Rachid Ouramdane, artiste chorégraphe français, directeur de la danse au Théâtre de Chaillot depuis avril 2021, a été invité par le ballet de l’Opéra de Tunis, en résidence, dans le cadre d’une session intensive avec les chorégraphes tunisiens du ballet de l’Opéra durant cinq jours. Ce talent a été accompagné par un jeune circassien, Hamza Benlabied.
L’occasion pour le public tunisien, dans un futur proche, de découvrir une création qui verra le jour à Tunis, résultante d’une collaboration et d’un travail communs qui aura lieu sur la durée entre communauté de danseurs, circassiens et chorégraphes des deux rives de la Méditerranée, chaperonnés par Rachid Ouramdane, qui sera dans la transmission d’un savoir-faire, et dans le partage d’expériences. Ce bref, mais intense passage à Tunis, trace les prémices d’une création et d’un enrichissement artistique garanti.
Ce travail artistique est une occasion de voir fusionner de nombreux imaginaires qui existent entre communautés d’artistes venues de toutes parts : Ouramdane est à Tunis et tient à capter l‘actualité, à se familiariser dans l’environnement du travail, et à être observateur.
Il s’est fait accompagner par un jeune acrobate, Hamza Benlabied, porteur et circassien, riche d’un parcours prolifique : il est diplômé de l’Ecole nationale marocaine du cirque Shems’y, de l’école préparatoire de Rosny-sous-Bois, puis du Centre national des arts du cirque à Châlons-en-Champagne. A son actif, la création « Mobius », de la compagnie XY dont il fait partie et qui a été travaillée avec Rachid Ouramdane. Le jeune artiste enchaîne depuis avec la création suivante —toujours avec ce dernier— titrée « Corps extrême ».
Hamza enchaîne en commentant son expérience : « Dans le cadre de cette immersion, le but est de mélanger les mouvements acrobatiques et de danse : j’interviens là où il faut ajouter un peu de ce que je pratique. C’est intéressant de voir jusqu’où les danseurs participants du Ballet de l’Opéra de Tunis sont à l’aise dans des mouvements au sol, étoffant ainsi un savoir inédit et des pratiques nouvelles pour eux ».
L’idée de faire intervenir ces deux artistes a émergé quand la compagnie XY devait se produire sur scène à Tunis en 2021. Créer un spectacle pour le BOT, signé Ouramdane dans le cadre d’un travail élaboré en commun est très important, selon Malek Sebai, directrice artistique du Ballet de l’Opéra de Tunis.
La compagnie XY, dirigée par Rachid Ouramdane, est une référence au niveau national, dans le monde de l’art aérien et dans l’acrobatique. Une compagnie qui, dans son mode de fonctionnement, invite souvent d’autres artistes d’une autre discipline artistique à dialoguer, créer et inventer à partir du langage acrobatique des spectacles, d’où la création du spectacle « Modius ».
« Depuis que j’ai rencontré ce collectif en 2019, je vois bien qu’il y a une façon d’inventer, de chorégraphier, de faire des mouvements de la scène qui restent hybrides, particuliers, et qui font partie des arts des gestes. Tous les mouvements peuvent avoir une sensibilité, exprimer des choses. Des acrobates et circassiens peuvent exprimer des messages, des émotions, en les créant avec des enfants, des migrants, et tous profils confondus. Il faut une grande dextérité et une maîtrise de ce savoir-faire, car fusionner le langage acrobatique et chorégraphique et parvenir à réunir deux mondes artistiques, ou plusieurs disciplines est délicat ».
