Articles

« Je suis Cide » de Tarek Sardi : Monologue sur grand écran
REVIEWS & CRITIQUES1 / 8 / 2022

« Je suis Cide » de Tarek Sardi : Monologue sur grand écran

Telle une spirale de mots/maux, « Je suis Cide » de Tarek Sardi happe le spectateur. Son dernier film en date raconte en un temps court les affres d’une époque et les errances d’un individu, entraîné dans des interrogations et dans une recherche de soi effrénée.


« Je suis Cide » est vu, mais il est surtout écouté. Son point fort reste son texte : un monologue d’une douzaine de minutes qui raconte « Cide », le personnage principal du film interprété par Helmi Dridi. A la fois poético-philosophique, ces mots ne font pas que caresser les oreilles, ils résonnent haut et fort afin d’inciter à une réflexion, ou provoquer un changement. « Je suis Cide » oscille entre images d’animation et prises réelles. Il est hybride, riche d’un répertoire verbal soutenu, et possède une approche philosophique. « Cide », trentenaire, erre dans une grande cité, rongé par un mal-être profond, il s’abîmera au fur et à mesure, à la recherche de soi.


Produit par « 3e Genre Production », « Je suis Cide » est le 2e film de Tarek Sardi. Le premier « A tribord, je vomis » a été réalisé en 2019 et projeté lors de la 2e édition Mawjoudin Queer Film Festival. Le réalisateur manie les images et les univers, mais son dada reste l’écriture : les mots pour raconter les problèmes des minorités, disséquer les tabous, aborder les interdits, crier toutes les injustices confondues et relater les conflits universels autrement.


«Je suis Cide » a été présenté lors de la 32e édition des Journées cinématographiques de Carthage. Il est paru en livre, en version numérique initialement et fait office d’un prequel à un long-métrage. L’équipe du film est constituée de Franco-Tunisiens, citons la productrice Kaouther Hadidi, Fakhreddine Amri, Helmi Dridi, Aymen Mbarek, Adonis Romdhane, Ramis Barka … et Mahmoud Turki à la musique. « Je suis Cide » est attendu dans les salles en Tunisie en 2022.

« Je suis Cide » de Tarek Sardi : Monologue sur grand écran
«Souad» d’Ayten Amin : Récit vertigineux
REVIEWS & CRITIQUES1 / 2 / 2022

«Souad» d’Ayten Amin : Récit vertigineux

Crise identitaire, errance 2.0 et relationnel débridé ont fait le vécu court, mais intense d’une jeune adolescente égyptienne. «Souad», le long métrage d’Ayten Amin, par son propos, fait écho aux maux d’une jeunesse égyptienne en mal de vivre.


Le film d’Ayten Amin est sélectionné en compétition officielle au festival de Cannes en 2020. «Souad» brille par l’universalité de sa thématique, mais reste profondément ancré dans une dure réalité égyptienne. Elle a 19 ans, s’orne de ses plus beaux vêtements et n’a que son reflet dans son smartphone qui compte : «Souad» puise son bonheur dans le nombre des «J’aime» générés sur les réseaux sociaux et nourrit son estime de soi dans du voyeurisme «instagrammé», mais comme toute adolescente, les amours vécues en ligne finissent par être glissantes.


«Souad» habite «Zagazig», petite ville égyptienne, a des copines proches, rencontre des hommes en ligne, et s’adonne éperdument dans une double vie, sous la pression sociale. Jusqu’à ce que l’inattendu arrive et laisse planer une série d’interrogations et de nombreuses suppositions chez ses proches, restés en suspens. Et c’est «Rabeb» la petite sœur de «Souad», qui se lancera dans une quête à la recherche de pistes qui expliqueraient cet égarement suspect.


Le film brosse les relations familiales rigides entre jeunes filles et parents, mais situe également les deux sœurs dans une réalité sociale conservatrice. Une manière de plonger le public dans les méandres de ce refuge virtuel que sont les réseaux sociaux et de souligner leur place prépondérante dans l’existence de toute une jeunesse égyptienne (ou autre). Fort de son propos, le film est structuré autrement : il s’ouvre brutalement sur «Souad», personnage, a priori, principal qui cèdera la place à la sœur cadette et à un autre personnage masculin. Le film happe dès les premières scènes, mais finit par s’étirer, doucement jusqu’à sa chute finale douce-amère, voire brouillée, finalement menée par une poignée de jeunes acteurs, à l’interprétation maitrisée. Mais «Souad», le film, peut égarer et laisser perplexe, à cause de sa narration saccadée et ses répliques échangées à l’arraché.


