, véritable bourbier de brutalité. Le 2 ème est Taher qui est féru de sport de combat, personnage esquissé au vécu mystérieux et au charisme qui ne laisse pas de marbre. Ce dernier canalise sa brutalité dans cet espace de boxe, faisant face à sa manière et au quotidien, aux aléas de la vie.


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L’intrigue est annonciatrice de deux destins qui vont s’entrechoquer, laissant ainsi des péripéties surgir. L’enquête fructueuse sur ce club de boxe aux dessous troubles, commencent à porter ses fruits et les révélations finissent par jaillir…


« Les coups de minuit » est un modeste essai littéraire, fort de son style d’écriture concis et précis, dénué de bavardise. Le lecteur ne tarde pas à se familiariser aux personnages et à créer un lien, avec eux au fil des pages, malgré la complexité qui les enveloppe, leur caractère peu avenant. Les deux hommes fictifs, au centre de l’intrigue, nourrissent le mystère et l’intrigue au fil d’actions et de tournures inattendues. « Les coups de minuit » se lit d’une seule traite et entraine le lecteur dans un monde, qui rappelle dans la forme, celui de « Fight Club », chef d’œuvre du 7 ème art, signé David Fincher, avec Brad Pitt et Edward Norton, sorti en 1999.


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Bien plus abouti que « L’homme qui voyait demain », le premier livre d’Aziz Dridi, paru aussi chez Arabesques, le jeune écrivain nous livre une intrigue à rebondissements, forte de son écriture maitrisée. Aziz Dridi entame son 3 ème livre. Le jeune écrivain montant, est initialement étudiant en chimie industrielle à l’INSAT. Sa passion pour les lettres et la publication ne cesse de croître. « Les coups de minuit » est en vente en ligne sur ceresbookshop ou dans les librairies et points de vente de livre en Tunisie.


  • Haithem Haouel
« Les coups de minuit » d’Aziz Dridi – Editions Arabesques : A la croisée des destins
« Every-Body-Knows-What-… » de Mohamed Toukabri :  Un solo performatif engagé
REVIEWS & CRITIQUES7 / 23 / 2025

« Every-Body-Knows-What-… » de Mohamed Toukabri : Un solo performatif engagé

Dans « Every-Body-Knows-What-Tomorrow-Brings-And-We-All-Know- What-Happened-Yesterday », Mohamed Toukabri a interpellé son public sur la scène des Hivernales – CDCN D’Avignon durant 10 dates successives : L’œuvre transcende les frontières et s’adresse à l’humain dans sa dimension multiple… avec l’appui de mots « Coups de poing ».


Par Haithem Haouel, Envoyé spécial au festival d’Avignon


La danse, c’est ce langage du corps qui peut s’avérer encore plus expressif que la parole. Cette performance de 50 min, signée par le chorégraphe tuniso-belge reste en partie hybride car elle dose texte engagée, écrit par la metteure en scène et dramaturge Essia Jaïbi et les mouvements scéniques justes de l’artiste danseur.


Une performance renforcée par la pertinence des paroles et expressions, lues à haute voix, parfois affichées. Des phrases trilingues, tantôt complètes ou fragmentées surgissent en anglais, en français et en langue arabe. L’arabe qui est à l’honneur en 2025 au festival d’Avignon en tant que langue vedette, révélatrice des origines tunisiennes de l’artiste chorégraphe.


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Une esthétique parlante de la danse 


Ce solo oscille entre danse contemporaine et hip-hop, en référence à la formation de l’artiste, ses précédents accomplissements, ses origines. Sensible à l’appropriation de l’espace urbain par l’art, Mohamed Touakbri, cerne à quel point la danse, spécialement l’ « Urban dance », peut faire écho chez les jeunes ou chez un public plus large tout en questionnant souvent la citoyenneté, l’autorité, l’affranchissement des barrières. La danse comme arme de résistance, de lutte, d’expressions, prend son sens dans ce récit chorégraphique, qui reste singulier et qui s’inscrit dans une histoire commune, collective. L’importance de la mémoire collective et sa transmission sont l’axe central de l’œuvre. Le titre long en langue anglaise est révélateur d’une narrative.


