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Khaoula Hosni, autrice : «La trilogie était un exercice d’écriture épuisant de scènes visuelles»
ENTRETIENS5 / 29 / 2020

Khaoula Hosni, autrice : «La trilogie était un exercice d’écriture épuisant de scènes visuelles»

Au bout de 5 ans, l’écrivaine Khaoula Hosni clôt une trilogie de science fiction avec un dernier tome titré «La fosse de Marianne», publié chez Arabesques Edition. Au titre intriguant, la fin rimera avec «Dénouement». Rencontre avec sa jeune auteure.


Si tu devais donner un petit Pitch aux fans de la trilogie, qu’est-ce que tu leur dirais? Que nous réserve ce 3e tome ?


Le 3e et dernier tome de cette trilogie est le dénouement. «Le cauchemar de Bathyscaphe», le tout premier, présentait le problème. L’action a atteint son paroxysme dans «Du Vortex à l’Abysse», et maintenant, je relâche doucement. Je donne la finalité que je veux à tous mes personnages que j’adore. Chacun a la finalité qu’il mérite. Je suis content de les voir arriver à ce stade-là : je suis très satisfaite. Je précise que j’ai tissé «La fosse de Marianne» avec beaucoup de passion : j’ai même pris mon temps pour le finaliser, bien plus que les autres. Je l’ai écrit amoureusement jusqu’à la dernière lettre.


Qui est «Marianne», le personnage qui monopolise et la couverture et le 3e volet ?


«Amélie Marianne Le Brun»! Je voulais qu’on comprenne à quel point elle est différente de Sarah et de Jade, les deux autres personnages féminins de la trilogie. Sarah et elles se rejoignent sur certains points : ce n’est ni la cadette ni l’aînée de la bande. Elle est discrète, froide (dans le bon sens). Dans ce roman, elle a un but bien précis et elle voudrait l’atteindre avec énormément de détermination, en dépassant pas mal d’obstacles et en payant bien le prix (je trouve). Elle fonctionne avec un esprit scientifique même dans ses relations humaines. Elle a tout le temps besoin de base rationnelle, de logique. Et justement, j’étais curieuse de voir comment une personne constituée de la sorte pouvait survivre, ou garder le cap dans une existence qui part en lambeaux. C’était magnifique à écrire psychologiquement pour moi.


"J’ai tissé «La fosse de Marianne» avec beaucoup de passion : j’ai même pris mon temps pour le finaliser, bien plus que les autres. Je l’ai écrit amoureusement jusqu’à la dernière lettre"

Comment as-tu vécu la fin de cette trilogie ?


Etonnement, j’ai pensé que je serai bien plus heureuse que ça. (Rire). Comme j’ai passé beaucoup de temps avec ces personnages, il m’était difficile vers la fin de les laisser partir. Au début, j’étais soulagée mais avec du recul, ils me manquent. Je parle particulièrement des personnages du 3e tome. J’ai passé globalement 5 ans de ma vie avec eux/elles quand même. Ils manquent dans ma vie, dans mon quotidien… Je n’écrirai pas une autre fin et je n’enchaînerai pas avec un autre tome, mais ils me manquent. (Sourire). La fin reste exactement ce que je voulais.


Y a-t-il un personnage dont tu te sentirais particulièrement proche ?


Sarah me ressemble beaucoup. Nael aussi, je l’adore: c’est mon petit chouchou dès le départ. (Rire) La romance de Nael avec Amelia dans le 3e tome, j’ai adoré l’écrire.


Le confinement n’a rien changé pour moi. Il ne faut pas être confiné d’après moi pour lire ou ne pas lire. Lire se fait par plaisir…

Ton imaginaire SF (Science-fiction) est débordant. D’où puises-tu ton inspiration ?


Des personnages. Je n’ai aucun mérite. Ils viennent vers moi avec une certaine histoire, après je la décortique en scène d’action ou autre. C’est là où j’interviens : mon travail consiste en cela, à la décortiquer et faire en sorte que cela soit aussi intéressant pour moi que pour le lecteur. Ils viennent vers moi et je les laisse parler, se former devant moi. Je n’ai pas été auparavant attirée par la SF crue. Disons que je l’aime plus subtile, cet imaginaire-là, et mon chef-d’œuvre cinématographique suprême, c’est «le 5e élément» de Luc Besson. Une référence et une école de SF pour moi.


"L’humanité est partie trop loin dans une frénésie de consommation dont on ne voit pas le bout"

Est-ce qu’à un moment donné tu as eu une baisse d’inspiration ou as-tu peiné à finir un des 3 tomes ?


La trilogie et —le 2e tome spécialement— était un exercice d’écriture de scènes visuelles et c’était épuisant, éreintant. Pour le 3e, j’étais déjà rodée et j’ai pris le rythme. Inoubliable ! J’avais mal physiquement et mentalement. Je tenais à ce que mon imaginaire prenne forme le plus possible sur papier, d’une manière identique. C’était un gros challenge.


Ton écriture est très scénarisée, cinématographique. Envisages-tu de te lancer dans l’écriture scénaristique un jour ?


(Rire). J’y pense sérieusement. C’est probable. Je préfère ne pas en dire plus pour l’instant. J’y ai surtout pensé pendant le confinement. On verra !


"Je tenais à ce que mon imaginaire prenne forme le plus possible sur papier, d’une manière identique. C’était un gros challenge"

As-tu lu pendant le confinement ?


Le confinement n’a rien changé pour moi. Il ne faut pas être confiné d’après moi pour lire ou ne pas lire. Lire se fait par plaisir : je peux passer un bon bout de temps sans lire, comme je peux lire de nombreux livres d’une seule traite… et même en temps normal. C’est pareil. Je lis au gré de mes humeurs. J’ai surtout travaillé comme d’habitude dans la rédaction web. Mon domaine professionnel.


Quelles sont pour toi les leçons à tirer de cette pandémie du Covid-19 ?


Je fais une fixette sur l’environnement et l’écologie en général. Il faut peut-être repenser le mode de travail. Travailler à distance s’est avéré fructueux. Je ne pense pas qu’on va retenir la leçon. L’humanité est partie trop loin dans une frénésie de consommation dont on ne voit pas le bout. On est parti pour faire des conneries bien plus graves. (Rire)


Comment vois-tu le post-Corona ?


Je reste réaliste : le mode de vie global et l’économie mondiale ne vont pas changer de sitôt. En attendant le retour à notre train-train de vie quotidien… destructeur à petit feu hélas pour notre planète. Soyons responsables surtout à l’échelle individuelle.


Quels sont tes projets en cours ?


Je te donne l’exclusivité : un magnifique livre est en préparation : il rappelle «Les cendres du Phoenix». J’espère le voir paraître d’ici l’année prochaine. Je l’ai pensé pendant l’écriture de «La fosse de Marianne». Ça va se passer en Tunisie et c’est une histoire d’adultère: un thème qui m’a toujours fasciné. Je le traiterai différemment. Ce roman-là me rappelle aussi «DABDA», mon livre préféré jusqu’à maintenant.

Khaoula Hosni, autrice : «La trilogie était un exercice d’écriture épuisant de scènes visuelles»
Rabeb Srairi : «Essia est conçue pour déranger : c’est une folie, une aventure !»
ENTRETIENS5 / 20 / 2020

Rabeb Srairi : «Essia est conçue pour déranger : c’est une folie, une aventure !»

Essia est la brutalité incarnée : cette année, elle a secoué la planète «Nouba», attisant hostilité et curiosité du public. Celle qu’on adore détester dans «Nouba 2» est interprétée par Rabeb Srairi, qui joue des genres, et oscille entre comédie et drame, pendant deux ramadans successifs. L’actrice s’est effacée complètement au profit d’un personnage complexe, né pour agacer… et mettre de l’ordre dans cette frénésie «noubienne».

Comment s’est déroulée ton intégration dans l’univers de « Nouba 2» ?


On ne peut parler réellement d’intégration. Cet univers ne m’a jamais été inconnu avant. Il m’était, au contraire, très familier de par mes rapports étroits avec toute l’équipe de «Nouba» : des rapports amicaux, professionnels et même familiaux. Abdelhamid Bouchnak est un grand ami à moi : on a déja travaillé ensemble: on a un film à notre actif qui sortira prochainement. Pareil pour les autres acteurs et actrices. Intégrer l’équipe s’est fait naturellement. J’ai bien évidemment suivi de très près la première saison de « Nouba ». Et nous y voilà…


"C’était extrêmement étonnant qu’Abdelhamid me propose un rôle pareil. Je ne m’y attendais pas"

De «Dar Nana» à «Nouba» : deux registres totalement différents et deux personnages totalement distincts. Le défi a dû être sacrément plus corsé…


Et comment ! (Rire). Totalement. «Nouba 2» s’apprête à étoffer un succès déjà bien atteint. La complexité de mon personnage est aussi à prendre en considération : cette dénommée « Essia » ne me ressemble pas du tout. C’était extrêmement étonnant qu’Abdelhamid me propose un rôle pareil. Je ne m’y attendais pas. Je ne ressemble en rien à Essia, même aux yeux de mes proches, des gens du milieu avec qui j’ai travaillé, ou en me référant aux autres personnages que j’ai pu interpréter (ou que j’ai pensé un jour interpréter) : Essia déboule d’une autre galaxie…


«Essia», un personnage Ovni : comment s’est déroulée ta rencontre avec elle ?


Après plus ample discussion autour du personnage avec Abdelhamid Bouchnak, ça m’a beaucoup plu qu’il puisse voir «Essia» en moi. Il s’agit d’un changement radical par rapport à l’année dernière. Essia n’est pas un personnage simple, c’est un personnage de composition, brechtien dans son écriture. Et elle casse profondément avec les stéréotypes : le policier doit être viril, violent, mâle, ou sinon, une policière petite de taille, parfois coquette, un peu niaise… Ce n’est pas le rôle du méchant qu’on a l’habitude de voir : Essia est une composition à part, toute nouvelle. Je pense que c’est la première fois qu’on voit un rôle pareil à la télévision, qui soit aussi axé sur la question du genre : elle est masculinisée et ça m’a davantage plu. Pour moi, c’était une aventure et un challenge de l’endosser. J’adore les défis surtout en ce moment …ça m’a stressée à mort. Je suis les épisodes, tout comme les spectateurs au quotidien, tout en étant très attentive à ce que j’ai accompli… la réaction des spectateurs m’importe aussi.


"Essia n’est pas un personnage simple, c’est un personnage de composition, brechtien dans son écriture. Et elle casse profondément avec les stéréotypes"

Avec du recul, qui est Essia d’après toi ?


Essia est une brute. Et elle n’a pas choisi de l’être. Essia est une petite fille, blessée, délaissée, en manque d’amour, et qui réagit de la sorte parce qu’elle n’a jamais été aimée, donc, elle est incapable d’aimer. Elle nous reflète ce qu’on lui donne : ce genre de personne qui peut être notre miroir. Quand on lui fait du bien, elle nous le rend, quand on lui porte préjudice, elle riposte et pas qu’un peu. Malheureusement, elle a été très souvent malheureuse… Elle en a bavé depuis sa naissance. Essia n’était pas un enfant désiré. Ses parents voulaient un garçon : elle était donc rejetée, détestée. Rejetée parce que c’était une fille déjà, donc sa propre manière de se révolter contre cette société haineuse, c’est de devenir sociopathe et de devenir finalement cette loque humaine qu’on connaît. Essia telle qu’on la voit maintenant est une carapace dure qui dissimule des faiblesses, beaucoup de sensibilité, voire une hypersensibilité qui cache des blessures profondes, peut-être impossibles à combler. Bien sûr, elle n’a jamais été soutenue par personne pendant toute sa vie. Elle a grandi dans un cocon toxique et a passé sa vie à se battre avec ses propres démons. Des démons qui se sont échappés un jour et qui sont devenus son reflet aux yeux de tout le monde. Elle est démoniaque en quelque sorte.

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A la décrire ainsi, c’est normal qu’elle soit autant détestée par une large frange du public ….