Le film est une co-production tuniso-germano-égyptienne, actuellement à Cinémadart et Amilcar.

«Souad» d’Ayten Amin : Récit vertigineux
«The French Dispatch» de Wes Anderson : Hommage à l’âge d’or du journalisme
REVIEWS & CRITIQUES12 / 30 / 2021

«The French Dispatch» de Wes Anderson : Hommage à l’âge d’or du journalisme

Ayant fait les frais d’une pandémie féroce, le dernier long métrage de Wes Anderson a été retardé maintes fois pour sa sortie mondiale attendue. Les JCC l’ont présenté à quelques jours de sa sortie officielle dans le reste du monde et, hier, l’Agora s’est chargé de le programmer en fin de soirée. Probablement sa dernière projection au cinéma. Bel hommage au cinéma noir et blanc et à l’histoire de Paris, racontés autrement.


«The French Dispatch», signé Anderson, a longtemps fait parler avant sa sortie, et pour cause : sa distribution de qualité. Le casting réunit une poignée d’acteurs et actrices à la notoriété importante et venues de tout bord : de Bill Murray à la nouvelle Cécile de France, de Tilda Swinton à Mathieu Amalric, d’Adrien Brody à Léa Seydoux, en passant par Frances McDormand, Owen Wilson, Timothée Chalamet, Benicio del Toro, Guillaume Gallienne ou encore la jeune Algérienne Lyna Khoudri, ainsi que Soirse Ronan et Elizabeth Moss et la liste est encore longue.


Différentes nationalités, différentes têtes d’affiche, toutes ou presque confirmées. Le film sur 2h15 raconte une France autre, riche de son histoire, d’anecdotes, d’art et de littérature. Telle une anthologie, le récit parvient à convaincre.


Le réalisateur américain mais profondément francophile s’est inspiré des publications du journal «The New Yorker» afin de ficeler son scénario. Il s’est profondément imprégné d’un journalisme à l’ancienne afin de reconstruire une France Vintage et qui provoque, de nos jours, nostalgie et attachement à des temps passés. Le film est un spectacle sur grand écran aux tournants inattendus. Les scènes courtes, que certaines grandes stars assurent, parviennent à mettre plein les yeux à un large public. Mais miser sur le divertissement peut cacher des faiblesses dans un scénario qui raconte une France d’antan idéalisée voire longtemps rêvée.


«The French Dispatch» ne peut avoir un seul résumé tant il est composé de récits parallèles : le film met en scène un recueil d’histoires tirées du dernier numéro d’un magazine américain publié dans une ville du XXe siècle et rend hommage au rédacteur en chef et fondateur de ce journal, décédé et interprété par Bill Murray. Les journalistes, travaillant avec lui, sont installés dans la petite ville française fictive d’Ennui-sur-blasé : Ils lui rendent un dernier hommage en rassemblant les articles et sujets qui ont fait les beaux jours du journal.


Les sujets qui ont fait ces diverses rubriques sont racontés à un spectateur qui se retrouve happé par l’histoire d’un reporter en train de raconter l’histoire de sa ville, d’un prisonnier psychopathe, des aléas de jeunes étudiants dans un Paris déchiqueté par l’après-guerre, ou d’un commissaire à la recherche de son fils kidnappé.


A travers ces histoires, le film revisite certains tournants de l’histoire de France comme Mai 68, la cuisine à travers l’histoire, les violences policières qui persistent, ou l’art devenu trop élitiste. Le film, découpé tel un livre littéraire, est un hommage à Jacques Tati. Il est puissant de par ces personnages loufoques, ces décors qui font rêver et sa musique hyper rythmée. L’hommage rendu à un journalisme d’antan reste exceptionnel.