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« Chacune et chacun sait ce que demain apporte et nous savons tous ce qui s'est passé hier ». Titre qui titille les mots et leur sens, évoque une temporalité longue en interrogeant le présent, en partant du passé tout en tentant (En vain ?) de se projeter dans un avenir forcément brouillé. Le mot « Everybody » exprime, à la fois, la pluralité mais peut signifier aussi « Chaque corps », si on le divise. Dans cette temporalité, c’est la place de la danse, son évolution, son appropriation au fil des générations qui est questionnée.


L’esthétique de la performance suscite l’intérêt, de par sa musique, celle du « Sampling », ou le fait d’écouter des sons rythmés et décomposés. Un travail sur le son, qui a été minutieusement orchestré par Annalena Fröhlich. Les habits travaillés et arborés par l’artiste au fil de sa performance, renforcent la dimension esthétique. Les costumes sont signés Magali Grégoir. Ce qui est perceptible et visible à l’œil nue, est accentué par la noirceur du lieu, ses murs sombres, son écran, reflet d’écrits éphémères.


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A travers cette dernière création en date de Toukabri, une chronique de la danse -son histoire, son évolution, sa perpétuelle transmission- est narrée. L’art dansant du chorégraphe peut puiser dans une époque, celle d’un pays, un contexte précis, tout comme il peut tracer le personnel : un parcours frayé, entre deux rives, ses aléas, et sa complexité. La question du corps – archive reste centrale. La création fait partie de la sélection IN du prestigieux festival d’Avignon et s’est jouée à guichets fermés.



« Every-Body-Knows-What-… » de Mohamed Toukabri : Un solo performatif engagé
5es Rencontre du théâtre arabe de Hanovre – « Cosmos » d’Ashtar Muallem et Clément Dazin : Humour cosmique
REVIEWS & CRITIQUES4 / 17 / 2025

5es Rencontre du théâtre arabe de Hanovre – « Cosmos » d’Ashtar Muallem et Clément Dazin : Humour cosmique

Découvrir l’artiste circassienne Ashtar Muallem fait l’effet d’une collision céleste dans une salle de spectacle obscure, celle du Pavillon d’Hanovre. Aménagée et scénographiée sur mesure, la scène est prête à lui laisser libre cours d’effectuer pirouettes, mouvements corporels, danse et dialogues humoristiques. « Cosmos » brouille les limites entre plusieurs disciplines et traite avec beaucoup d’humour, d’une thématique lourde : la Palestine occupée depuis 1948.

Par Haithem Haouel, Envoyé Spécial à Hanovre (Allemagne)

L’artiste, sous les feux d’un projecteur, jambes croisées ou en mouvement, se tient au pied d’un tissu en blanc suspendu, du toit jusqu’au sol. Ashtar le manie comme elle manierait un organe. Ce fil, c’est son extension le temps d’une performance certes physique, mais qui reste profondément parlante. « Cosmos » est une œuvre révélatrice d’anecdotes personnelles, passionnantes, vécues sous la colonisation sioniste, au fil des décennies oppressantes. Avec une lucidité mêlée à une pointe d’humour, l’artiste manie le verbal comme elle manie son corps : avec une grande souplesse.


Quoi de plus efficace que l’humour pour inviter à la réflexion ? Braquer les projecteurs sur un sujet pesant peut se faire d’une manière scénique, insolite, tout en suscitant le rire intelligent. Le tragique broye, marque et peut être répulsif. L’humour, lui, retient de bout en bout le spectateur.


Muallem défie la gravité avec force et aisance remarquable. Sa performance solaire électrifie la salle. « Etant née avec quelques flexibilités corporelles, j’ai dû les mettre à bon escient, et au service de l’art », précise l’artiste lors d’un panel. «Tout en vouant un intérêt au yoga, à la méditation et en me faisant aider par Youtube (Rire) ». Commente-t-elle, toujours avec un sens de l’humour inégalé.