Rachid Ouramdane précise aussi qu’une immersion se doit de se faire sur place et que le contact entre artistes et membres d’une même équipe est essentiel. « J’ai besoin de rencontrer les personnes avec qui je vais travailler et être sur place. Une semaine, c’est court pour apprendre à se connaître. Ce principe d’immersion, c’est d’arriver avec des choses existantes, de confronter les artistes à des partitions et de mettre les mains sur des aspects déjà très aboutis. Ce n’est pas qu’exploratoire. On va vers des choses écrites avec rigueur, dansées ou interprétées déjà par des virtuoses et des professionnels. »
Un dialogue générationnel entre artistes s’entretient toujours : entre anciens et nouveaux. La génération récente a un parcours plus large : les anciens ont un rapport traditionnel à une discipline. Le croisement des arts reste enrichissant. Au-delà de la discipline et des figures, il y a une communauté au service de l’autre. Ouramdane cite : « Ce qui me plaît quand je travaille sur de grands groupes, c’est cette capacité à créer ensemble et à transmettre au public. Tout travail est engagé et politique. Beaucoup d’enjeux et de messages sont transmis. Mobiliser un public sur une heure de spectacle et arriver à l’interpeler, c’est important. Agir en collectivité, en duo ou en solo n’est pas antinomique. »
« Ce travail n‘est pas juste une commande de spectacle : c’est créer ensemble, faire comprendre quels sont les enjeux de notre métier, faire réfléchir sur l’humain qui importe pour les danseurs du ballet de l’Opéra. », conclut Malek Sebai. Ce travail est soutenu par l’Institut Français de Tunisie.
L’immersion s’est faite chez lui : une adresse à l’abri des regards, de l’extérieur ordinaire, mais qui fait office d’atelier, galerie et lieu de création pour Mehdi Benedetto, artiste spécialiste en mosaïque et sculpteur. C’est ici même qu’il accueille toutes celles et ceux désireux de découvrir son art.
Nous traversons un verger pour accéder dans l’antre de l’artiste, décoré par de nombreux objets conservés, comme des huîtres, des pierres semi-précieuses, des souvenirs divers, dénichés lors de ses sorties en mer ou dans la montagne. Quelques créations sont conçues à la main. Il faut savoir qu’ailleurs de chez lui, l’unique thébaïde de l’artiste reste la nature.
Les artisans sur place, maniant la pierre, construisent des œuvres et font des reproductions d’œuvres connues. Des vasques imposantes faites avec de la pierre très spéciales sont exposées. Des œuvres conçues grâce à des techniques mélangées rendent le résultat final très fin. Le marbre reste très présent et visible dans toutes les créations de Mehdi Alexandre Benedetto : des œuvres à l’allure imposante, très attractives : tables, vasques, miroirs, poutres, qui trouveront probablement leur place dans des constructions somptueuses. Son salon est couvert d’œuvres exposées, dont une qui vient de voir le jour après 8 mois de travail acharné et de concentration: la pièce contient 16.000 pierres minuscules. Mehdi Benedetto est une valeur sûre à l’étranger : souvent, il a été désigné pour décorer les vitrines d’Hermès et a livré à cette marque mondiale de maroquinerie, de prêt à porter, de parfums, de mode et de joallerie de nombreuses commandes, en travaillant en étroite collaboration avec feu Leila Menchari, décoratrice d’Hermès, et ce, depuis plus d’une dizaine d’années.
La conception de ses créations, suggérant socles et consoles, entre autres, les rend puissantes et uniques. Benedetto profite de ses évasions et de ses moments de communion avec la nature, dans les sites forestiers, montagneux ou sous-marins, pour y puiser la matière nécessaire à son inspiration et à son travail distingué. Il a longtemps baigné dans diverses cultures, issues de ses origines et influencées par ses voyages. Initié à la sculpture depuis son plus jeune âge, il entretiendra sa fascination pour la pierre très tôt. Il a été diplômé de l’Ecole d’art et de décoration de Tunis, et c’est en enchaînant les expériences qu’il nourrira son savoir-faire. Il accumulera, ensuite, les petits projets personnels : sa participation en tant que décorateur sur des plateaux de tournage de cinéma et au théâtre l’enrichira… Début des années 2000, il se fera un nom en faisant partie des trois meilleurs artistes artisans tunisiens. Il écumera les expositions personnelles et collectives en Tunisie et en Europe : la galerie Sema, Viaduc des Arts à Paris, la fondation Luciano Benetton, Hermès le connaîtront… Benedetto a également participé dans l’exposition collective « Turbulence » et dans l’édition d’un prestigieux concours d’art contemporain le « GemlucArt ». Passionnés d’arts ou collectionneurs peuvent se rendre à son atelier situé à Gammarth supérieur pour découvrir son univers.