«The French Dispatch» de Wes Anderson : Hommage à l’âge d’or du journalisme
Saison 2 de « Ken ya Makanech » d’Abdelhamid Bouchnak : Un retour frais et grinçant
REVIEWS & CRITIQUES12 / 21 / 2021

Saison 2 de « Ken ya Makanech » d’Abdelhamid Bouchnak : Un retour frais et grinçant

Le tournage de la saison 2 de « Ken ya Makanech » a débuté ce weekend, toujours sous la direction d’Abdelhamid Bouchnak. Nouvelles recrues, nouveaux personnages, nouvelles intrigues et la suite prometteuse sont en train de se mettre en place. Un avant-goût pour les téléspectateurs urge, avant la diffusion prévue pour le mois de Ramadan.


« La 2e saison de ‘‘Ken ya Makanech’’ sera ma dernière production télévisée ramadanesque. Nous ferons tout en notre pouvoir pour la rendre la plus passionnante possible », a déclaré Abdelhamid Bouchnak face à des journalistes et comédiens lors d’un point de presse. Des comédiens retenus pour le casting de la 2e partie. Une manière d’annoncer le démarrage de ce tournage tant attendu.


Cette 2e saison, dans la continuité de la 1ère, promet de conquérir petits et grands. « Ken ya Makanech » a beau critiquer, et interroger le vécu des Tunisiens et des aléas que connait leur pays, elle parvient également à ravir les enfants par son aspect enchanteur, fantaisiste et conteur. Les comédiens ont, en effet souvent campé des personnages féériques, inspirés des contes de Grimm et autre histoires célèbres pour enfants. La série, au ton décalé, ne manquera pas également d’être encore plus corsée. Dérisions et critiques feront partie intégrantes du scénario.


Quelques axes encore ouverts connaîtront une suite, mais des nouveautés auront lieu également, toujours conçus d’une manière à titiller l’esprit critique et la réflexion. Des noms de la scène artistique s’ajouteront à la liste déjà bien garnie de la 1ère saison; citons Sawssen Maalej, Moez Gdiri, Nourreddine Ben Ayed, Kamel Touati, Faycel Ezzine, Fathi Haddaoui, Naima Jeni, Najia Ouerghi, Amira Chebli, Marwen Lariane, Bilel Slatnia… « Je puise mon inspiration de ma nostalgie et des années de mon enfance. Normal que je fasse appel à des noms aussi connus », déclare Bouchnak. Les acteurs de théâtre montants feront également partie de l’aventure. « Le théâtre est la base de ce que nous faisons et le restera », précise le réalisateur. Un nouveau personnage qui s’appelle « Kourinti » fera long feu et les téléspectateurs feront la connaissance de la famille de « Chou », interprété par Bahri Rahali et son épouse « Mahsoub », campé par Naima Jeni.


En revanche, le ton de « Ken Ya Makanech » promet d’être plus sérieux. Un peu moins humoristique que l’année dernière. L’un des principaux challenges est d’équilibrer entre les deux tons : dramatique et humoristique, avec un air toujours aussi grinçant et ironique.

Saison 2 de « Ken ya Makanech » d’Abdelhamid Bouchnak : Un retour frais et grinçant
Retour sur «La sauvée»  : Du théâtre en prison
REVIEWS & CRITIQUES12 / 18 / 2021

Retour sur «La sauvée» : Du théâtre en prison

«La sauvée» est un spectacle théâtral féminin et musical, accompagné d’un artiste virtuose. D’une durée de 50 min, un groupe d’amatrices passionnées a fini par conquérir le public des JTC 2021, venu les découvrir à la maison des jeunes dans le cadre des rendez-vous de la section «théâtre des libertés» à la salle Ibn-Khaldoun. Point fort du spectacle : les actrices méconnues sur scène ne sont autres que les détenues de la prison civile des femmes de La Manouba.


Ambiance tunisienne traditionnelle, musique tunisienne, orientale et mise en scène inspirée d’un lieu architectural typiquement tunisien, «La Sauvée» s’annonce 100% féminin, si on ne compte par l’apport du musicien muni de son instrument musical afin d’assurer le fond musical de la pièce.


La petite scène de la salle Ibn-Khaldoun – Maison de la culture a accueilli, en différé, 9 comédiennes/détenues issues de la prison des femmes de La Manouba et venues présenter leur travail théâtral et scénique face à un public curieux et en grande partie composé de leurs familles et amis.