Evidemment ! Essia est conçue pour déranger. C’est-à-dire … qu’au début, c’était le cas mais le public est en train de changer au gré des chamboulements vécus par le personnage. Et je peux vous dire que des changements radicaux auront lieu … clairement. Essia agace le public et dérange trop les autres personnages : c’est un élément perturbateur, par excellence, destiné à installer un certain équilibre. Des fois, on en a besoin. Elle est dérangeante, stressante, provocante… c’était les mots d’ordre de Abdelhamid. Il me disait souvent : «Elle est unique, elle ne ressemble à personne et vice versa» ! C’est pour cette raison que les spectateurs l’ont violemment rejetée. Aucune identification avec ce personnage n’est envisageable. C’est un personnage Ovni, dans sa manière d’être, son style vestimentaire, comment elle porte ses lunettes, sa gestuelle, sa mimique, ses mouvements, comment elle tord sa bouche et s’approche des gens pour les provoquer. Elle le fait exprès pour mettre sa légitimité en valeur en tant que flic, symbole du pouvoir. Elle provoque les autres qui lui rappellent constamment le fait d’être «fille» et n’est pas née «homme» : petite de taille, mince, incapable de faire quoi que ce soit, qu’elle est usée, que tout le monde profite d’elle… Elle est toujours sur ses gardes et riposte violemment pour cacher ses faiblesses. Quand il m’a présenté Essia, Abdelhamid Bouchnak m’a dit clairement que j’allais être détestée… et j’ai adoré. (Rire) C’est quelque chose de vivre ça.


"Abdelhamid Bouchnak m’a dit clairement que j’allais être détestée…"

Est-ce que cela t’a permis de faire un travail supplémentaire en tant qu’actrice pour pouvoir correctement l’interpréter ?


Carrément. Et de loin ! C’est un personnage qui m’a épuisée. Comme les tueurs à gage : un personnage prend une partie de ton âme et te rend une partie du sien. C’est ce qu’elle a fait avec moi. La période de préparation m’a terrassée, elle est «Badass» comme on dit couramment, virile, qui ne sait pas sourire aux autres… et c’est tout ce que je ne suis pas. Cela m’a demandé énormément de recherche dans des films, essais psychologiques, livres … Même physiquement, dans sa manière d’être : sa manière de bouger le dos courbé, dans sa mimique, elle est tout le temps dans l’exagération et dans le cynisme et elle le fait exprès. La scène avec Wassila, au tout début de la saison, c’était mon premier jour de tournage, ma première scène. Essia était née à cet instant. Donc, on construisait à 4 mains, Abdelhamid et moi : les directives étaient claires, strictes et la conception du personnage est précise : On était à 40, 60, 80% de sa conception complète ou finale au gré des jours… Jusqu’à ce qu’il me dise que c’est dans la boîte. On l’a construit ensemble et sur le tas. Ma Essia à moi, je la voyais moins agressive… de loin, et lui il m’a chargée à bloc en me parlant de policières qu’il avait connues. On lui a créé une histoire, un passé à Essia, un vécu. Tout un travail planifié en amont et pendant…


Qu’est-ce que ce fameux « sur-jeu » évoqué souvent dans les remarques des téléspectateurs et qu’as-tu à leur répondre justement ?


(Rire long) Dans le jeu, il y a le sur-jeu, déjà. Je ne suis pas dans un registre de jeu réaliste en interprétant Essia. Ce personnage, contrairement à d’autres dans «Nouba», n’est pas réaliste dans son écriture. Il est même fantastique… tout comme Karim, Salah. Des personnages qui cassent avec la platitude du réalisme d’un récit. C’est normal qu’en faisant la comparaison, les gens peuvent s’y perdre. Après, un homme psychopathe c’est toujours séduisant, une femme sociopathe ne l’est pas forcément, surtout qu’on s’est habitué à une certaine image de la femme : Essia est peinte, sans artifices, sans maquillage (ce qui est un challenge en soi d’être aussi affichée avec mes imperfections). C’est une fille qui pousse les grimaces à fond en se prenant pour un homme. J’ai un visage d’habitude très fin, féminin. Je devais le défigurer, le casser. Je ne pense pas qu’il y ait sur-jeu pour ces raisons : primo, c’est un personnage brechtien qui joue son propre rôle dans sa propre vie. Deusio, la composition psychologique du personnage, ses complexes la laissent tomber dans l’exagération pour se protéger, se donner de l’assurance. Tertio, moi j’ai une confiance aveugle en Abdelhamid en tant que directeur d’acteurs et en toute l’équipe qui ne me permettront jamais toutes et tous de faire du sur-jeu. C’est impossible. On ne travaille pas seul en tant qu’acteur ! Bouchnak a créé le personnage, c’est comme ça qu’il a imaginé Essia, bien avant que je lui donne vie. Il écrit avec mon langage, je réponds avec le mien, mais c’est un dialogue cohérent. Particulièrement dans «Nouba», il y a une armée impliquée derrière la conception de chaque personnage et de chaque détail. Les gens doivent faire la différence entre «sur-jeu» ou le mot «Over» aussi qui revient souvent et qui est lassant … et entre un personnage qui est «Over». Quand ils disent «Over» en le reprochant à la comédienne, c’est en fait les tics du personnage. Au lieu de dire pourquoi la comédienne fait cela ou joue de la sorte, essayons plutôt de comprendre le personnage et d’apprendre à le connaître. La plupart des spectateurs ne m’ont pas vu jouer auparavant : ils ne me connaissent pas en tant qu’actrice et se disent qu’elle doit être comme ça dans la vie, qu’elle est dans la théâtralité excessive… etc, créant la confusion la plus totale. (Sourire)


Gères-tu mieux ces remarques depuis le début de la saison ?


Oui, totalement. Les remarques de ce type ont presque disparu. Ça a changé au fur à mesure de l’évolution d’Essia. Je reçois beaucoup de messages positifs depuis, qui disent que ce jeu est finalement justifié. Et maintenant, Essia a trouvé sa place dans l’univers de Nouba. Le public reste exigeant. Je suis agréablement surprise par de nombreuses personnes qui me félicitent et disent se reconnaître dans les yeux d’Essia. J’ai eu des discussions extraordinaires à n’en plus finir. J’ai discuté d’analyses pertinentes de leur part … certaines s’y sont même identifiées. Essia ne plie jamais même devant Bradaris. Ces téléspectatrices étaient dans le détail. Et ce qui m’a fait encore plus plaisir, c’est quand elles ont répondu aux remarques négatives en m’envoyant toute leur énergie positive. Ils/elles détestent et le disent mais savent que c’est le personnage.


"Ce personnage est une composition à part, toute nouvelle. Je pense que c’est la première fois qu’on voit un rôle pareil à la télévision, qui soit aussi axé sur la question du genre : elle est masculinisée et ça m’avait davantage plu..."


Yasmine Dimassi et Rim Riahi. Deux comédiennes issues de deux générations totalement différentes. C’était comment de travailler avec elles ?


Une bénédiction. Un rêve. Yasmine, c’est mon amie. On se connaissait depuis El Teatro. J’ai été sa prof, mais ça ne veut pas dire que je suis bien plus âgée qu’elle. (rire). On a le même âge. Depuis que je l’ai rencontrée, j’ai vu en elle quelque chose d’exceptionnel et c’est une partenaire de jeu formidable. Elle a une force contagieuse : elle te met tellement à l’aise, elle t’apaise tellement que tout devient facile avec elle. Quand je partage une scène avec, il n’y a pas plus stimulant à faire. La regarder et jouer avec elle, c’est quelque chose. Rim, c’est une grande comédienne que j’ai découvert très jeune à la télévision, c’est des icones et je joue avec actuellement. Touati, Riahi, Haddaoui… J’ai le sentiment de voir mes personnages fétiches des dessins animés sortir de la télé, et qu’ils ont pris vie à mes côtés. (rire). C’est féerique. Rim est belle, professionnelle, elle a tendance à prendre très à cœur les répétitions et les préparatifs pour son rôle : elle est soucieuse de ses partenaires de jeu, de la scène dans ses moindre détails. Elle est généreuse. On s’est rapproché, on a beaucoup communiqué sur le tournage. Je suis très flattée. Sans oublier Amira Chebli, Hela Ayed. C’est tellement intense de jouer à côté d’elles. Bilel Briki, Slatnia… tous les comédiens sont exceptionnels et triés sur le volet. Yasmine Dimassi est unique. Bilel Slatnia a une présence exceptionnelle aussi.


Quelle était ta plus grande peur avant la diffusion de la saison 2 de « Nouba » ?


Que les gens n’acceptent pas les nouveaux personnages et qu’ils comparent entre Nouba 1 et 2, chose qu’il ne faut pas faire parce qu’on est dans la continuité. Et que les téléspectateurs aussi ne comprennent pas le personnage d’Essia d’autant plus que je porte son poids… qu’ils la rejettent et ne la comprennent pas. Ce personnage est une folie. Une aventure. Mes doigts étaient croisés et pas qu’un peu… Ce personnage et son parcours sont tellement imprévisibles. Je suis sortie de ma zone de confort : déjà en tant que comédienne, je suis déstabilisée. Beaucoup ont confondu l’acteur et le personnage… je me dis, je me connais, c’est le personnage qui a pris la relève et que c’est le but : que l’acteur s’efface au profit du personnage. Je n’existe plus. Je suis très timide dans la vie. Je ne vais pas vers l’autre facilement. Et j’aime faire du théâtre parce que je me cache derrière des personnages tout en restant moi-même. Je me permets des folies tout en restant moi-même.


"Beaucoup ont confondu l’acteur et le personnage… je me dis, je me connais, c’est le personnage qui a pris la relève et que c’est le but : que l’acteur s’efface au profit du personnage"


Tu es plutôt «tragédie» ou «comédie» ?


Je suis tragédienne de formation. J’aime bien les deux et j’ai peur de me caser. J’ai le droit de toucher à tout et d’essayer tout, de me découvrir dans des registres et des styles différents. Je suis humaine avant tout, des fois dans la tragédie, parfois dans l’humour. Chaque personnage a ces deux côtés. Après, c’est une question de registre et de genre. J’adore papillonner, j’aime jouer : je passe de la passionnée à la brute, à l’extraterrestre. J’aime titiller la folie des gens, surfer sur la vague de la folie en découvrant le personnage dans ses moindres coins et recoins et en découvrant également mes propres limites.

Rabeb Srairi : «Essia est conçue pour déranger : c’est une folie, une aventure !»
Yasmine Dimassi : «Construire de rien n’est pas comme rebondir sur un succès»
ENTRETIENS5 / 4 / 2020

Yasmine Dimassi : «Construire de rien n’est pas comme rebondir sur un succès»

Nous l’avons découvert au cinéma dans «Dachra» ensuite dans la première saison de «Nouba» d’Abdelhamid Bouchnak. Yasmine Dimassi a longtemps baigné dans le théâtre : El Teatro est pour elle sa seconde demeure, si ce n’est la première. En 2019, elle commence à se frayer un chemin prometteur, et ce, dans différentes disciplines artistiques. Actuellement, nous la retrouvons dans la 2e saison de «Nouba», dans le même rôle, mais totalement métamorphosée. Entretien.


Votre rôle dans «Nouba» a beaucoup évolué depuis l’année dernière. Quels sont ces changements ?


Il s’agit d’un changement de cadre en premier lieu. Mon personnage était dans un tout autre contexte l’année dernière, chargé d’une mission bien déterminée. Cette année, c’est toujours la même personne mais dans un cadre tout autre, avec un ressenti, un relationnel et un recul nouveau. Blessée, fragilisée ou pas, nous allons le découvrir au fil des épisodes. Je préfère faire durer le suspense pour ne rien vous gâcher. Je n’en dirai pas plus.


Avec l’arrivée des figures comme Fathi Haddaoui, Kamel Touati ou Rim Riahi, comment s’est passé le contact avec eux ? Peut-on parler d’«un choc des générations» ?


Non. Je ne dirai pas cela… de toute façon, il s’agit de personnes mentalement bien plus jeunes que nous. Je n’ai pas tourné personnellement avec Fathi Haddaoui et Kamel Touati. Je n’en sais pas trop. Rim Riahi est extraordinaire. Je sais qu’ils avaient hâte, qu’ils étaient tout aussi excités et même bien plus stressés que nous. L’équipe était là à les rassurer… surtout Rim. On l’a adoptée. C’est notre esprit d’équipe : nous défendons le même projet, nous avançons ensemble tout en étant le plus possible soudés.


En quoi l’ambiance du tournage de la saison 1 était différente de la saison 2 ?