« Broudou » est le titre insolite d’une revue culinaire semestrielle tunisienne, parue dans sa première édition. Un numéro pilote totalement consacré à l’histoire du « Pain » en Tunisie : recettes du pain selon les régions, histoires du pain et autres anecdotes sont servies … Naissance d’un guide complet.
En partenariat avec le projet solidaire et culinaire « Ftartchi », le Goethe Institut Tunis et de jeunes contributeurs ont conçu ce magazine tunisien trilingue spécialisé, disponible en PDF, téléchargeable et imprimé. Très riche en photos et en illustrations, le magazine peut être lu d’une seule traite en anglais, en français et en dialecte tunisien. Le magazine vise à sensibiliser les Tunisiens et ses lecteurs sur le fait de soigner son alimentation, d’enrichir sa culture culinaire, et d’accéder à une nourriture saine et équilibrée. Le projet a été pensé en amont : pour les fondateurs, une urgence même s’imposait suite à la vague épidémiologique que nous vivons depuis 2 ans. Des réflexions, des essais critiques, des photos, des entretiens, des anecdotes et recettes enrichissent les pages du magazine.
Lancé le 15 janvier 2022, un appel à participation a été lancé afin de permettre à des lecteurs, rédacteurs ou spécialistes tunisiens intéressés, de participer dans ce numéro et d’ajouter un savoir autour du « pain ». Qu’est-ce qu’un pain nutritif ? Quelle est la place économique et sociale du pain ? Quelle est son histoire ? Que faut-il savoir sur la fermentation ? Différentes recettes issues de diverses régions tunisiennes sont proposées… Le magazine est paru dans le cadre de la programmation culturelle du Goethe Institut Tunis. Le magazine est lancé dans des endroits symboliques : des boulangeries entre Le Kram et Tunis. Une manière de fédérer un lectorat consciencieux de son alimentation et désireux de suivre les prochaines thématiques, décortiquées prochainement par « Broudou ». Un site internet « Broudou » sera bientôt accessible.
Le Lions Club Tunis La Marsa s’est associé à la galerie « Musk & Amber » afin d’organiser une exposition artistique collective baptisée « Art Expo », au profit de l’internat de Kasserine. La réhabilitation de cet édifice urge.
Après l’aménagement d’un orphelinat à Médenine, du Centre médico-légal à l’hôpital Charles Nicolle, Le Lions, à travers l’art, participe activement à la réhabilitation d’un internat pour jeunes filles et garçons à Kasserine. La capacité d’accueil de l’endroit est de 250 places. Le Club Lions a ciblé des projets ayant trait à la jeunesse et à l’enfance, en tentant de décentraliser leurs actions dans les régions. L’internat de Kasserine est rongé par l’insalubrité, l’abandon. Grâce à cette exposition /collecte, les fonds récoltés ont été mis au service d’une rénovation et d’un entretien complet de l’édifice.
Pas moins de 26 artistes tunisiens de renom ont exposé leurs œuvres dans l’enceinte de la galerie « Musk & Amber » pendant quelques jours. Des œuvres picturales de plasticiens et d’artistes peintres ont orné l’espace comme celles d’Alia Cherif Derouiche, Zied Lasram, Hind Megdiche, Walid Zouari, Amine Chaouali, Safa Attyaoui, Afifa Ben Yedder, Aziza Guermazi, Besma Haddaoui, Emna Gargouri Largueche, Faiza Karoui, Houda Tabka, Hammadi Ben Neya, Irane Ouanès, Houda Ajili Harbaoui, Hela Ammar, Mohamed Ben Dhia, Majed Zalila, Mourad Harbaoui, Mohamed Ben Soltane, Miriam Affes, Mona Djamal Siala, Mona Chouk, Nadia Zouari, Sonia Said et Olfa Moalla.