La pièce alterne danse traditionnelle, musique et dialogue autour d’interrogations diverses entourant une jeune femme ayant grandi dans un environnement conservateur et traditionnel et souffrant du poids insoutenable de la société, ayant aussi des difficultés à s’affranchir. Epiée par son entourage, naviguant entre la mort et la vie, vouée à ses prières, ses croyances et son attachement aux traditions locales, la pièce brosse un vécu personnel et social. Elle parvient à toucher le spectateur puisqu’elle reflète l’effort et l’engagement artistique de détenues/interprètes, déterminées à mener jusqu’au bout leur travail scénique, accompli en prison sur des mois, afin de le présenter à temps dans le cadre de la 22e édition des Journées Théâtrales de Carthage.


La maison des jeunes Ibn-Khaldoun a accueilli la section «le théâtre des libertés» sur toute une semaine, dédiée au travail théâtral accompli par les prisonniers dans différentes prisons de la république tunisienne. Une réduction de la peine des détenues/artistes participants à cette section des JTC aura lieu, après la fin de cette 22e édition.

Retour sur «La sauvée» : Du théâtre en prison
«Midsommar» d’Ari Aster : Bien plus qu’un film horrifique
REVIEWS & CRITIQUES7 / 12 / 2020

«Midsommar» d’Ari Aster : Bien plus qu’un film horrifique

Transcendant, psychédélique, haut en couleur… Le 2e long-métrage du jeune Ari Aster a révolutionné les films du genre. Il serait léger ou même rabaissant de classer «Midsommar» film d’épouvante/horreur quand cette attraction cinématographique est très loin d’en être un. Les spectateurs se font entraîner dans une spirale visuelle hallucinogène à l’image des protagonistes également aspirés par les rites païens et ancestraux d’une petite communauté… Bienvenue à «Harga».


Ari Aster, qui a enchaîné avec «Midsommar», à peine un an et demi après le déroutant «Hérédité», s’est abandonné dans les effets visuels tout en maîtrisant le drame principal. Une histoire qui passe de la noirceur à une fausse luminosité, dénuée d’espoir, porteuse de terreur et d’hostilité. Ce film est un voyage spirituel qui prend un tournant terrifiant, vécu sous les cieux brillants d’une région rurale, ensoleillée, tout le temps …En Suède ! Et survivre au soleil de Minuit s’avérera... fatal.


Le film relate l’histoire d’une rupture amoureuse, aggravée par le drame familial affligeant vécu par Dani (Florence Pugh). Christian, son copain depuis 3 ans et demi (interprété par Jack Reynor), est de plus en plus absent, évasif au fil des années. L’éloignement se fait sentir. C’est alors qu’un voyage en Suède s’offre à eux deux et à un groupe d’amis de Christian. Un voyage peu ordinaire dans lequel ils devaient assister et participer aux coutumes locales d’une secte mystérieuse. Petit à petit, des évènements plus qu’étranges surviendront…


Les déplacements, comportements, mimiques et gestuels des figurants -acteurs du film sont perçus comme une chorégraphie synchronisée du début à la fin, qui plongerait et les visiteurs sur place et les spectateurs dans les us étranges de cette communauté… En apparence bienveillante ... rassurante avant d’entamer subtilement des rituels d’initiations diverses.

Le-couple-de-midsommar.webp

Premier constat, la plupart des habitants de cette communauté sont des femmes : la structure même de ce microcosme rural est matrimonial. Le matriarcat bat son plein à «Harga», ce village sordide où tâches ménagères, accouplements, cuisine, besognes du quotidien sont effectués au détail près. La cheffe suprême de la tribu est d’ailleurs nommée «Reine de Mai». Pour cette cérémonie, une nouvelle reine doit être élue tous les 90 ans et Dani, une fois sur place, ne passe pas inaperçue et se laissera au fur et à mesure même tenter par le trône.


Contrairement à la majorité des films d’horreur, «Midsommar» est coloré et lumineux. Ce long-métrage d’épouvante solaire est visuellement très attractif grâce à une nature fleurie et verdoyante, filmée en abondance. Les rites effectués par la communauté de «Harga» se déroulent une fois tous les cent ans, pendant la période du solstice d’été, lorsque le soleil ne se couche jamais pendant des mois et des mois à «Harga». Effrayant à souhait sous le soleil brûlant de ce beau patelin, "Midsommar" rime avec sacrifices humains, agissements sordides et interrogations à n'en plus finir… Autant de détails plaisants esthétiquement pour les yeux s'avèrent trop beaux pour être vrais. Ils étaient même annonciateurs d’un cauchemar esthétique, fortement oppressant.