Oh que oui ! Elle était très différente pour moi, en effet. Je peux parler de moi- même, de mon propre ressenti : je ne peux pas parler de l’ambiance globale du tournage : l’année dernière, j’étais entourée de personnes que je connaissais étroitement, dans un lieu précis, des repères… J’avais Héla Ayed comme partenaire… et quelle merveilleuse partenaire ! Cette fois, j’ai glissé dans un autre univers totalement différent, un peu moins connu, avec des personnes bosseuses et tout aussi intéressantes. Mon coup de cœur de cette année, c’est sans doute Rabeb Srairi, mon ancienne professeure. Contente aussi d’avoir retrouvé Assem Bettouhami qui était mon prof. J’étais très heureuse d’être à leurs côtés. L’année dernière, on était davantage dans l’aventure. On avançait ensemble, spontanément… Personnellement, je ne pensais pas beaucoup aux retombées, à plaire coûte que coûte à un immense public, etc. On était réunies autour d’un projet, et chacun (e) y participait à fond. Cette année, on avait comme mission de répondre à des attentes. Construire de rien n’est pas comme rebondir sur un succès. La peur et le stress planaient, et avec le corona, on était encore plus sous pression. D’ailleurs, on n’a pas pu achever convenablement le tournage. Une réécriture est même en train d’avoir lieu pendant le montage. On voit avec la version initiale, on compare et on essaie de faire avec ce qu’on a.

Yasmine Dimassi dans la saison 1 de Nouba.jpg

Comment s’est déroulée l’intégration des nouveaux acteurs comme Rabeb et Assem ?


Très bien. On se connaissait déjà depuis longtemps. A El Teatro, au théâtre, on s’est connu sur scène et c’était nos professeurs. Leur présence nous a beaucoup enrichis. Au-delà de l’artistique, c’est l’aspect humain qu’on retient le plus dans une expérience comme celle-ci menée surtout avec Rabeb et Assem.


Comment est Abdelhamid Bouchnak sur le tournage ?


C’est différent pour nous. On est là à le consulter et vice-versa, à interagir, émettre des remarques d’ordre scénaristique. On est beaucoup dans l’échange. Il y a une grande complicité entre nous. Après, c’est une personne qui travaille passionnément, avec plaisir… Personnellement, je n’ai pas encore connu de réalisateurs tyranniques, violents, désagréables… J’ai travaillé avec Bouchnak et Lassaad Oueslati. Ils sont zen, détendus… Je suis chanceuse jusque-là. Il y a eu un stress fou cette année, mais on a essayé toujours de gérer ensemble. Et lui il s’en sort très bien… Un seul bémol avec Abdelhamid, je dirai qu’il opte souvent pour une seule prise avec son acteur sans plus et cela peut être frustrant. La première est toujours bonne pour lui.


Le public est excessivement impatient cette année. Parfois, il peut paraître exigeant, souvent jusqu’à tomber dans la violence ou le lynchage. C’est en tout cas ce qu’on peut souvent voir sur les réseaux sociaux. Vous gérez comment cette pression en tant qu’équipe ?


Ma réponse peut vous étonner : mais personnellement, la réaction du public, peu importe son intensité, son ampleur, elle ne me touche pas tant que cela. Ce qui m’importe, c’est les critiques fondées, constructives. Le public peut être exigeant, et ça ne peut que me faire plaisir parce qu’en un sens, cela veut dire qu’il a adopté le projet. C’est bien de nous complimenter simplement… mais cela ne nous aide pas à avancer. Le regard critique compte vraiment. Quelques téléspectateurs prennent mal qu’on se juge nous-mêmes (rire). Ça fait plaisir… Une proximité s’est créée avec une certaine tranche du public. Dans certain cas, on subit un tollé de réactions violent qui n’a pas de sens et n’avance personne. J’en profite d’ailleurs pour souligner à quel point de nos jours, on est incapable de discuter ou de débattre autour d’une œuvre ou même d’être dans l’échange convenablement. On est de plus en plus fermé aux autres, intolérants. Une stratégie de formation constructive, qui initierait le public au débat de fond et à la critique, doit être relancée le plus tôt possible comme celle qu’on faisait grâce à la Ftcc, aux cinéclubs, la Ftca… Avoir le sens de l’analyse, discuter d’une œuvre sans se taper dessus. Pour moi, c’est une urgence ! C’est désolant ce qu’on voit de nos jours, surtout avec l’émergence des réseaux sociaux. Désolant certes, mais ça ne m’affecte pas parce que comme je l’ai dit, ce n’est pas constructif. Avec des proches, des collègues, on n’hésite pas se critiquer mutuellement… et cela nous réussit. C’est ce qui nous aide à avancer et à nous autocritiquer, nous remettre en question sans cesse. La richesse se crée à partir de ce comportement. Il y a un vide énorme, il faut penser à le combler. Le lynchage y compris en ligne génère un terrorisme intellectuel et c’est totalement contreproductif.


Avec quel acteur ou actrice de «Nouba» vous sentez-vous le plus à l’aise pendant le tournage?


Hela Ayed… sans aucune hésitation. Un simple regard avec elle peut faire la différence. C’est une partenaire extraordinaire. Elle fait l’exception pour moi. Amira Chebli est généreuse dans son jeu d’acteur… Parfois, tu oublies que tu bosses avec certains comédiens. C’est si agréable. Jouer avec Rabeb aussi est un pur plaisir. Je pense que je suis plus à l’aise avec les actrices finalement. (Rire) Aziz Jbali et Mhadheb Rmili sont magnifiques également.


Si vous deviez revenir sur les polémiques récentes autour de «Nouba»…


Je laisse couler, franchement. Bon… pour les réactions autour de la rediffusion sur Youtube, je trouve cela dommage parce qu’on voulait soutenir notre œuvre en évitant le piratage. C’est réducteur en tant qu’artistes de voir notre travail fuité en ligne. «Artify» est une excellente alternative. Cette plateforme tunisienne pourra bénéficier du travail, le spectateur pourra le découvrir en HD, avec les droits d’auteur… L’équipe «Artify» peut gérer son projet en s’adaptant et en améliorant toujours davantage son rendu.


Vous alternez aisément théâtre, cinéma et télé… Vous avez une préférence pour une discipline en particulier ?


Bien sûr… je préfère le théâtre, sans aucun doute. Après place au cinéma… Pour la télé, si le projet me paraît bon, j’accepte. Je ne suis pas très tentée par les feuilletons en général qui ne se laissent consommer que pendant les dîners ramadanesques. Je suis hyper contente pour Lassaâd Oueslati qui va pouvoir présenter son feuilleton «Harga» pendant la grille hivernale. C’est courageux. Je suis fière de lui. Heureuse de le voir prendre une telle décision. J’espère qu’il pourra montrer aux annonceurs, aux médias et à tout le monde que le meilleur moment dans l’année pour faire de l’audimat, ce n’est pas uniquement le Ramadan et qu’il est temps que les choses changent. Je suis optimiste.


Quels sont vos projets futurs ?


Rien de très concret pour l’instant. En parlant de théâtre, je profite du confinement pour écrire. Je suis dans une phase de documentation. Si on ne joue pas assez avec les autres autant créer et inciter d’autres comédiens à venir jouer. On est riche d’El Teatro et merci à Taoufik Jebali qui nous assiste pendant toutes nos folies créatrices.

Yasmine Dimassi : «Construire de rien n’est pas comme rebondir sur un succès»
Nadia Ghrab, auteure de «Dépassements»  : «Je veux que mes racines me nourrissent et pas qu’elles m’emprisonnent»
ENTRETIENS3 / 12 / 2020

Nadia Ghrab, auteure de «Dépassements» : «Je veux que mes racines me nourrissent et pas qu’elles m’emprisonnent»

Envoûtantes et éclairées, les nouvelles publiées par Nadia Ghrab, scientifique et écrivaine, captent l’attention du lecteur de bout en bout. Sobrement intitulées «Dépassements» et publiées chez Arabesques, l’écrivaine, d’origine égyptienne, parvient à transcender son lectorat à travers des thématiques plus que jamais d’actualité. Entretien avec cette intellectuelle qui milite pour un monde «moins étriqué».


«Dépassements» est le titre de votre ouvrage publié récemment. Quelle est l’origine de cet intitulé qui peut, à la première lecture, nous paraître vague ?


Je trouve que nous vivons dans un monde un peu étriqué. La société nous compartimente en jeunes et vieux, blancs et noirs, pauvres et riches, citadins et villageois, chrétiens et musulmans, scientifiques et littéraires, etc. Des barrières immatérielles enferment chacun dans sa catégorie, et il est souvent difficile d’entretenir une relation enrichissante avec ceux d’un autre camp. Je trouve cela désolant et je rêve d’un dépassement de toutes ces entraves. Sur le plan personnel, chacun de nous est plus ou moins conditionné par de nombreux déterminismes, qui l’empêchent parfois de devenir le meilleur de ce qu’il pourrait être. Là aussi, je rêve que chacun puisse se libérer de son personnage préfabriqué et dépasse les contours d’un horizon trop étroit. Dépassons joyeusement nos peurs, nos complexes, nos préjugés, les normes et les conventions qu’on nous a inculqués, tout ce qui bride notre envol !


Avez-vous opté pour des critères spécifiques pour classer vos nouvelles ?


Pas vraiment. J’ai essayé plusieurs classements, jusqu’à ce que je sente que chaque nouvelle avait sa vraie place, celle qui lui convenait, qui lui était nécessaire. Peut-être y a-t-il une logique souterraine qui préside à cet ordre, mais j’ignore laquelle.

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Votre livre a comme principale thématique «L’ouverture sur l’autre». Comment définiriez-vous l’Autre ?


L’Autre, c’est celui qui me ressemble et qui diffère de moi, un peu, beaucoup, énormément… C’est mon frère, et aussi celui qui vit à l’autre bout de la Terre. C’est chacun, qui joue sa partition d’être humain d’une manière qui n’est pas la mienne. Et la découverte de ces multiples variations sur un même thème nous enchante, et permet une connaissance plus ample de notre condition d’homme. La découverte de l’Autre me permet finalement de mieux me connaître moi-même, de questionner mes comportements, mes croyances, non pour adopter ceux d’autrui, mais ceux qui pourraient être miens, que j’ignore et que la fréquentation de l’Autre me révèle, souvent à son insu. L’ouverture à l’Autre consiste à lui faire un peu de place dans mon environnement physique, dans mes pensées, mes préoccupations, dans la tente de mon cœur. Dans ma vie. Et cette place que je lui accorde, elle ne réduit pas la mienne, bien au contraire, elle agrandit mon espace intérieur. L’ouverture à l’Autre, en me déstabilisant, me rend plus féconde, plus créatrice.


"Je rêve que chacun puisse se libérer de son personnage préfabriqué et dépasse les contours d’un horizon trop étroit. Dépassons joyeusement nos peurs, nos complexes, nos préjugés, les normes et les conventions qu’on nous a inculquées, tout ce qui bride notre envol !"

Dans «Dépassements», quelle est la nouvelle qui vous tient le plus à cœur ?


Ça dépend des jours, mais c’est souvent «La gardienne de phare». Etre gardienne de phare, ça a été pour moi un rêve d’enfant. Je l’ai un peu réalisé en devenant (dans ma tête) gardienne de phare, durant les six mois d’écriture de cette nouvelle. J’ai vécu pendant cette période avec l’odeur des algues et des embruns, bercée par le mouvement du ressac, tenue en éveil par les hurlements du vent, apaisée par les myriades d’étoiles. J’ai lu tout ce que je pouvais trouver sur la vie des gens de la mer, je me suis initiée aux tâches de gardien, aux techniques de la pêche, aux dangers, physiques et mentaux de ces métiers. Et j’ai rêvé puis écrit une histoire d’amitié entre deux femmes que tout sépare. Au départ c’est la gardienne qui rejette la mondaine, parce qu’elle a des préjugés sur son look. Mais petit à petit, ces deux femmes découvrent ce qu’elles ont en commun, malgré les apparences. Et chacune d’elle change sur certains points, fait une partie du chemin, pour rejoindre l’autre dans ce qu’elle a de meilleur. Elles vivent des choses très dures, mais leur affection réciproque rend la souffrance douce, plutôt qu’amère.

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Vous considérez-vous comme rationnelle ou intuitive ?


Je ne sais pas si je suis rationnelle ou intuitive et ce n’est peut-être pas très important. Mais je sais, par expérience, de quelles qualités a besoin chaque type de travail. L’intuition et l’imagination doivent être mobilisées pour la recherche scientifique aussi. L’intuition permet de pressentir à quel type de résultats on peut s’attendre, l’imagination de concevoir des stratégies de recherche pour les vérifier ou les invalider. Mais si l’intuition est à la source de la démarche, l’austère rigueur, fille de la raison, doit ensuite examiner son bien-fondé, à la lumière des résultats obtenus. Et le chercheur peut être amené à abandonner une idée qui lui était chère, parce que les résultats l’ont mise en échec.