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Ashtar est née et a grandi dans une école de théâtre fondée en Palestine, de parents acteurs de théâtre et fondateurs de l’espace. L’artiste vit dans un milieu qui lui a permis d’affiner ces techniques et de perfectionner son art scénique. Très vite, elle a été repérée par Clément Dazin, artiste de cirque, qui l’invite à collaborer ensemble, autour d’une création improvisée … réalisée en trois semaines. Depuis, le travail à deux continue. « Cosmos », créée après la pandémie, a tourné en France, mais Ashtar a tenu à la présenter en Palestine. « Heureusement que j’ai j’ai pu la présenter quelques fois, en Palestine. J’y tenais».


Toujours à propos de « Cosmos », au moins deux versions ont été réalisées dont une qui évoquait davantage l’aspect religieux, compliqué à faire tourner dans le monde arabe. Faire appel à l’imaginaire humoristique, c’est tenter de traiter de l’époque et de ses aléas, titiller l’humain, l’entretenir intelligemment et esquiver la noirceur. C’est rendre le politique malléable et drôle, ce qui n’est pas un travail mince à faire. «Si je suis la lumière qui est en moi, elle m’éloignera de l’obscurité. Ne pas être intimidé par toute la laideur qui nous entoure est vital donc brillons… surtout ! », conclut-elle.

5es Rencontre du théâtre arabe de Hanovre – « Cosmos » d’Ashtar Muallem et Clément Dazin : Humour cosmique
« The love behind my Eyes » D’Ali Chahrour : Chorégraphier le passionnel sur scène
REVIEWS & CRITIQUES4 / 15 / 2025

« The love behind my Eyes » D’Ali Chahrour : Chorégraphier le passionnel sur scène

Ali Chahrour, metteur en scène et chorégraphe libanais, rend solaire sur la scène du théâtre arabe d’Hanovre un amour interdit, englué dans les non-dits et étouffé par le poids du traditionnel, du religieux et du patriarcat. Depuis sa création il y a 4 ans, «L’amour derrière mes yeux» résonne toujours comme un hymne universel à la tolérance.


C’est à travers les yeux, que se vit cette performance d’une heure. Principalement dansante et physique, elle s’harmonise entre deux artistes hommes. La regarder, c’est assister à l’enchevêtrement de deux corps, dans un fond noir, à peine éclairé par un faisceau de lumière. Un rayon, révélateur d’espoir, dans des temps rongés par l’exclusion, les phobies, la violence. De la danse parlante, mais aussi du chant, en guise de fond sonore, criant d’humanité, d’amour, de valeurs. Cette musique épouse le propos de la chorégraphie, l’enveloppe. Un chant magnifiquement interprété par Leila Chahrour, 3e protagoniste sur scène.


Leila Chahrour interpelle par sa présence, son absence, et ses va–vient. Des mouvements qui se font souvent en musique, et qui sont parfois, discrets, mais utiles sur scène. Leila est le symbole d’une figure maternelle bienveillante, aimante, adoucissante. Une figure de paix, d’union, profondément protectrice. Toujours sur scène, et par le biais d’un langage du corps, parfaitement synchronisé, harmonieux, les mouvements racontent tout un récit de passion réprimée, dénué de mots, mais criblé de maux, avec seulement deux silhouettes masculines qui fondent dans un noir scénique. Chadi Aoun et Ali Chahrour ne font qu’un. Chahrour qui s’auto–dirige sur scène : un autre défi relevé amplement.


L’histoire se déroule au 19e siècle, durant l’époque des Abbassides. Mohamed Ibn Daoued, un savant de renom, s’amourache aveuglement d’un autre. Baghdad vivra officieusement et en secret aux rythmes de cette passion brûlante. Ali Chahrour a porté un intérêt aux histoires d’amour singulière, aussi diverses soient-elles, broyées par les idéologies et totalement non-normatives. Trêve de verbalisation, place aux mouvements du corps pour crier justice et acceptation de l’autre.


Le duo de chorégraphes, et la présence féminine en musique, redessinent les contours de l’amour sur scène à travers une scénographie sobre, juste et d’une grande maîtrise, bercée par des chants au registre spirituel, religieux.