Ari Aster n’a pas manqué de placer des personnages déficients mentalement et très présents d’ailleurs dans la bande-annonce. Son but était de normaliser la différence chez les autres à travers des apparitions très furtives. Ces mêmes personnages ne pesaient pas tellement dans l’intrigue du film mais étaient sans doute générateurs de tensions et de visions déroutantes. Des personnages déficients mentalement mais acceptés et même adulés par cette secte malgré leurs handicaps.


Dans des médias étrangers, Aster dit vouloir changer la représentation des handicapés dans ses films. Ces individus très souvent mal représentés selon lui dans de nombreux chefs-d’œuvre du cinéma devront avoir leur place au cinéma. Le réalisateur et scénariste n’hésite pas à tacler cette culture New Age montante et très en vogue dans les Etats-Unis de Trump où de petites communautés, comme celles de «Harga», ne cessent de pulluler. Dans de nombreuses scènes, Aster les tourne même en dérision. Ari présente aussi une vision de l’amour totalement spirituelle, utopique et réesquisse l’accouplement et le fait de donner la vie, Autrement... à sa manière.


Des recherches très approfondies ont été menées depuis au moins 6 ans avant la sortie du film. Une plongée dans les traditions nordiques et folkloriques suédoises a été menée par Aster qui a découvert de nombreuses coutumes sanguinaires et même des méthodes de torture largement héritées par des générations. Un langage corporel et verbal a même été inventé en plus d’avoir attribué à cette secte fictive des traditions inspirées de faits réels.


«Midsommar» nous étouffe autrement que par des méthodes classiques qu’on a largement l’habitude de voir dans d’autres films d’épouvante. Anxiogène et solaire, il nous prend aux tripes du début jusqu’à la fin. Du haut de ces 33 ans, Aster révolutionne à la racine le film du genre. Une prouesse saluée par Martin Scorsese en personne qui commente ainsi «Midsommar» dans les médias étrangers : «Je ne veux rien dévoiler de ce film, car vous devez le découvrir par vous-même. Je peux vous dire que la maîtrise formelle est tout aussi impressionnante que celle qu’on perçoit dans ‘Hérédité’. Peut-être même plus, et qu’il creuse des émotions tout aussi réelles et profondément inconfortables que celles partagées par les personnages du film précédent. Je peux également vous dire qu’il y a dans ce film des visions réelles, en particulier dans la dernière partie, que vous ne risquez pas d’oublier. Moi, je ne les ai certainement pas oubliées.».

«Midsommar» d’Ari Aster : Bien plus qu’un film horrifique
« In Between » de Sahar El Euchi : Comme un rêve abîmé
REVIEWS & CRITIQUES10 / 26 / 2019

« In Between » de Sahar El Euchi : Comme un rêve abîmé

Le 2e court métrage de Sahar El Echi a sillonné deux festivals nationaux avant d’être retenu pour au moins trois festivals à l’international : le Beirut International Women Festival au Liban en mars, la 25e édition du Festival international de Casablanca prévue pour le 22 avril 2019 et l’Unframed festival à Berlin.


L’expérimental se laisse sentir et ne se laisse pas uniquement consommer. « Bine el Binine/In Between/Entre-deux », d’une durée de 6’24, exprime poétiquement, à travers une voix off féminine, un malaise intérieur persistant, qui peut être vécu au quotidien.