L’action commune s’est déroulée sur cinq jours et s’est distinguée par la vente de nombreuses toiles, et d’œuvres d’artistes exposants, participant. Les membres du Club Lions Tunis La Marsa, l’équipe « Musk & Amber » et la maison Farida ont contribué à la finalisation de cette action au profit des nécessiteux.D’autres suivront.
Courte, mais intense pour les artistes et musiciens participants, la 7e édition des JMC 2021 a délaissé l’esprit compétitif au profit de la visibilité, du réseautage et de potentielles percées à l’échelle internationale. Les JMC ont également opté volontairement pour l’aspect numérique : un positionnement assumé plus qu’une alternative.
Les points forts de l’édition de 2021 émanent d’un travail accompli sur la durée, caractérisé par une augmentation du nombre des participants et musiciens retenus pour cette 7e édition. Un chiffre multiplié par trois en comparaison avec les éditions précédentes, et qui comprend une quarantaine de porteurs de projets.
L’aspect incubateur
Précédemment, la compétition scellait davantage la programmation : cette année, les JMC accompagnent les artistes en se basant sur des critères de taille, comme la qualité du rendu, la créativité, l’originalité, la qualité d’exécution et le défi ultime qui consiste à pouvoir exporter les artistes à l’étranger. La structuration de l‘artiste se fait au niveau de la communication, en lui attribuant un attaché de presse compétent et en mettant au point le management d’un artiste. Techniciens et journalistes nécessaires à l’accompagnement des artistes doivent se former, afin de pouvoir bien travailler avec les artistes sur le long terme et cela en amont de l’édition. Une rencontre a d’ailleurs eu lieu, réunissant toutes ces disciplines avant le début de l’édition et le travail a été développé et le sera encore plus durant l’année. Sami Ben Saïd, directeur artistique des JMC, évoque « un rapport structurant et professionnalisant » qui désigne l’étape « Artist Lab ». Après la fin de l’édition, l’étape «Producer Lab » réunit 4 producteurs étrangers qui chaperonneront les jeunes artistes afin de leur apprendre à mieux « pitcher » leurs projets sur des mois. La compétition a été supprimée au profit d’une nouvelle approche.
Quand la compétition cède la place à la solidarité
Un esprit de solidarité et d’entraide a perduré pendant le festival et avant. Des annulations et des reports de dernière minute ont eu lieu à cause des restrictions sanitaires : afin d’y remédier, les artistes se sont soudés, en collaborant bénévolement les uns, les autres, afin de mener à bout leurs concerts et spectacles. « S’il y avait eu la compétition, un esprit aussi constructif et solidaire n’aurait pu avoir lieu. Les artistes se sont sentis dans un Safe Space », poursuit Sami Ben Saïd. L’apport pour ces artistes serait d’obtenir des contrats avec des labels, des maisons de disques, de participer à un festival connu, plutôt que de leur attribuer un prix, offrir des opportunités qui peuvent impacter la carrière d’un artiste longuement. Le festival reste ouvert aux citoyens / public et à la scène artistique dans son ensemble.
Une période voulue courte
4 jours seulement ont été accordés pour les JMC de cette année : les professionnels étrangers avaient un agenda plein. Ils ne peuvent rester une dizaine de jours. Les professionnels, pendant les concerts restaient pendant un laps de temps, étaient en mouvement, assistaient aux rencontres. Chaque pro agissait et travaillait à son rythme, afin de nouer des contacts, dénicher les artistes, mieux les connaître. Des rencontres pros, notamment festives mais fermées, ont eu lieu : l’occasion de réseauter, comme l’évènement organisé à Ennejma Ezzahra. Les panels et les « JMC Autrement » ont renforcé le volet présentiel. Des artistes en binôme se sont réunis dans le cadre d’une co-création afin de créer dans un espace à la Médina de Tunis.