"Dans l’écriture littéraire, chacun sait que l’intuition et l’imagination jouent un rôle primordial. Mais la précision et la rigueur, qualités plutôt rationnelles, me semblent également nécessaires pour un texte de qualité."

Si des qualités rationnelles et intuitives sont nécessaires pour les deux univers, les critères d’évaluation d’un travail sont différents. Dans la recherche scientifique, tout doit être justifié de manière objective. La création littéraire, elle, donne droit à la subjectivité; l’œuvre n’est pas soumise à une concordance avec des lois ou des réalités qui lui sont extérieures. Elle porte en elle-même (ou non) sa propre justification. Par ailleurs, dans l’univers des sciences exactes, une chose est vraie ou fausse; on peut citer des points qui restent obscurs, mais de manière marginale. Dans la littérature, les doutes, les incertitudes, les nuances, les contradictions ont une place de choix.


"L’Autre, c’est celui qui me ressemble et qui diffère de moi, un peu, beaucoup, énormément… C’est mon frère, et aussi celui qui vit à l’autre bout de la Terre. C’est chacun, qui joue sa partition d’être humain d’une manière qui n’est pas la mienne. "

Vous êtes polyvalente, à la fois scientifique et littéraire, et vous avez longtemps baigné dans diverses cultures. Est-ce judicieux de notre part de vous considérer comme une «Citoyenne du monde» ?


Je me sens citoyenne de notre petite planète, fragile et menacée. Mais je suis citoyenne du monde à partir de quelque part. Mes racines sont importantes pour moi. Je veux qu’elles me nourrissent, mais pas qu’elles m’emprisonnent. Alors ces racines, je les prends avec moi, je m’en vais de par le monde, et au contact d’autres cultures, elles se transforment et s’épanouissent. Le point de départ de mes racines, c’est la bonne terre du Nil, et plus amplement toute la région méditerranéenne. Je me sens tout à fait chez moi, n’importe où sur le pourtour de la Méditerranée.


Malgré tout cet amour que vous portez pour les lettres, votre parcours professionnel reste purement «scientifique». Est-ce un choix que vous avez fait : celui de vivre de la science plutôt que de la littérature ?


Quand j’ai choisi une orientation, je pensais qu’un métier scientifique était plus «utile» à la société qu’un métier littéraire. C’est une idée qui se discute. Si mon parcours professionnel a été purement scientifique, c’est parce que je n’aime pas faire les choses à moitié. L’enseignement et surtout la recherche scientifique sont des activités très prenantes, et quand elles s’ajoutent à toutes les activités d’une femme, il ne reste guère de temps pour autre chose. Et pour moi, il n’était pas question de faire quelque chose du bout des doigts, ni la recherche scientifique ni l’écriture littéraire. Chacune d’elles exigeait mon être entier. Ce que je n’ai pas pu faire en parallèle, j’essaie maintenant de le faire en séquence.


Avez-vous un message spécifique à adresser à la femme tunisienne ?


Non, pas de message à adresser. Juste envie d’exprimer mon admiration profonde pour la femme tunisienne. Elle supporte un très grand poids dans la société. Avec la conquête du droit au travail, elle cumule des obligations nouvelles et traditionnelles. Souvent, notamment dans les milieux défavorisés, c’est elle qui fait vivre le foyer sur le plan économique, et bien sûr, sur d’autres plans. Fille de Bourguiba, elle est consciente de ses droits, et revendique et manifeste dès qu’elle les sent menacés. Mais elle manifeste toujours dans la joie, et cette joie est un garde-fou contre la haine, qui est par essence destructrice.


"L’œuvre n’est pas soumise à une concordance avec des lois ou des réalités qui lui sont extérieures. Elle porte en elle-même (ou non) sa propre justification."


Vous êtes francophone plutôt qu’arabophone. Pourquoi?


Parce que l’enseignement que j’ai eu en littérature arabe était pauvre; les programmes étaient mal faits et les enseignants peu motivés. En littérature française, j’ai eu la chance d’avoir d’excellents professeurs, un programme passionnant, une fenêtre ouverte sur l’universel. J’ai donc beaucoup lu en français, ce qui a développé ma connaissance de cette langue au détriment de l’arabe littéraire évolué. Je le regrette profondément; j’aurais aimé avoir une double culture plus poussée, comme celle qui était dispensée au Lycée Sadiki.


Vous consacrez votre retraite à l’écriture. Pouvez-vous nous donner un aperçu du contenu de votre prochain ouvrage ?


C’est un peu tôt pour en parler. C’est un roman où il sera question d’exil, de marginalité, des difficultés et des joies du métissage culturel, d’une identité personnelle à trouver et à construire, à la croisée de ses spécificités propres et des multiples influences de l’environnement.

Nadia Ghrab, auteure de «Dépassements» : «Je veux que mes racines me nourrissent et pas qu’elles m’emprisonnent»
Alfonso Campisi : «Mon plus grand ennemi dans la vie est l’ignorance!»
ENTRETIENS3 / 2 / 2020

Alfonso Campisi : «Mon plus grand ennemi dans la vie est l’ignorance!»

Alfonso Campisi est tunisien dans l’âme ! Son amour incommensurable pour le pays se reflète dans son parcours, ses accomplissements, ses mots, son sens de la répartie… Et de l’hospitalité. Couronné en 2018 par le prestigieux prix international Proserpina, consacré aux intellectuels siciliens qui se sont distingués dans le monde, c’est chez lui que l’intellectuel nous reçoit dans une pièce remplie d’ouvrages et de tableaux donnant… sur la Méditerranée. La vie de ce Sicilien d’origine a été sublimée par cette mer, riche de son histoire unique, de ses mouvements et de ses innombrables caractéristiques : «Je suis méditerranéen avant tout !», déclare-t–il, lors de cet entretien dans lequel il se livre, à cœur ouvert, sur sa vie, son œuvre, ses liens si forts qu’il entretient avec cette Tunisie et cette mer Méditerranée. Alfonso s’est exprimé également sur son combat toujours inachevé pour l’obtention de la nationalité tunisienne et de ses projets qui s’annoncent prometteurs. Rencontre.


Entretien en vidéo avec Alfonso Campisi, professeur des Universités et auteur


Alfonso Campisi, vos travaux de recherche sont riches : elles sont d’ordre historique et linguistique en grande partie. Vos publications et vos recherches restent impactantes, engagées et d’une très grande utilité. Parlons-en…


En effet, je travaille depuis une vingtaine d’années sur la Méditerranée. Toutes mes recherches sont focalisées sur cette mer, la nôtre, qui est fortement caractérisée par les mouvements : des personnes, des cultures, des langues. Des mouvements entre les deux rives : la rive nord et la rive sud de la Méditerranée et vice-versa. Toutes mes recherches sont focalisées sur cette mer riche, il y a beaucoup à dire et à écrire et tout n’a pas encore été dit… Une infinité de savoirs. Je m’intéresse plus spécialement aux langues de l’immigration, et plus précisément celle de la communauté sicilienne en Tunisie : l’histoire, la langue et le rapport entre les différentes cultures: italienne, sicilienne et tunisienne évidemment… On possède une histoire commune, c’est connu et qui remonte à des milliers d’années. Le domaine reste très passionnant et large. Parmi les livres les plus impactants, il y a eu un livre qui parle de la rencontre entre la langue sicilienne et tunisienne : un mélange s’est créé et ces deux langues ont été fortement imprégnées. Intitulé «Ifriqiyyia/Siqilliyya : un jumelage méditerranéen», le livre évoque les rapports historiques entre les deux régions. Après, il y a eu un autre sur la migration sicilienne fin du XIXe siècle début du XXe. Une migration en provenance de la rive nord : c’est un peu une sorte de migration «étrange» pour beaucoup mais qui ne l’est pas du tout. Il n’y a pas que la migration vers l’Europe, une autre vers la Tunisie a bien eu lieu à une certaine époque. La Tunisie était une terre d’accueil et d’asile pour beaucoup. C’est mon pays. J’ai écrit 6 livres en tout : le prochain romancé s’intitule «Terres Promises». Il parle d’une petite île de la Sicile et retrace le parcours particulier d’une jeune fille de la Sicile vers la Tunisie. Il y a un fond historique mais romancé quand même. Je ne vous en dirai pas plus …


"J’ai grandi au départ avec cette Tunisie, mais sans la connaître… J’ai eu l’opportunité de venir m’installer en Tunisie pour 2 ans… Je suis finalement resté 22 ans. "

Justement, vous entretenez un lien très fort avec la Tunisie. Quand et comment tout a commencé pour vous?


Ce lien que j’ai à la Tunisie est très spécial : j’ai commencé à entendre parler du pays quand j’étais tout petit. Ma famille sicilienne était venue en Tunisie à travers cette migration : ils se sont installés ici, jusqu’en 1945, quand une partie de ma famille est rentrée en Italie et quand d’autres membres sont partis ailleurs, jusqu’aux Etats-Unis. C’était comme une déchirure de la famille… Ma grand-mère me racontait des anecdotes, des personnages, de l’histoire, de cette Tunisie belle de sa culture, sa cuisine… J’ai grandi au départ avec cette Tunisie, mais sans la connaître, après je suis parti en France, en Italie pour des études : ensuite, j’ai eu l’opportunité de venir m’installer en Tunisie pour 2 ans… Je suis finalement resté 22 ans. (Rire) Je suis chez moi ici. Totalement dans mon cadre, mon milieu. J’ai retrouvé le peu de Sicile qu’il me faut, le peu de France aussi et je me considère comme méditerranéen. Quand on me demande ce que je suis, je revendique pleinement mon appartenance à la Méditerranée.


"C’est vraiment une bataille que je conduis : une bataille que nous menons en tant qu’intellectuels, écrivains armés par le dialogue pour lutter contre notre plus grand ennemi : qui est l’ignorance. C’est mon seul ennemi dans la vie. C’est un combat universel !"

Et cette Tunisie, justement en quoi d’après vous est-elle différente de la Sicile ? Géographiquement et culturellement, les deux rives restent tout de même très liées et ont beaucoup en commun…


L’île la plus proche d’ici est à 53 km (rires) C’est très proche ! La langue reste différente, les cultures aussi sont distinguées. Mais je trouve qu’il y a toujours beaucoup plus de ressemblances et de similarités que de différences. Les gens et les caractères sont pareils… Je n’ai jamais été dépaysé réellement… Il faut rester tenace et essayer de rapprocher les deux rives en dépassant les préjugés émis juste parce qu’on ne connaît pas l’autre.


Votre lutte, si on peut dire, pour l’obtention de la nationalité tunisienne se poursuit. Où en êtes-vous ?


Vous savez que la nationalité tunisienne est très difficile à obtenir malgré la loi claire et même si toutes les conditions sont remplies. Dans ce cas, on devrait normalement l’avoir systématiquement de la part de l’Etat. J’ai fait cette demande il y a 3 ans à peu près parce que c’est une question purement identitaire pour moi: je pense que cette identité culturelle, linguistique, que j’ai trouvée ici, pourrait se renforcer par l’obtention de cette nationalité : ça fait 22 ans que je travaille au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, 22 ans que je suis ici parfaitement intégré. L’avoir serait pour moi comme une reconnaissance de la part de l’État, du pays. Actuellement, ça traîne encore et on peut attendre jusqu’à 8 ou 9 ans… Il y a beaucoup de demandes de nationalité en attente. Il y a ce problème de traçabilité : comme on donne la nationalité européenne aux Tunisiens en Europe, ça serait bien d’en faire autant en Tunisie pour celles et ceux qui répondent aux critères légaux. Cette lutte est difficile et elle m’attriste beaucoup : pourquoi on ne donnerait pas la nationalité à une personne qui donne tellement au pays, qui produit, écrit, travaille pour le gouvernement depuis longtemps ? Je reste optimiste parce que je me dis qu’il n’y a pas de raison qu’on ne puisse pas l’avoir si on respecte la loi. 8.000 citoyens européens demandent à avoir la nationalité tunisienne et sont en attente. Un chiffre très important quand même. Pour information, j’ai présenté cette demande avant à feu BCE. J’ai écrit une lettre assez poignante, où j’exprimais mon amour pour le pays afin qu’on m’octroie la nationalité pour le mérite. Le dossier a fait tout le parcours qu’il devait faire: ça bloque au niveau du ministère de la Justice qui est chargé de passer le dossier à la Présidence. On attend depuis 6 mois…


"La nationalité tunisienne est très difficile à obtenir malgré la loi claire et même si toutes les conditions sont remplies… Je pense que cette identité culturelle, linguistique, que j’ai trouvée ici, pourrait se renforcer par l’obtention de cette nationalité."