Le film plonge le spectateur dans une journée morne, celle d’un personnage enfermé chez lui, dans une demeure, secouée par des cris de détresse. Le personnage, dont on ignore le genre, est accompagné par une voix féminine qui décrit ses déplacements, ses agissements les plus ordinaires : comme veiller, dormir, s’allonger, sortir ou arpenter le jardin ou les couloirs sombres. La tension monte, accentuée par l’impact des mots énoncés. Les plans fusionnent, montrant des détails ordinaires : photographies, souvenirs, bruits, lumières, dates… La voix qui porte le film retentit comme des pensées intérieures. Celles de cet être torturé. Des bribes de pensées exprimées ouvertement. L’étouffement atteint son paroxysme vers la fin.

frame_1_aeb1d934c6.webp
In_Between_Still_2_edeb82cd0e.webp

Le titre du film, traduit en trois langues, donne libre cours à diverses interprétations. Le court métrage est une réalisation indépendante projetée en Vost/Ang, réalisé et filmé à « Dar Eyquem » à Hammamet, lors d’une résidence artistique. La voix off est celle de Nejma Zghidi et la direction artistique a été confiée à Marwen Abouda. Le texte, point fort du film, a été écrit par Sahar El Echi et Ayoub El Mouzaine. Photographe et artiste visuelle également, Sahar El Echi a fignolé les images de son film avec l’aide de Hiba Dhaouadi.

Affiche_Sahar_El_Echi_220344e297.webp

Le film a été projeté lors de la 2e édition du festival « Regards de femmes », consacrée aux œuvres cinématographiques réalisées par des femmes tunisiennes, maghrébines ou issues de la région Mena en octobre 2018. « Entre-deux » a aussi raflé le 3e prix lors du dernier Fifak en août 2018. Le RPM Fest (Boston) l’a retenu pour son édition de février 2019, ainsi que la Sharjah Art Foundation, initiatrice du Sharjah Film Platform (UAE). Il a été sélectionné récemment au « Gabès Cinéma Fen » dans la catégorie « courts – métrages ».

« In Between » de Sahar El Euchi : Comme un rêve abîmé
«EL Harba» (La fuite) de Ghazi Zaghbani : L’improbable face-à-face
REVIEWS & CRITIQUES6 / 6 / 2019

«EL Harba» (La fuite) de Ghazi Zaghbani : L’improbable face-à-face

L’interprétation magistrale d’un trio d’acteurs : Ghazi Zaghbani, Nadia Boussetta et Mohamed Ali Grayâa, les protagonistes du huis clos haletant «El harba» (La fuite), ne cesse de drainer un public venu nombreux les applaudir chaque fin de semaine : Prochain rendez-vous le 22 juin 2019 à partir de 19h30 toujours à l’Artisto.


Mise en scène et jouée par Ghazi Zaghbani, son œuvre «La fuite» se joue toujours à guichets fermés dans ce théâtre de poche. La thématique de la pièce, à la fois audacieuse et subtilement traitée, la rend toujours aussi attrayante.


Le public se retrouve témoin d’un face-à-face improbable entre une prostituée et un fanatique religieux. Ce dernier tentait d’échapper à la vigilance des autorités et se retrouve coincé dans l’antre d’une fille de joie. Commence alors un dialogue tumultueux entre les deux personnages que tout oppose.


L’échange se déroule dans l’enceinte d’un espace fermé : la chambre d’une prostituée, au décor minimaliste reconstituée et parfaitement adaptée à l’espace, maîtrisé aussi minutieusement. Le spectateur fait brutalement la connaissance d’une travailleuse de sexe, «Narjess», vêtue légèrement et d’un extrémiste à la barbe et au quamis long. Ce dernier fait irruption chez elle, fuyant la police à ses trousses. «Narjess» l’aidera malgré l’idéologie extrémiste qu’il prône.


Éclate alors un dialogue salace, mais subtil pendant une heure. Les deux personnages, censés se repousser, fusionneront au fur et à mesure de cette rencontre.


L’objectif de l’œuvre est de mettre en relief les contradictions d’une Tunisie, tiraillée entre modernisme et conservatisme, et accentuées depuis l’éclatement de la révolution. Ce petit pays, qui demeure le plus ouvert du Maghreb et du Moyen-Orient, continue de subir les aléas d’un soulèvement populaire doublé par une crise identitaire. Rongé par le conservatisme, il continue tant bien que mal de résister. «El Harba» de Ghazi Zaghbani est un hymne à la tolérance et une invitation au dialogue et au vivre-ensemble malgré les différences.


L’œuvre, conçue à l’espace L’Artisto à Tunis, devait toujours se jouer dans un espace clos en cas de décentralisation car elle repose sur la proximité qui unit les personnages à leur public. Le texte de «La fuite» est une adaptation du roman en français de Hassan Mili «La P… savante» et sera adapté bientôt sur grand écran.