Dans un panel organisé en marge du spectacle par l’équipe organisatrice des rencontres du théâtre arabe d’Hanovre, modéré par l’académicienne, spécialiste du théâtre arabe Dr Nora Haakh, Ali Chahrour se livre sur l’éloquence du récit, tissé derrière cette création. Une aventure sur scène, qui raconte des aléas et des luttes, dans un contexte hostile. Cette création fait partie d’une trilogie qui raconte des histoires d’amour, bannies, et interdites, comme celle-ci, qui fut en grande partie, malmenée par un Mufti, un homme religieux qui fait la loi et réprimande.


Les premières prémices de la création ont commencé en 2020, quand Ali Chahrour a invité son acolyte Chadi Aoun à répéter, et à penser une danse. Leila Chahrour, qui n’est autre que la grande cousine du metteur en scène, n’a pas tardé à rejoindre l’aventure scénique au fil des séances de répétition, d’écriture qui se faisaient d’une manière fluide, quasi-instantanées, à Beirut. Le travail a été totalement bouleversé par l’explosion du port de Beirut. Une tragédie qui ne les a pas empêchés de mener à bout leur création.


La première a eu lieu en 2021. « La danse est un acte de liberté et cette performance est plus considérée comme une chorégraphie, qui raconte une histoire, telle un livre ouvert ». Précise le metteur en scène et chorégraphe de « The Love Behind my Eyes ». Ali Chahrour a présenté, deux fois, deux autres créations à succès à guichets fermés en Tunisie : « Du temps où ma mère racontait » et « Iza Hawa », lors des JTC 2023.

« The love behind my Eyes » D’Ali Chahrour : Chorégraphier le passionnel sur scène
« Bord à bord » de Sahar el Echi : Eclat de vie
REVIEWS & CRITIQUES2 / 12 / 2025

« Bord à bord » de Sahar el Echi : Eclat de vie

Mounira s’abîme dans la grisaille d’un quotidien dur et austère pour gagner sa vie. En guise d’échappatoire, elle se retrouve tiraillée entre deux relations parallèles, vécues en dents de scie. A l’affiche du 5e film court de Sahar El Echi, un trio d’acteurs : Mariem Sayah, Mohamed Hassine Grayaâ et Aymen Mejri.


Il s’agit de sa première fiction courte, avec les ingrédients d’une trame dramatique captivante et les éléments nécessaires pour entraîner le spectateur dans une histoire, de « Bord à bord ». La jeune femme, silhouette frêle, préoccupée au quotidien par les aléas de la vie, tient incessamment à subvenir à ses besoins en vendant des fricassés dans la carcasse d’un wagon abandonné. Elle voit son quotidien écorché par la brutalité d’un homme écrasant et par la légèreté d’un 2e jeune homme, plus attentionné, attachant. Mounira tente de gérer son relationnel, doublement broyée par la rudesse du lieu dans lequel elle vit. Telle une fable, ou un conte des temps modernes, le film s’achève autrement…



Sahar El Echi fait du lieu un 4e personnage. Il s’agit d’une décharge d’anciens véhicules usés, située dans une zone pauvre. Y faire gambader ses personnages donne un ton distingué à son film. Une dimension qui raconte les difficultés d’une frange sociale du pays, délaissée, précaire, oubliée. Celle d’une classe sociale qui ne vit que pour casser sa croûte au jour le jour mais qui (sur)vit en dépit des difficultés d’ordre matériel, social, et a chassé les hostilités. Mounira vit dans un milieu extrêmement patriarcal, masculinisé et parvient à s’imposer en s’attachant à son bien ultime : son modeste commerce de vente de fricassés.