En quoi consiste votre engagement dans le dialogue culturel et civilisationnel de nos jours ?


C’est un engagement qui a commencé il y a longtemps. Je l’ai surtout vécu à travers la parole, à travers ma famille: ce dialogue entre les deux cultures: ma lutte, parce que c’est vraiment une lutte pour les gens comme moi, c’est qu’on est comme des poissons qui vont à contre-courant. Vous voyez tout ce qui se passe dans le monde : violence terrible, guerre, manque de communication… C’est vraiment une bataille que je conduis : une bataille que nous menons en tant qu’intellectuels, écrivains armés par le dialogue pour lutter contre notre plus grand ennemi : qui est l’ignorance. C’est mon seul ennemi dans la vie. C’est un combat universel ! Une lutte qui avance à pas de fourmi et c’est bien. Il faut rester tenace et essayer de rapprocher les deux rives en dépassant les préjugés émis juste parce qu’on ne connaît pas l’autre.


"Je trouve que les étudiants sont davantage libres depuis 2011 et ça se ressent, il n’y a pas de comparaison à faire entre l’étudiant pré et post-révolution : une maturité a été acquise depuis."


Vous êtes dans la transmission du savoir : vous côtoyez des étudiants, vous avez connu des générations entières de chercheurs ou de docteurs en devenir ici. Quel regard portez-vous sur l’académie et les étudiants d’aujourd’hui ?


Par nature, je suis très optimiste même dans des moments difficiles. J’ai vu plusieurs étudiants : quand je vois d’anciens étudiants devenir mes collègues et qui ont réussi leur vie en ayant une famille et une bonne profession, ça ne peut que me réjouir. Je ne suis pas idéaliste : je reste réaliste. Je pense que le niveau des étudiants peut être très bon comme très mauvais : je vois qu’on a un bon niveau pour les doctorats en langue ou dans les autres disciplines. Je trouve que les étudiants sont davantage libres depuis 2011 et ça se ressent, il n’y a pas de comparaison à faire entre l’étudiant pré et post-révolution : une maturité a été acquise depuis. Ceci dit, la baisse de niveau reste mondiale et n’est pas propre à la Tunisie. L’étudiant tunisien est beaucoup plus mûr : il n’est plus soumis, il critique, il regarde, observe… Et pour comprendre ce changement forcément positif, la libération de la parole était cruciale.


"Pourquoi on ne donnerait pas la nationalité à une personne qui donne tellement au pays, qui produit, écrit, travaille pour le gouvernement depuis longtemps ?"

Crucial certes et tout aussi important que votre prochain film documentaire qui est intitulé «Siciliens d’Afrique : Tunisie terre promise» et qui promet de par sa thématique. Il est bouclé et sort dans quelque temps…


Pour revenir au discours de cette immigration de la Sicile vers la Tunisie, ce film la traite sur 1h10 et a été monté à Milan. Je l’ai réalisé avec le metteur en scène Marcello Bivona : on a traité donc de cet axe de l’immigration mais surtout sur la langue parlée par la communauté sicilienne de Tunisie. Nous avons une langue qui est le Sicilien, différente du sicilien de Sicile. Pourquoi est-elle différente? Parce qu’elle a eu des apports linguistiques arabes, tunisiens, français, maltais, italiens. Un véritable mélange d’histoire. Et c’est une langue qui est sur le point de disparaître. Les vieux la parlent encore, mais il faut intervenir pour la conserver et la promouvoir aussi. Ce film va parler de ça et sera prêt dans deux mois avec la collaboration de l’Institut culturel italien. J’espère qu’il plaira à tout le monde : ce film est la fusion de plusieurs cultures.

Alfonso Campisi : «Mon plus grand ennemi dans la vie est l’ignorance!»
Master class/Rencontre avec Lucie Borleteau, réalisatrice de «Chanson douce», à l’Institut Français de Tunisie : «Je devais rendre hommage au travail de Leïla Slimani …»
ENTRETIENS2 / 17 / 2020

Master class/Rencontre avec Lucie Borleteau, réalisatrice de «Chanson douce», à l’Institut Français de Tunisie : «Je devais rendre hommage au travail de Leïla Slimani …»

Lucie Borleteau, réalisatrice de «Chanson douce», actuellement en salle, était présente en Tunisie lors de sa sortie. Il s’agit d’une adaptation au cinéma du livre éponyme à succès de Leïla Slimani —Prix Goncourt 2016—. A l’Institut français de Tunisie, elle a participé à un Mater class/rencontre avec des cinéphiles, des professionnels, journalistes et des étudiants tunisiens en cinéma. L’échange, modéré par Didier Zyserman, a permis à la réalisatrice de lever le voile sur un parcours atypique, de bien communiquer sur les ficelles de l’adaptation filmique et de nous dévoiler les rapports entretenus entre réalisatrice et écrivaine pour parvenir à adapter une œuvre littéraire sur grand écran sans la trahir.

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Lucie Borleteau, vous avez déjà à votre actif de nombreux courts-métrages et deux longs-métrages. Comment est née cette passion pour le cinéma ?

J’ai eu un parcours atypique dans le sens où je n’ai pas réellement fait d’école, en tout cas, d’études précises. C’est-à-dire que je n’ai pas réussi à intégrer l’école nationale, donc j’ai fait autrement : j’ai commencé par l’option cinéma au lycée, je pense que c’est quand même suite à cela que j’ai pu commencer… Ma famille ne faisait pas de cinéma et aucun n’était issu du milieu culturel et artistique. Cette éducation à l’image à l’école m’a poussée à m’intéresser à cette passion, ce domaine. J’ai pu me lancer dans l’analyse filmique, réfléchir en profondeur sur ce qu’on voit tout en faisant des travaux pratiques. Ce n’est qu’après que j’ai eu la chance de faire une classe préparatoire publique, qui est et reste unique en France même aujourd’hui. J’ai noué des liens et rencontré des gens brillants, toujours aussi passionnés par le cinéma, avec lesquels j’ai pu travailler jusqu’à «Chanson douce». J’ai raté le concours par la suite mais ceci ne m’a pas empêchée d’entrer à l’université Paris 8 à Saint-Denis qui était une fac de cinéma, la seule qui m’intéressait. À l’issue d’un diplôme de maîtrise obtenu dans cette faculté, et deux conservatoires, à un moment, il fallait que je travaille. J’ai obtenu un stage dans une société de production qui produit des films de Jacques Audiard entre autres, et qui se spécialise davantage dans les films d’auteur. J’étais assistante, j’ai su ce que c’était que le domaine de la production, je côtoyais des réalisateurs : j’étais comme un couteau suisse, à faire beaucoup de choses à la fois souvent liées à la mise en scène et loin du volet financier ou administratif. J’ai beaucoup appris en étant sur le terrain. A mes débuts, je cherchais un producteur, je ne recevais que des refus. J’ai dû demander à mon patron, braver tout un système de subvention pour me lancer dans mes deux premiers courts-métrages, avant d’enchaîner les deux longs. Je peux enfin dire qu’actuellement, c’est mon métier : réalisatrice.


"J’étais comme un couteau suisse, à faire beaucoup de choses à la fois"

Un parcours atypique, mais cela n’a pas dû être facile…

J’ai beaucoup souffert d’un point de vue individuel : des premiers concours par exemple. La plupart des étudiants ont dû avoir de superbes formations, après, ils peuvent toujours avoir des refus, au fur et à mesure de leur parcours. «La passion, c’est la détermination», d’après moi, quand on veut se lancer dans la fabrique de films. En tous les cas, ce n’est jamais facile. Mon travail d’assistante m’a beaucoup aidée à devenir ce que je suis maintenant. Je reste indépendante actuellement. J’ai également pu réaliser les 6 épisodes d’une série «Cannabis» pour la chaîne Arte qui m’a permis d’avoir des moyens, d’essayer des scènes que je n’osais pas faire, d’explorer des terrains peu familiers.


"Ma manière d’être fidèle au livre était surtout d’être fidèle à mes sentiments, à mes sensations ressenties lors de ma lecture"

Vous avez à la fois la casquette de scénariste, comédienne, réalisatrice et même de productrice. Autant de casquettes qui vous permettent de mieux naviguer dans le cinéma. Votre premier long-métrage est une adaptation d’une nouvelle : pourquoi partir d’une nouvelle et d’un texte existant pour réaliser ce premier film ?

Bien avant, j’avais déjà commencé à faire des premiers essais. J’avais fait un film doc aussi et suite à cette expérience, j’avais énormément investi et dépensé mon premier salaire. C’était très difficile d’entrer dans le circuit des festivals en étant autonome financièrement. Il fallait que je fasse un film de fiction à cette époque-là. Je pense que quand on a 20 ou 25 ans, c’est peut-être niais de le penser, mais on a très envie de faire les choses même avec un minimum d’expérience ou de vécu. J’avais donc adapté une nouvelle de Pascal Quignard. Je n’avais pas les moyens d’acheter tous les droits de la nouvelle légalement mais j’avais réussi par le biais d’une fille à le contacter en lui envoyant une lettre. Il a accepté tout en ayant une idée de mon projet et m’a accordé une sorte de liberté. Pour «Chanson douce» c’était très différent. Il s’agissait d’un livre à succès, il y avait eu donc plusieurs convoitises sur celui ou celle qui allait l’adapter. Les personnages étaient très bien dessinés, l’histoire est forte. En France, c’est bien plus facile de subventionner un film. On accorde plus d’importance au scénario même s’il reste au cœur du processus de financement. L’écriture filmique change d’une personne à une autre et au fur et à mesure jusqu’à la concrétisation finale.


Je me suis dit que l’intérêt du livre, c’est de faire peur tout en s’immisçant dans le quotidien banal d’individus.

Quelle est l’importance d’écrire un scénario adapté en binôme ?

J’ai l’impression que si j’écris toute seule, j’aurai juste un premier jet. J’écris souvent parce que j’ai envie d’une scène, d’une situation, je la dessine. Mais j‘ai beaucoup de mal à avoir une vision de la structure globale de l’histoire par exemple. Ma coscénariste m’aide à faire le tri dans les choses que je désire pour m’épauler à les organiser afin que le scénario soit plus agréable à lire. On a un squelette, une structure plus solide du film en entier vers la fin. Pour les personnages aussi, consulter un coscénariste, c’est tout aussi important. L’endroit, le caractère, l’habit, l’attitude… J’aime bien cette idée d’écrire quelque chose et après de l’envoyer à quelqu’un pour tout revoir. Faire lire le scénario à plusieurs personnes, avoir des retours, en discuter jusqu’à déceler les failles et les problèmes.


"Quand on a 20 ou 25 ans, c’est peut-être niais de le penser, mais on a très envie de faire les choses même avec un minimum d’expérience ou de vécu..."

Afin de pouvoir adapter sur grand écran «Chanson douce» de Leïla Slimani, prix Goncourt 2016- et actuellement au cinéma, comment s’est passée la relation entre vous, la réalisatrice et l’écrivaine ?

L’histoire de cette adaptation est aussi particulière. Encore une fois ce n’était pas du tout orthodoxe. (Rire). Il se trouve que j’ai lu ce livre parce qu’un producteur me l’avait recommandé. Il pensait qu’il pouvait faire un film à succès au cinéma. J’ai été complètement happée par le livre, je l’avoue. C’est un livre qui laisse une très forte impression, qui est fluide. Captivant. Je l’ai vu comme un conte maléfique, mythologique. L’infanticide commis par la figure maternelle. J’ai pensé à un thriller, film du genre. Il fallait avoir un langage cinématographique décalé : il ne fallait pas choisir, je me suis dit autant mélanger les deux. De nombreux réalisateurs étaient pressentis pour le réaliser. J’ai senti une connexion avec Leïla Slimani quand je l’ai rencontrée chez Gallimard. Tout s’est bien passé… En sortant de notre rendez-vous, je me suis dit que ça allait peut-être marcher. Karine Viard a proposé le nom de Maiwenn et évidemment elle l’a eu. Bien après, une année plus tard, après un 2e bébé et un congé de maternité, Maiwenn a finalement abandonné la réalisation et on m’a proposé de prendre la relève. Le producteur m’a proposé de travailler à partir de la première version du scénario. J’ai dû le revoir, le relire minutieusement. Ça m’a permis de travailler et de rebondir sur ce scénario à l’instinct.