«EL Harba» (La fuite) de Ghazi Zaghbani : L’improbable face-à-face
«Asker Ellil» ou «Les années folles» de Soufiane ben Farhat : Tunis d’antan !
REVIEWS & CRITIQUES6 / 2 / 2019

«Asker Ellil» ou «Les années folles» de Soufiane ben Farhat : Tunis d’antan !

Sa scène est reconstituée avec des décors imposants qui réfèrent aux édifices tunisiens des années 20. Une immersion temporelle commence dans une période d’effervescence qui a duré une dizaine d’années. «Les soldats de la nuit» ou «Asker Ellil» en étaient les protagonistes, ce sont ceux qu’on surnommait «Les bohémiens», de l’après-Première Guerre mondiale. Issus pour la plupart de l’intelligentsia : ils se livraient à des errances nocturnes passionnantes, toujours dans une Tunisie soumise au colon français.

Cette comédie musicale reconstitue cette atmosphère typiquement tunisoise où régnaient autrefois des divas : elles enivraient leur public, attisaient les convoitises et ensorcelaient la foule. Présence scénique radieuse, voix envoûtante, elles étaient devenues les symboles de la libération de la femme, des transformations des mœurs, d’un affranchissement des superstitions et des traditions. L’œuvre est une reconstitution des bas-fonds de Tunis : de Beb Souika, en passant par El Halfaouine. Quatre divas très connues dans ses quartiers auparavant s’adonnaient aux chants : l’iconique Habiba Msika, Chefia et Hassiba Rochdi et Fathia Khairi. Des femmes ayant toutes un destin différent. Elles étaient souvent entourées, voire adulées par «les soldats de la nuit» : Ali Douagi, Abdelaziz el Aroui, Abderrazak Karabaka, Hédi Laâbidi, Jamel Eddine Bousnina, Mahmoud Bourguiba, Jaleleddine Naccache et Mustapha Khraief. D’autres citoyens lambda, esquissés d’une manière caricaturale, ont été ajoutés à cet univers haut en couleur, en chant, en poésie.

Comme toutes les comédies musicales, les acteurs devaient jouer la comédie sur scène, danser et chanter. Pour cette création, une quinzaine d’acteurs s’en sont donnés à cœur joie : des professionnels du milieu du théâtre, du cinéma, de la télévision et du chant se sont emparés gracieusement de la scène : Khaled Houissi, Fathi Msalmeni, Taoufik el Bahri, Oumaima Maherzi. Ils portaient le travail de bout en bout. Le point fort était surtout d’écouter un ancien jargon tunisien, arabe, particulièrement soutenu, recherché et très bien maîtrisé par les acteurs. Un florilège de mots et d’expressions retentissait tout autant que les chansons.

La création consacrait un volet à chaque diva. Des femmes iconiques interprétées par de vraies chanteuses à la voix remarquable. On regrette les parties jouées en play-back par moments mais aussitôt, rattrapées par des morceaux en live plaisants à écouter : une exploitation réussie de ce patrimoine musical tunisien, toujours aussi prisé de nos jours.

«Asker Ellil» a embarqué sur scène près de 24 artistes dont des chorégraphes amateurs. Cette époque-là n’a pas été représentée auparavant sur scène. Défi globalement relevé par toute l’équipe : Mourad Gharsalli en tant que metteur en scène, Ahmed Rezgui et Siwar Ben Cheikh en tant que scénographe et costumier. Des costumes qui n’épousaient pas totalement l’époque par moments, mais qui se diluent finalement dans cet univers générateur de nostalgie. Nourredine Ben Aicha s’est chargé du volet musical. Cette époque marquante bouleversait la société et ses mœurs, la vie culturelle et artistique et a vu naître les premières prémices d’une conscience politique, d’une lutte pour l’indépendance : l’histoire d’une nation enrichie par le mouvement des syndicats et par l’émergence de partis politiques dont le Destour. Une époque qui a connu la création de la Rachidia également. La recherche pour «Asker Ellil» fut d’ailleurs en grande partie journalistique.


«Asker Ellil» ou «Les années folles» de Soufiane ben Farhat : Tunis d’antan !
Facebook
Twitter
Instagram
LinkedIn
haithemhaouel221@gmail.com