« Bord à bord » s’achève un peu trop vite, à l’instant T où on commence à se familiariser avec les personnages. Sur 18 min, les aspirations et les rêves d’une existence meilleure prennent le dessus, et forment un hymne à la vie et un appel à la conquête d’autres cieux. Rester, oui, ou pourquoi ne pas répondre à l’appel d’un «Partir» aussi ? «Bord à bord» ou «Al Haffa» continue sa tournée dans les festivals internationaux. Il a été projeté au «Red Sea Festival» et compte partir à l’affût d’autres compétitions. Dans cette 35e édition des Journées cinématographiques de Carthage, il est en compétition officielle des courts métrages de fiction. Sa réalisatrice Sahar El Echi a déjà, à son actif, 4 courts métrages : «In Between», «Correspondances», «Mutation» et «Manwella». Le dernier en date s’affranchit des essais expérimentaux, réalisés auparavant et s’impose dans un nouveau genre maîtrisé.

« Bord à bord » de Sahar el Echi : Eclat de vie
« Tkharbich » de Tarek Souissi : Des dessins sur le vif
REVIEWS & CRITIQUES12 / 30 / 2024

« Tkharbich » de Tarek Souissi : Des dessins sur le vif

La parution remarquable de cette fin d’année est celle d’un beau livre d’art au titre insolite «Tkharbich», conçu par l’artiste dessinateur et universitaire Tarek Souissi. L’ouvrage a vu le jour grâce à l’appui du Fonds d’encouragement à la création littéraire et artistique du ministère des Affaires culturelles.


Des instants de vieux monuments ou édifices historiques de la Tunisie, en passant par de splendides baies aux couchers du soleil ou des ruelles des médinas emblématiques de notre pays, le savoir-faire de l’artiste fait déambuler visuellement toutes celles et ceux qui se laissent happer par ces tableaux soigneusement exposés. En tant que spectateur, scrutant ses créations, c’est comme si on traversait la Tunisie à travers les yeux du concepteur.« Gribouillage», titre évocateur du livre traduit en français, est un bel éventail des propres tableaux du dessinateur, présentés au fil des 160 pages.


A l’origine de ce travail minutieux, Tarek Souissi, diplômé de l’Institut supérieur des Beaux-arts de Tunis, titulaire d’un master en sciences et techniques des arts, enseignant à l’Institut des Beaux-arts de Nabeul depuis une vingtaine d’années. Toute sa vie, l’artiste dessine avec des stylos ce qu’il voit, les endroits ou lieux qui le touchent, comme s’il les capturait en se servant d’un appareil photo. Ces dessins prennent vie en un temps concis et figent l’instant présent.


Au départ, il le faisait spontanément dans des carnets. La technique, au fur à mesure, a évolué et a été maîtrisée au fil des années. « Je cherche aussi à dessiner des coins et recoins peu visibles, tout en les mêlant à des lieux parlants, célèbres d’une ville précise. Clin d’œil à notre patrimoine et notre histoire si riche. Je n’utilise pas de crayon pour dessiner, seulement des stylos », déclare Tarek Souissi.


Sous les conseils d’un ami proche, connaisseur des arts, l’artiste finit par convertir ses œuvres dessinées en un ouvrage élégamment conçu. Un livre ponctué par des textes en arabe et en français de critiques d’art, d’universitaires, écrivains, poètes et artistes tunisiens de renom a finalement vu le jour en pleine période des fêtes de fin d’année. Ce 2e évènement de présentation, organisé en double format — Vernissage / Parution de livre d’art —, s’est déroulé à l’espace culturel « Fausse note » à Hammamet en collaboration avec l’association Inart. La première présentation a eu lieu à Ennejma Ezzahra, le 21 décembre 2024.

« Tkharbich » de Tarek Souissi : Des dessins sur le vif
L’exposition «Bronze Dance» de Hamadi ben Neya : Un patrimoine populaire en bronze
REVIEWS & CRITIQUES12 / 27 / 2024

L’exposition «Bronze Dance» de Hamadi ben Neya : Un patrimoine populaire en bronze

C’est à la galerie Kalysté à la Soukra que l’artiste Hamadi Ben Neya donne vie à 55 œuvres d’art conçues avec du bronze et du fer. Le sculpteur manie la matière habilement et sublime l’espace, le temps de l’exposition «Bronze Dance» qui s’est achevée hier.


L’exposition tourne autour de la chanson, la danse, et une culture populaire. Avec de la matière, le créateur crée des œuvres attrayantes, dansantes, figées dans des pauses qui racontent des corps en mouvement, l’art populaire, ses contes et anecdotes.