"C’était très difficile d’entrer dans le circuit des festivals en étant autonome financièrement"


A quel point pouvez-vous être fidèle au livre ?

S’ils ont pensé à moi pour reprendre le projet, c’est parce que Leïla Slimani avait un très bon souvenir de notre rencontre chez Gallimard et elle avait confiance en moi. Elle était dans une démarche, celle de me laisser toute la liberté : elle savait que je n’allais pas trahir l’histoire. Je ne pouvais pas trahir entièrement le livre ni l’adapter à la lettre. Une seule trahison flagrante commise pour moi : c’était une scène de crime violente filmée vers la fin. Le premier chapitre du livre est en fait la fin du film. Une scène que je ne voulais pas filmer : je pouvais la suggérer, la citer mais pas la filmer. La chronologie du livre est très flottante. J’ai dû modifier beaucoup de choses et ne retenir que les scènes qui se nouent entre la nounou, les parents et les enfants. Le livre se passe également sur 2 ans ou 2 ans et demi, on le sent dans la croissance du bébé et de la petite fille. Dans le film, il a fallu condenser. Ma manière d’être fidèle au livre était surtout d’être fidèle à mes sentiments, à mes sensations ressenties lors de ma lecture. Mon travail à moi était de rendre hommage au travail de Leïla Slimani avec mes moyens à moi.


La passion, c’est la détermination», d’après moi, quand on veut se lancer dans la fabrique de films.

On a eu l’impression que vous avez privilégié le drame social en déclinant l’aspect thriller…

Il s’agit d’une histoire qui s’installe mais qui n’est pas là dès le départ. Le personnage principal est fragile, elle succombe à ses hallucinations, ses crises de démences. J’ai eu envie que l’histoire s’installe doucement. Ça se fait d’une manière insidieuse et de l’intérieur sans révéler l’intrigue principale dès le départ. Dans le film, je me suis dit que l’intérêt du livre, c’est de faire peur tout en s’immisçant dans le quotidien banal d’individus.


J’ai dû demander à mon patron, braver tout un système de subvention pour me lancer dans mes deux premiers courts-métrages, avant d’enchaîner les deux longs. Je peux enfin dire qu’actuellement, c’est mon métier : réalisatrice.


Des acteurs qui jouent le rôle d’individus vivant au quotidien, notamment deux enfants. Comment s’est déroulée la direction des acteurs-enfants ?

La problématique était un peu différente entre le bébé de moins de deux ans et la petite fille de 5 ans. Pour les bébés, soyons clairs : on est dans un geste documentaire, on n’a pas peur quand ils jouent : ils sont toujours très justes avec 200% d’émotions. On a respecté la loi française qui énonce que, pour le bien-être des enfants bébés, on ne tournait pas plus de 30 ou 40 minutes par jour. Certaines scènes apparaissent spontanément en tournant avec eux. Il y a des réactions qui surgissent et qui enrichissent. C’était de l’ordre des petits miracles. Avec la petite plus âgée, c’était différent : même laps de temps sur lequel il fallait travailler, bien plus large, 3 heures par jour. Elle, elle joue par contre et on avait conclu un pacte avec les parents : celui de ne pas lui raconter la fin. J’avais l’impression que si elle l’avait su, ça l’empêcherait de défendre son personnage en l’interprétant. La différence entre la réalité et la fiction à son âge en tant qu’actrice pouvait être poreuse. Sa grande force en tant qu’actrice, c’était sa grande force d’écoute. Elle était excellente et se calquait sur de bons acteurs sans du tout la manipuler. J’ai toujours de bons retours de spectateurs en France. Tout le monde la félicitait.

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Moncef Zahrouni, dramaturge et metteur en scène : «Pour un public tolérant et dans l’acceptation de l’autre»
ENTRETIENS12 / 23 / 2019

Moncef Zahrouni, dramaturge et metteur en scène : «Pour un public tolérant et dans l’acceptation de l’autre»

A El Teatro, le premier cycle de représentations théâtrales de «TranstyX» s’est déroulé du 18 au 21 décembre. Quatre rendez-vous qui ont drainé un large public. Focus sur cette création avec à l’affiche les deux actrices Sonia Hedhili et Amina Ben Doua, signée Moncef Zahrouni, un jeune dramaturge et metteur en scène qui traite ici de la Transidentité.


Moncef Zahrouni, pourriez-vous vous présenter ?


Je fais deux choses dans la vie : je suis manager support technique, sinon je m’initie à l’art et à des activités culturelles diverses en parallèle : dans ce contexte, je ne vais pas dire que je suis passé de l’amateurisme au professionnel parce que derrière «TranstyX», il y a des sponsors, tout un budget, une équipe de 18 personnes professionnelles. En tout cas professionnel ou pas, je ne me catalogue pas comme étant une personne professionnelle dans l’art. Je fais du théâtre depuis des années, je suis aussi l’associé de ma sœur sur un projet musical qui s’appelle «Millenium Capella».


Et par «Art» ou «Activité culturelle», vous virez plus vers le théâtre…


Non, pas nécessairement ! L’art me permet d’utiliser plusieurs formes artistiques. Donc, par exemple, là on fait une pièce de théâtre mais pas que : parce qu’avec ma sœur, on a fait la bande originale de la pièce, donc cela me permet de faire de la musique et me permet d’écrire des textes prosaïques, des poèmes, etc. J’aime beaucoup la vidéographie : 2D, 3D… D’ailleurs dans cette pièce on fait beaucoup de vidéos, et je suis en train de piloter les équipes des personnes qui travaillent sur les vidéos. Pour la création de 2017, j’ai créé les vidéos d’une œuvre réalisée à El Teatro «Nos amis les humains», mais là c’est un peu plus grand, plus sophistiqué et je n’ai pas beaucoup de temps : on voulait vraiment avoir plusieurs artistes donc je ne voulais pas monopoliser toutes les casquettes comme je le faisais auparavant. De plus, si je le fais, ça va me prendre beaucoup plus de temps pour produire. Et puis, le jeu d’acteurs… Le cinéma offre aussi plusieurs possibilités, donc un virage cinématographique, plus tard, n’est pas à exclure. (Sourire) .

Sonia Hedhili et Amina ben Doua sur scène dans TranstyX.jpg

Parlez-nous de la genèse de ce projet… Du processus de sa création.


Il a commencé en 2018 lorsqu’une amie à moi m’a envoyé une vidéo, celle d’un passage télé d’un homme trans, qui est passé sur une chaîne tunisienne très connue sur un programme très suivi. L’animateur vedette de l‘émission avait beaucoup de mal à comprendre la personne, à utiliser les bons pronoms, les bonnes terminologies, en plus, on a mélangé tous les pinceaux en faisant appel à un mufti pour donner son avis et qui ne comprenait pas trop aussi ce qui se passait : Trans, Intersexe… Les expressions, les mots et leurs définitions se mélangeaient… Presque tout le monde était dans le même sac et l’interprétation allait plus dans le sens religieux… J’étais révolté, c’était exécrable et on donnait une mauvaise image des personnes trans : c’était très mal expliqué…


"C’est déjà très bien d’avoir un public qui soit tolérant et dans l’acceptation de l’autre..."


Alors, j’ai voulu faire quelque chose en commençant à écrire une chanson, ou un texte poétique, après je me suis dit que ça n’allait pas être une bonne riposte, et moi qui aime la bonne riposte, je me suis dit, on va faire une pièce de théâtre. Ça sera un travail approfondi, recherché, poussé qui éclairerait davantage l’opinion publique sur cet univers des personnes transgenres : beaucoup de lectures, de visionnages de films… Mais ce n’était pas suffisant, il fallait être sur terrain et rencontrer des personnes trans, et tous les jours pendant la nuit, j’allais en voiture arpenter les rues et les avenues de la capitale, en voulant découvrir le monde trans de la nuit : c’est en effet un univers très nocturne, et petit à petit, je me suis trouvé dans le monde trans. J’ai rencontré beaucoup de personnes trans qui ne sont pas de Tunis parce qu’ici, c’est légèrement différent. Quand la personne subit autant de sévices dans une petite région où tout le monde connaît tout le monde et quand la famille est forcément dans le rejet. A 17 ans par exemple la victime fuit vers Tunis, en espérant trouver un travail… Elle se permet au quotidien quelques formes de liberté.


De quelle manière donc est traité le sujet de la transidentité ?


La pièce, déjà, présente un personnage trans qui sort de l’ordinaire, qui se retrouve dans la prostitution mais qui arrive à s’en sortir. Sur terrain, j’avais commencé à faire des rencontres et de très belles rencontres. Je me souviens d’une personne trans à qui j’ai proposé de l’accompagner juste pour voir comment est son quotidien, sa vie. J’ai proposé de payer pour qu’elle accepte de me montrer ou de m’expliquer quel rapport elle entretient avec ses clients, son corps : elle est femme, avec les organes génitaux d’un homme et j’ai besoin de comprendre… J’ai vu des choses qui m’ont beaucoup aidé à créer, et à façonner mon personnage. Après, j’ai fait la connaissance d’une autre personne trans, travailleuse de sexe qui m’a dévoilé ce monde de la prostitution trans et l’organisation de tout ce réseau… Et c’est un monde plutôt fascinant.


Est-ce que TranstyX est une réponse «au massacre télévisuel» de ce sujet ?


Au départ, oui ! Si jamais on a une salle pleine, et 80% des personnes spectatrices sortent après avoir su qu’une personne trans est appelée en réalité «Aaaber» en arabe ou que le terme «Moutahaouel» a une connotation très péjorative, c’est largement suffisant pour moi. Par exemple, quand on regarde la pièce et qu’on se focalise sur l’expression du genre prononcée d’une personne, différente de nos standards sociaux, et qu’on ne s’y arrête pas plus tant que cela. C’est excellent ! C’est déjà très bien d’avoir un public qui soit tolérant et dans l’acceptation de l’autre, je n’ai pas trop d’espérance, ceci dit… Mais essayons.


"La pièce est comme un travail de cartographie"

Vous devriez pourtant : le public tunisien ne cesse de surprendre et les langues se délient…


J’espère bien mais, nous, on ne fait pas seulement du théâtre. Il y a aussi d’autres composantes : on a ajouté les débats : la séance se compose de 55 minutes de théâtre et une heure de débat, juste après. La pièce n’apporte pas de réponses, mais incite à réfléchir et à interroger. «Qu’est-ce que la transidentité ? Qu’est-ce qu’une personne trans ?». La pièce est comme un travail de cartographie : pendant le spectacle, c’est comme si on invitait le spectateur à trouver une image… En lui disant «Fais ton chemin, découvre !».


Etes-vous l’auteur du texte de la pièce ou l’avez-vous écrit avec quelqu’un d’autre ?


J’en suis l’auteur puisque j’ai accompli le travail sur terrain. Ma sœur me lit beaucoup : c’est toujours la première personne qui me lit sur papier ou même par télépathie. (Rire). Je l’adore. Elle a participé à deux créations d’El Teatro… On fait de la musique ensemble. Elle est très douée et elle a une voix magnifique. Avec mes deux actrices Amina ben Doua et Sonia Hedhili, on a fait de l’écriture théâtrale ficelée. Il y a eu des modifications, des changements, etc.


Est-ce qu’elles étaient connaisseuses de cet univers de la transidentité ou de celui de la communauté Lgbtqi++ ?


Non, en réalité, c’était un peu flou. C’est vrai qu’avec Amina, on en parlait beaucoup avant mais pas de la transidentité : c’est une première pour elle. Et d’ailleurs, on va réaliser un livre qui contient le texte de la pièce de théâtre, qui sera illustré par deux magnifiques artistes, sans oublier trois interviews de trois personnes trans rencontrées à Tunis. Comme la pièce s’est focalisée sur une femme trans, donc, on commencera la première interview par un homme trans et deux autres femmes trans, dont la vraie «Tina» qui m’a inspiré. Il s’est passé quelque chose d’extraordinaire avec elle.


Le nom de votre personnage principal dans la pièce est bien «Tina». Dites-nous qui est la vraie «Tina» ?


Je l’ai rencontrée à une époque où on n’avait pas l’intention de parler de la pièce et quand elle a débarqué chez moi, j’ai dit que j’avais un texte que je veux bien lire avec elle. Quand on l’a lu, elle s’est effondrée en larmes et elle a dit que c’était sa vie et qu’elle se voyait dans le texte. Elle n’arrêtait pas de se demander qui j’étais, qui est-ce qui m’a envoyé à elle… Elle n’en croyait pas ses yeux, ses oreilles… J’ai dit que je suis une pure coïncidence : je me suis présenté, montré mes travaux. Après, on a continué la lecture avec beaucoup de sérénité. C’est vrai que le nom du personnage principal dans la pièce initialement, c’était «Maya», mais je rendais hommage à «Tina», donc j’ai changé toute la pièce pour parler d’elle. J’ai fait sa rencontre en organisant des soirées clandestines chez moi avec des personnes entre autres trans et je les invitais à être très à l’aise en exprimant leur genre comme elles l’entendent… Déguisement, Make Up, etc. Entre-temps, j’en profite pour faire aussi des lectures de textes, et je récolte leurs feedbacks, je prends leurs remarques en considération.


"Tout ce qui se passe à l’intérieur d’une personne trans, je veux l’extérioriser, le dévoiler. Ces personnes ne sont pas introverties par choix, c’est la société qui les réprime et leur impose le silence. Je veux montrer leur image, ce qu’elles veulent voir, comment elles se projettent, comment elles veulent être vues"


Pourquoi avez-vous fait appel à des actrices femmes ?


Bonne question. En fait, pour moi : une femme trans, c’est une femme, elle veut s’affirmer et être vu comme femme. Si, par exemple, je ramène un acteur homme ou androgyne sur scène et qui garde des traces de masculinité, on va dire : ça ne sera pas «le rêvé» : tout ce qui se passe à l’intérieur d’une personne trans, je veux l’extérioriser, le dévoiler. Ces personnes ne sont pas introverties par choix, c’est la société qui les réprime et leur impose le silence. Je veux montrer leur image, ce qu’elles veulent voir, comment elles se projettent, comment elles veulent être vues. Il y a deux facilités : la première, c’est de ramener un trans pour jouer le rôle, et la 2e c’est de ramener un acteur homme et lui donner des instructions pour l’être. «Tina» se voit comme femme et toutes les personnes trans que j’ai rencontrées se sentent femmes. Quand on va les représenter sur scène dans le corps d’une femme ou par une femme, c’est forcément mieux. Dans le cinéma ou le théâtre, on a souvent représenté les personnes trans par des trans ou par des personnes de sexe biologique qui correspondent. Et Sonia Hedhili, l’actrice principale, a un côté un peu masculin dans son attitude, mais reste quand même très féminine. La pièce se passe dans l’au-delà après l’opération de réassignation de sexe de Tina. Donc déjà, le personnage est une femme transformée. De plus, on est dans cet au-delà qu’on a recréé dans la pièce de théâtre avec cette image que la personne a toujours espéré projeter. D’ailleurs, je rappelle que la personne invitée sur le plateau télé était un «Femelle – mâle», c’est le contraire de ce que je montre dans ma pièce.


Est-ce que vous craignez la réaction du public ?


Non, parce que déjà dans la pièce «Nos amis les humains» , réalisée en 2017, on a fait parler un personnage misanthrope et athée… Dans le théâtre, on en a eu beaucoup, mais ils sont athées à partir d’un héritage politique marxiste gauchiste, etc. Je voulais un athée, un vrai, misanthrope, qui parle dans un langage scientifique, très loin des courants politiques. La pièce a été soutenue par l’association Mawjoudin et j’ai échangé aussi avec Chouf. Plus tard, on veut faire trois représentations dans les régions : on ira au Kef face à son public passionné de théâtre et ailleurs sûrement.

Moncef Zahrouni, dramaturge et metteur en scène : «Pour un public tolérant et dans l’acceptation de l’autre»
Afef ben Mahmoud, actrice et productrice du film «Les épouvantails» de Nouri Bouzid : «Les combats sont toujours les mêmes …"
ENTRETIENS12 / 9 / 2019

Afef ben Mahmoud, actrice et productrice du film «Les épouvantails» de Nouri Bouzid : «Les combats sont toujours les mêmes …"

Afef Ben Mahmoud est connue auprès du public en tant qu’actrice. L’artiste est pourtant multidisciplinaire : elle est réalisatrice, productrice et a fondé sa propre boîte de production en 2018. Depuis les Journées cinématographiques de Carthage, «Les Epouvantails» est en salle et sillonne différents festivals nationaux et étrangers dont un passage remarqué à la Mostra de Venise. Dans ce long métrage, elle y incarne le rôle d’une avocate, farouche défenseure des droits humains tout en étant productrice sur ce dernier film en date de Nouri Bouzid. Afef revient sur ses deux films à l’affiche actuellement au cinéma, son tournage avec Mehdi Hmili et annonce le lancement de son propre film en tant que réalisatrice. L’artiste n’a pas manqué l’occasion d’éclaircir quelques points cruciaux. Rencontre.

Le public vous connait en tant qu’actrice. Comment a viré votre carrière vers la production?


Effectivement, j’ai pu lancer ma propre boîte pour produire mon propre film en tant que réalisatrice en 2018, tout récemment. C’est vrai que c’est ma première production mais ce monde-là ne m’a pas été toujours inconnu. J’ai fait des études approfondies en cinéma : je suis passée par l’Essec, j’ai une maîtrise en management, ensuite, j’ai réalisé mon premier court métrage et c’est là où j’ai décidé de me spécialiser en cinéma : j’ai eu mon diplôme en réalisation et j’ai fait mon DEA en Design/Image. Donc tout ce qui est management, gestion de ressources humaines, comptabilité, finance, etc, je les ai étudiés et ils m’ont toujours été familiers. J’ai beaucoup profité d’ailleurs de mes années à l’Essec.


Et pour «Les Epouvantails» de Nouri Bouzid, c’est donc vous qui avez proposé de le produire?


Absolument ! Je n’étais qu’actrice depuis 2013 sur ce film. Comme Nouri a eu des problèmes de financement, de production et de film à stagner, je lui ai proposé de tenter le coup en montant ma propre boîte. Il était partant, et je me suis lancée dans l’aventure.


C’était comment de travailler avec Nouri Bouzid ?



Enrichissant ! Nouri, c’est quelqu’un de qui et avec qui on apprend beaucoup. Cette production du film est très particulière parce que je n’ai reçu le papier officiel qui disait que le film passait à ma propre boite que le 9 janvier. Et comme le film traîne depuis 2014, la condition était de signer la convention avant le 31 janvier. Une fois la convention signée, le compte à rebours commence pour livrer le film et Nouri voulait absolument tourner en hiver. On avait le choix ou de commencer de suite ou de laisser tomber. On a commencé le tournage le 29 janvier. C’était donc une course menée avec une superbe équipe et ce n’était pas facile du tout.


Et du coup, sur ce film vous vous êtes retrouvée actrice… et productrice ? Ça n’a pas dû être facile de joindre les deux bouts.



Complètement ! On se faisait du souci pour moi et en guise de réponse, j’ai dit qu’en tant qu’actrice, ça m’arrivait souvent de changer de casquette. Parfois en même temps, on te demande de pleurer, une seconde après de changer d’état, d’apprendre un texte. J’ai réalisé à quel point le métier d’acteur est certes l’un des plus difficiles… mais il est très facile par rapport à la production ! (Rires). En tant qu’acteur, on est concentré, on fait notre boulot, ensuite, on rentre chez nous et on dort comme des bébés (rire), alors que pour la production, ce n’est pas du tout le cas. J’avais une superbe équipe réellement et c’est ce qui m’a aidée à jongler entre les deux.


Votre rôle dans le film est celui d’une avocate intègre, très engagée dans les Droits Humains. Est-ce que c’était facile de l’interpréter ?



Je l’ai aimé. (Rire). Je pense que pour un acteur, s’il aime son personnage, il fera tout pour le réussir. J’ai beaucoup aimé Nadia, de par son parcours, ce qu’elle a fait, ce qu’elle aimerait faire, accomplir, ses combats, ses convictions. Elle est l’avocate de ces deux filles, et du jeune garçon homosexuel. Elle est vraiment engagée, pour les libertés individuelles. C’est d’ailleurs ce que j’ai en commun avec elle en tant que Afef ben Mahmoud. J’ai fait le nécessaire donc pour bien l’incarner.


Comment s’est passé le tournage avec les trois nouveaux acteurs Mehdi Hajri, Nour Hajri et Joumene Limem ?



Franchement, Nouri a toujours été très fort en casting. Ça c’est l’histoire qui le prouve. Je pense qu’il n’y a pas d’acteur nouveau qui a travaillé avec lui et qui n’a pas reçu de prix d’interprétation : de Hind Sabri, Lotfi Abdelli, Ahmed Hafiane… toutes celles et ceux qui ont travaillé avec lui. Quand il choisit son acteur, je pense qu’il sait d’emblée qu’il va bien le jouer. Il sait très bien choisir. Même si j’ai plus d’expérience que Nour, Mehdi et Joumene mais ce sont des acteurs-nés. Quelque part, il fallait installer un rapport de confiance et une fois ce rapport installé, ça marche. Etre acteur, c’est avant tout être généreux ou être dans le partage avec ton partenaire peu importe qui il est. Et ils étaient formidables. J’étais très contente de travailler avec eux.


Le film passe un peu partout en Tunisie et à l’étranger. L’accueil critique et public est mitigé…



J’ai reçu beaucoup d’avis positifs. Mais de toute façon, un film c’est un point de vue. Et un point de vue diffère d’une personne à une autre. S’il était unanimement descendu, ou salué, ça aurait été bizarre. Nouri a en plus toujours su comment ouvrir le débat, et n’a jamais choisi la facilité. Ses sujets sont toujours délicats et peu traités. Déjà, quand on entend le terme «la Syrie», plusieurs nous ont dit «Non, mais c’est du déjà vu, déjà consommé». Je leur ai dit qu’on a vu beaucoup de films traiter du départ et non pas du retour. Mais le retour est très important également. On parle dans le film de la réintégration sociale des deux filles, revenues de Syrie. C’est comme si ce sujet est tabou et qu’on aimerait le garder tabou. C’est mon avis personnel. Je trouve que ce sujet n’a pas été très traité ni ici ni dans le monde arabe ni à l’étranger. C’est comme si on n’aime tellement pas parler de ces gens-là, que ça énerve de parler d’eux et de les exposer de cette manière. Ces gens-là font partie de notre société s’il s’agit de Tunisiens : on ne peut donc pas leur enlever le passeport, les rejeter ou les dénigrer. Au contraire, si c’est des gens qui rentrent avec des problèmes, il faut y remédier pour une meilleure réintégration et un vécu collectif en paix.


Le film s’en prend frontalement à la Troika, aux islamistes. Ça pouvait être redondant par moments…



D’une part, cela n’a jamais été dit d’une manière aussi frontale, je pense. On sous-entend mais pas d’une manière aussi directe. Et d’autre part, ce qu’on est en train de vivre aujourd’hui est le résultat des événements de 2013. On ne peut pas parler de quelque chose d’aussi important aujourd’hui, sans traiter le pourquoi des choses. Leur sens émane de 2013. Le spectateur pourra comprendre l’origine des choses à travers le personnage de l’avocate. D’autre part, avant la révolution, on ne pouvait jamais se permettre de parler aussi ouvertement ou d’évoquer des sujets similaires. Actuellement, on a ce luxe de s’exprimer aussi ouvertement, la tête haute. J’aime bien remettre les choses dans leur contexte et dire comment les choses ont évolué. Ça peut paraitre bizarre ! Et les combats sont toujours les mêmes depuis 2013. On est dans la continuité.


Brièvement, qu’est-ce qui différencie donc «Les Epouvantails» des autres films qui ont traité de l’extrémisme religieux ou de l’islamisme ?