A la vue de sa grande exposition, l’artiste fait danser ou bouger le bronze et pas qu’un peu. Il expose ses œuvres dans deux parties distinctes de l’espace : la première est consacrée à des créations modernes et d’autres qui racontent notre histoire, patrimoine ou contes et musiques tunisiennes d’antan, connues de tous les Tunisiens. «Ommek Tango», «Bou Saadia», «Bou Teliss», «Bou Tbila» ou encore «Azouzét Stout», autant de figures qui ont profondément habité notre imaginaire collectif et notre enfance sont désormais reconstituées à travers les œuvres en bronze et en métal de Hamadi Ben Neya.


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Le créateur manie et modèle des déchets, du fer et principalement le bronze pour «Bronze dance».


Il plie la matière et fait usage du feu afin de concevoir une cinquantaine d’œuvres créées sous différents formats. La partie de l’exposition consacrée à notre imaginaire populaire reflète le pouvoir de la transmission, pratiquée jusqu’à nos jours d’une génération à une autre, oralement, via la création manuelle ou encore la musique ou les histoires énoncées. Autodidacte toute sa vie, Hamadi Ben Neya puise son art de la récupération. Passionné de collecte d’objets et de matière souvent rare, il réussit à en faire des expositions, présentées en Tunisie ou à l’étranger.


Ses nombreuses participations à des symposiums internationaux ou nationaux se succèdent mais ne se ressemblent pas. L’artiste donne une seconde vie à de la matière et accorde une importance particulière à son processus de création. Les créations de Ben Neya voient le jour grâce au recyclage et sont «écolos». Le métal ou le fer sont conçus et vus autrement à travers les œuvres de cet artiste distingué.

L’exposition «Bronze Dance» de Hamadi ben Neya : Un patrimoine populaire en bronze
« Les enfants rouges » de Lotfi Achour :  Un cri contre l’oubli
REVIEWS & CRITIQUES12 / 21 / 2024

« Les enfants rouges » de Lotfi Achour : Un cri contre l’oubli

Loin de tout, comme dans une contrée aride et isolée, vivent Achraf et son cousin Nizar. Les deux adolescents font paître leur troupeau, quand ils sont violemment attaqués par des terroristes. L’un d’eux est tué quand l’autre devra informer leur famille. Choc, hallucinations, perte de repères et cri d’alerte inaudible, « Les enfants rouges » est le récit d’un traumatisme qui happe.


Ils ont 14 et 16 ans, et refont le monde dans leur élément naturel : montagnes, sources d’eau et paysages rocheux, à perte de vue. Le lieu, dans le film, accentue les difficultés d’un quotidien, fait écho à la survie des enfants et de leur famille et creuse le sentiment d’être oublié. Mais au-delà de la misère, la lumière toujours… car les deux adolescents s’accrochent à leurs rêves, à leurs espoirs et à la compagnie de leur troupeau, leur source de subsistance.


Leur quiétude est broyée par l’attaque sanglante d’un groupe de terroristes, qui assassine Nizar, et laisse délibérément en vie Achraf. En guise de messager, le jeune survivant devra informer son clan. Ces terroristes agissent d’une manière habile, discrète, et font des montagnes désertes leurs terreaux. Ils tiennent surtout, au fil de leurs agissements macabres, à lancer des messages intraçables pour marquer leur territoire et faire savoir qu’ils ne sont jamais bien loin, prêts à surgir pour attaquer.


Une quête de survie


Sous la violence du choc, Achraf perd conscience, se reprend doucement, a dû mal à réaliser la mort barbare de son cousin, décapité sous ses yeux. Livré à lui-même dans un paysage écrasé par la chaleur, entre perte de conscience, hallucination, déshydratation et volonté de se faire entendre et de crier secours, les frontières entre réalité et imaginaire se mêlent et font toute l’atmosphère du long métrage. Entre souvenirs et bribes du choc qui habiteront désormais son subconscient, une histoire, en partie onirique, s’installe et accompagne l’adolescent jusqu’aux siens.