Ce film parle de deux filles parties combattre en Syrie et de leur retour. Le film commence quand elles sont revenues en Tunisie et montre le déroulement de leur réintégration. On ne traite pas de l’islamisme comme dans les autres films et même pour l’aspect politique, je dis que si on a évoqué la Troika, c’est juste pour contextualiser et non pas pour parler des politiciens. Le film traite des rejets de ces personnes-là par tout le monde, par les politiciens, les voisins, leur familles, par elles-mêmes. Le film se veut différent et s’il ne s’est pas approfondi pour parler de l’islam ou de la Troika, c’est que ce n’était pas le sujet, tout simplement. C’est ma manière de percevoir les choses. Si on voulait parler de la Troika, il nous faudrait un autre film. Je suis artiste, pas politicienne. Ce qui m’intéresse, c’est le côté humain. Si on soigne l’humain, on peut régler beaucoup de problèmes sociaux et parvenir même à les éviter.


Actuellement, on peut vous voir au cinéma en tant qu’actrice dans «Avant qu’il ne soit trop tard» du jeune Majdi Lakhdhar. Comment s’est passée l’expérience ?



Mohamed Ali ben Hamra, que je salue, m’a approchée pour un premier rôle dans le film. Mais j’avais un calendrier hyper chargé et je n’étais pas disponible pendant la période du tournage. Ce qu’il m’a proposé au retour c’est de faire une apparition dans le film. Je l’ai fait sur deux jours. C’était un clin d’œil. Ça ne me dérangeait pas du tout. C’était, certes, un petit passage mais les gens m’en parlent beaucoup. L’exercice de cette caméra subjective n’était pas facile : au lieu de donner la réplique à des personnes, tu la donnes à la caméra. Même l’énergie qu’on tente de se créer entre acteurs d’habitude, elle est inexistante dans ce cas-là. Je salue d’ailleurs tous les acteurs qui ont accompagné cette expérience du début à la fin.


A l’instant, vous venez de terminer le tournage du dernier long métrage de Mehdi Hmili. Peut-on en savoir plus ?



Je n’ai pas le droit de parler avant la sortie du film. J’ai adoré travailler avec lui. C’est un réalisateur talentueux, doté d’une formidable manière de diriger les acteurs. Un rapport de confiance s’est installé entre nous et Mehdi donne de l’espace à son acteur. Chose qu’on ne peut pas avoir avec tout le monde et cet espace te permet de vivre encore plus le moment. Quand on vit le moment, en tant qu’acteur, c’est en le vivant qu’on peut réagir d’une certaine manière parfois et pas d’une autre et s’il y’a un réel rapport de confiance avec le réalisateur, tu peux te permettre de proposer, de te lâcher et de vivre le moment pleinement. J’ai fait le rôle d’une mère d’une cinquantaine d’années, c’est un rôle de composition.



Vous débutez bientôt le tournage de votre propre film en tant que réalisatrice. Où est-ce que vous en êtes ?



On attend encore le financement, collecter la somme recherchée et j’espère entamer le tournage en 2020. C’est une coréalisation et une coproduction entre la Tunisie et le Maroc. Ça parle de la danse et dans les troupes de danse, il y a toujours plusieurs nationalités. On vise beaucoup l’Europe pour les coproductions, mais moi je trouve que c’est très intéressant aussi d’en faire entre les pays du Maghreb. Il y a un traité qui parle de coproductions entre les pays maghrébins depuis 1997. Il y a eu beaucoup de films coproduits par le Maroc et qui partent ensuite en Europe pour la post-prod mais il n’y a jamais eu d’échange de films marocains vers la Tunisie. Donc, là, c’est vraiment un 50/50. Ça va être une première. J’espère qu’on va réussir à le faire. J’ai eu Malmo pour le développement, et le script et El Gouna pour le scénario. Le tournage aura lieu entre le Maroc et la Tunisie avec des acteurs algériens, marocains tunisiens et libanais. Le film s’intitule «Backstage».


Etes-vous toujours partante pour des rôles à la télévision ?



Bien sûr. Toujours preneuse. Je reste ouverte à n’importe quelle aventure professionnelle, peu importe la casquette. L’important est que le contenu soit bon. Je reste effectivement partante. Le projet doit être de qualité. J’ai un public, et je n’ai pas envie de le perdre.

Afef ben Mahmoud, actrice et productrice du film «Les épouvantails» de Nouri Bouzid : «Les combats sont toujours les mêmes …"
Ali Patrick El Ouerghi, fondateur des «Dunes Electroniques» : Les dessous d’une édition prometteuse
ENTRETIENS11 / 16 / 2019

Ali Patrick El Ouerghi, fondateur des «Dunes Electroniques» : Les dessous d’une édition prometteuse

Après un arrêt de trois années, «Les Dunes Electroniques» reviennent pour une 3e édition riche en musique, en art visuel, qui se veut engagée et qui se déroulera pendant le weekend du 16 et du 17 novembre dans le désert tunisien. L’évènement est un rempart aux difficultés d’ordre économique dans le sud tunisien et une aubaine pour les citoyens tunisiens originaires de Nafta et de Tozeur. Ali Patrick Ouerghi, fondateur de cet événement, nous dévoile les coulisses et les enjeux d’une édition particulièrement attendue par plus de 5000 festivaliers tunisiens et étrangers.


Patrick, vous êtes fondateur des «Dunes Electroniques» : un évènement qui a marqué 2014 / 2015. Tout comme l’Ephémère festival pendant l’été 2014, cet événement a lancé la culture des festivals de musique électronique et d’art visuel en Tunisie. Quelles sont les attentes ou l’impact que peut avoir un tel événement dans le sud du pays ?


En 2014 et 2015, ce festival a impacté la jeunesse tunisienne et les festivités électroniques qui ont suivi après. Pourquoi on l’avait créé à l’époque ? On avait lancé l’hôtel Dar Hi à Nefta, à cette époque le tourisme et l’économie du pays étaient au point mort. Et c’est le sud qui en souffrait le plus. Il fallait faire quelque chose pour que cela change et on s’est tout de suite dit que la culture pouvait être un rempart, un moyen de redynamiser la région qui était en train de mourir. Les gens de la région avaient besoin d’un coup de pouce, un coup de projecteur pour promouvoir leur région et leur remonter le moral. De plus, on pouvait en faire un outil de développement régional. La dynamique qui se crée ici pendant le festival est hallucinante : les secteurs touristiques et artisanaux sont revivifiés. Tout le monde bouge, tout le monde se sent impliqué, les commerçants sont entrés en lice, les établissements hôteliers sont au grand complet. L’impact est grandiose, c’est l’objectif.


Sur le plan de la programmation, est-ce que cette 3e édition reste dans la continuité des deux précédentes ou est-ce qu’elle s’innove et se veut différente ?


Pour la 3e édition, et d’une édition à une autre, on tient à évoluer, à s’améliorer. C’est important pour nous d’organiser cette édition en cette période de l’année, de braver les intempéries s’il y en a et de se munir. On apprend de nos expériences : en 2015, rappelons-le, tout le programme qu’on avait tracé est tombé à l’eau à cause des pluies diluviennes qui se sont abattues sur la région. Cette année, on revient avec tout ce qu’on avait prévu de concrétiser auparavant, avec une trentaine d’heures de musique électronique : une vingtaine d’artistes internationaux et une dizaine de DJ tunisiens et notamment des stars comme Luciano, un des piliers de la musique électronique. On a décidé cette année d’étoffer l’aspect artistique avec de l’art par exemple : installations artistiques, chorégraphies, œuvres d’’art venues du monde entier. De plus, la programmation promet, puisque une bonne partie de l’évènement se déroulera dans les décors de «Star Wars». D’ailleurs, on réserve de grands écrans pour regarder des films « Star Wars». On a reçu des performances de danseurs/ danseuses qui se joindront aux festivaliers pendant la nuit. Ça c’est la partie Culture / Art, répartis dans des Hashtags en ligne. On a également ajouté «les dunes Spirit» en Hashtag pour entretenir l’humeur et le bien-être des festivaliers, ajouter une touche de spiritualité, et de faire appel à un Chaman, qui fera de la méditation. D’autres activités dans ce sens sont au programme. La décoration du site de Star Wars et sa scénographie étaient au point. Sans oublier les workshops avec des étudiants de l’Enau et l’Essted chapeautés par la Maison de l’Image, etc. On se veut participatifs, tout le monde peut s’approprier «les Dunes Electroniques» et il faut garder ce fil conducteur. L’événement est tout public et s’adresse à toutes les tranches d’âge. J’espère le voir acquérir une notoriété internationale dans quelques années. Il ne faut pas oublier l’engagement écologique prôné par l’équipe des Dunes qui veillera à la protection de l’environnement en faisant appel à des associations et des organismes. On est dans le désert : il faut s’engager à le laisser propre en sensibilisant tout le monde à la protection de la nature.


Quelles sont les dispositions prises pour faire face aux intempéries et aux débordements d’ordre sécuritaire ?


Éviter les intempéries, on fera de notre mieux (rire). En tout cas, a priori, il fera beau. On a pris des dispositions très importantes bien sûr : La Garde nationale est notre alliée et ici, ça sera le coin le plus surveillé de toute la Tunisie. Notre garde travaillera à tous les niveaux, sur le site, les frontières, dans le désert, etc. Une mobilisation pareille est exemplaire. On ne peut pas organiser un événement d’envergure sans assurer la sécurité de bout en bout et sans s’associer aux autorités.

L'Episode 3 des Dunes Electroniques.png

Les festivaliers seront au rendez–vous : les chiffres sont–ils à la hauteur de vos espérances ?


Les ventes se passent très bien : énormément de gens sont attendus. Les hôtels affichent complet. Le transport est au point, les covoiturages, plus de 50 journalistes attendus pour l’occasion : des festivaliers étrangers qui viendront à l’occasion. Notre parrain Jack Lang sera parmi nous, l’ambassadeur de France, M. Olivier Poivre d’Arvor, également. Une occasion de se retrouver et de montrer que c’est un festival important «Made in Tunisia».


Comment les Tunisiens originaires de Nafta et de Tozeur sur place perçoivent-ils l’organisation de ce festival ?


Si le festival tient toujours la cadence, c’est grâce à eux : depuis l’organisation de la dernière édition, ils n’arrêtent pas de réclamer le retour des « Dunes Électroniques », à l’unanimité. Ça fait plaisir de voir une si grande mobilisation pour réussir un festival qui rassemble plus de 6000 festivaliers dans la région. Même à l’époque où le tourisme allait bien, il n’y a pas eu d’évènements similaires dans la région : affiches partout, autorités régionales, le gouverneur de Tozeur et son soutien indéfectible. Cet événement est capital pour le développement de la région, sans oublier, le soutien inconditionnel du ministre du Tourisme, M. René Trabelsi.


Justement, après une éclipse de 3 ans, comment avez-vous pu ressusciter les « Dunes » avec le soutien du ministre du Tourisme ?


Je n’ai pas jeté l’éponge. J’ai continué à travailler mais tout a été mis en «stand by» pour l’aspect festif : il faut dire que depuis, la Tunisie et la France ont traversé une période sécuritaire critique. On a résisté et on a continué à essayer de remédier aux problèmes du tourisme dans la région et, au fur et à mesure, le ministre du Tourisme a été intéressé par l’initiative et a tenu à apporter son empreinte. Depuis, on a acquis une certaine expérience. Pas mal d’événements ont eu lieu à Djerba, notamment, partout ailleurs et même en France, et c’était inévitable que les Dunes devaient revenir. Et M. René Trabelsi a tenu à relancer le festival.


Trouvez-vous tout de même qu’économiquement le pays est en train de remonter la pente ? Que des améliorations sont tout de même à retenir ? Que le tourisme s’embellit dans cette région ?


Je trouve qu’en Tunisie, on a souvent tendance à parler de tourisme dans le sud ou comment faire pour remédier aux carences du tourisme du désert, du sud, ou même de l‘intérieur. On propose, on évoque, mais on n’agit pas réellement. Les hôtels, les restaurants se font rares et ne sont pas au point, les avions ne sont pas à l’heure. La culture des gros événements marquants comme celui-là ne peut être que bénéfique : il faut être innovant, la région attire toujours autant, il faut créer de nouveaux circuits, de nouveaux parcours, innover à la base. Il y a du travail, beaucoup de travail encore à faire et il faut surtout être innovant. La Tunisie a un potentiel jeunesse énorme.


Beaucoup espèrent faire des «Dunes électroniques» à long terme une sorte de «Burning Man» en Tunisie …


(Rires), Pourquoi pas ? On a tout ce qu’il faut pour atteindre cet objectif.

Ali Patrick El Ouerghi, fondateur des «Dunes Electroniques» : Les dessous d’une édition prometteuse
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