Entre les plans panoramiques, le murmure du vent, et le silence assourdissant d’une nature sèche, l’enfant avance en solo. Le film passe d’un récit solitaire à une dimension collective. La famille est intégrée dans l’histoire. Latifa Gafsi, dans le rôle de la mère meurtrie, ajoute une couche à la tragédie, jusqu’à inclure voisinage, autorités…


Le film tourne désormais autour de la famille, et de sa détresse étirée dans le temps. Les évènements se suivent, dans le but d’être écoutés par les autorités absentes, de désigner les coupables, de retrouver le corps et de pouvoir l’inhumer, faire le deuil et enfin encaisser le choc, après un si long périple qui s’avèrera pénible.


« Les enfants rouges » s’inspire de faits réels survenus en Tunisie en 2015, quand Mabrouk Soltani, berger, s’est fait décapiter par des terroristes dans la montagne de Méghilla.. Les mêmes criminels récidiveront, deux ans après, et tueront de la même manière son frère Khalifa Soltani, dans une indifférence totale des autorités, et face à la sidération des Tunisiens. Lotfi Achour tenait à mettre en lumière cet évènement marquant, contre l’oubli. « Les enfants rouges » traite avec une grande maîtrise cinématographique ce drame abject. Il porte la voix des oubliés de l’Etat. Le film est en compétition officielle long métrage de fiction pour les JCC de 2024, dont le palmarès sera annoncé aujourd’hui samedi 21 décembre 2024.

« Les enfants rouges » de Lotfi Achour : Un cri contre l’oubli
«Lees Waxul» de Yoro Mbaye : Le récit court d’un non–dit
REVIEWS & CRITIQUES12 / 17 / 2024

«Lees Waxul» de Yoro Mbaye : Le récit court d’un non–dit

Le réalisateur Yoro Mbaye assure à son public une plongée éclair mais brutale dans un environnement rude. Ses protagonistes n’ont de but que d’assouvir leur faim et littéralement leur gagne–pain. «Lees Waxul» est un court métrage sénégalais d’une vingtaine de minutes, qui raconte une discorde intra-familiale autour du pain rassis.


Ousseynou vit dans un village où le pain est un luxe. Le posséder peut être un signe d’aisance, le fabriquer est carrément un symbole de richesse. L’homme, qui était pêcheur initialement, vit de la vente de la «Fagadaga» (pain rassis), pour réussir à nourrir les siens. Son relationnel avec le voisinage paraît solide. Sa réputation est globalement bonne, et l’homme arrive à joindre les bouts. Jusqu’au jour où sa belle–sœur, prénommée Nafi, décide d’ouvrir sa propre boulangerie traditionnelle, écrasant ainsi son commerce et creusant surtout les inimitiés entre eux.


Commence, alors, une discorde voire un chassé-croisé, tout sauf amical, à couteaux tirés.


Les coups bas sont pensés et les mouchards s’en mêlent, le tout dans un non-dit assourdissant. Les relations se détériorent et les actions malsaines prennent le dessus. La tension est à son comble, sans qu’elle ne soit très visible ni apparente. La force du court métrage de Yoro Mbaye réside dans sa capacité à transmettre intensément des émotions, sans que la mésentente soit filmée, visible. C’est peut-être ainsi qu’on reconnaît la force d’une écriture, d’un scénario. Son image de patriarche de la famille est ternie, sa vente de pain rassis en prend un coup et la menace plane.


Grâce à une direction d’acteurs irréprochable, hautement bien gérée, les acteurs finissent par faire parvenir la fable en peu de temps, racontée dans «Lees Waxul». A l’affiche, principalement un duo d’acteurs qui interpelle : Alassane Sy et Fatou Binetou Kane. Le court métrage, qui nous parvient directement du Sénégal, a été retenu dans des festivals dans le monde, dont Namur récemment. Il figure dans la compétition officielle des courts métrages de fiction lors de la 35e édition des Journées Cinématographiques de Carthage.

«Lees Waxul» de Yoro Mbaye : Le récit court d’un non–dit
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