Le digital assumé
Les JMC sont hybrides. Le numérique était, certes, pour protéger et garantir l’édition mais cet aspect-là est aussi un positionnement. L’usage du numérique devenant de nos jours primordial et urgent, en faire bon usage est devenu une nécessité et place l’édition dans l’air du temps. La plateforme Ermit a assuré la diffusion des Speed Dating, des rencontres, des panels et des rencontres pros fixées à distance. Les thématiques ont été directement reliées à la musique et à son industrie, mais aussi aux droits d’auteur qui restent encore à élaborer en Tunisie. Il y a eu une mobilisation de la part de deux personnes qui ont filmé des concerts dans différents pays et ont garanti leur projection dans divers espaces. La musique était très variée, issue du monde et de l’expérimental. L’export des talents se fait en se basant sur les répertoires et leur richesse, en passant par le numérique et par le présentiel. Les JMC, cette année, ont eu une portée structurante et formatrice, malgré les difficultés liées aux restrictions sanitaires dans leur ensemble. Un problème de visibilité a plané. Des invités n’ont pu être parmi nous et des panels ont été retirés, faute de présence, le plus souvent. Cette nouvelle vision des JMC est expérimentale : l’assimiler aux invités et au public va prendre encore plus de temps, malgré l’enthousiasme ressenti des musiciens participants. La clôture des JMC 2021 à l’IFT a été assurée par le groupe « Songhoy Blues ». L’Institut français de Tunisie (IFT) a en effet accueilli, mercredi soir, le quatuor malien « Songhoy Blues » pour clôturer la 7e édition des JMC. Ces jeunes artistes musiciens originaires du nord du Mali ont conquis le public, en lui garantissant une musique universelle, africaine et contemporaine. Ils sont maliens, artistes révolutionnaires, réfugiés, virtuoses, résistants, et passionnés de rock, les « Songhoy Blues » ont les atouts nécessaires afin de devenir précurseurs du rock africain.
L’association « Al Badil » travaille sur le projet Safir, programme d’incubation et d’accélération de projets dans le domaine des industries créatives et culturelles. Depuis plus d’un an et demi, elle accompagne de jeunes porteurs tunisiens de projets innovants et inédits émanant de tout le territoire tunisien.
C’est lors d’un « pitch bienveillant » dans les locaux d’ «Al Badil », que différents projets prometteurs et leurs concepteurs ont été présentés dans le cadre d’un rendez-vous, favorisant l’échange, le réseautage et la visibilité face à un public divers composé d’acteurs culturels et associatifs. La phase « incubation » du projet Safir touche presque à sa fin et rassemble un peu plus d’une douzaine de porteurs de projets.
L’incubation est une étape première qui s’étale de septembre 2021 à mars 2022 et qui s’achèvera bientôt au profit d’une 2e phase de concrétisation, celle de « l’accélération». Toujours entourés et soutenus par une équipe de professionnels, les porteurs de projets pourront obtenir la somme de 25.000 euros afin de mener à bout leur travail. Le projet est soutenu par la Commission européenne, l’Institut français de Paris, CFI Média, l’AUF, Pitchworthy et Lab’Ess.
« On a voulu donner l’occasion aux incubés d’entrer en contact avec des acteurs issus des secteurs culturels et médias. Ils ont pu ‘‘Pitché’’ (ou présenter) leurs projets face à un parterre d’invités. Pas moins de 11 porteurs de projets ont pu rencontrer une vingtaine de personnes issues du secteur : fondations, partenaires, associations, médias, activistes… Les participants, qu’on peut considérer comme entrepreneurs, sont originaires des régions d’intérieur, du sud, des quatre coins de la Tunisie. Le but étant de décentraliser aussi», précise Ysé Picot, coordinatrice du projet. « Pour les personnes qui ne sont pas installées à Tunis, « Al Badil » leur fournit une bourse de mobilité. On tient à ce qu’ils soient présents, notamment en présentiel, afin de consolider l’esprit de la Cohorte. » Le projet « Mouhit » est une résidence artistique, une salle d’exposition alternative existant en version web. Héla Doghri, une des fondatrices du projet, nous en dit plus : « On est installé à Carthage Byrsa pour l’instant. C’est un espace d’échange entre artistes, pour des collaborations, coopérations, travail en équipe, échange d’idées autour de l’art contemporain et de l’art visuel. La scène artistique est en pleine ébullition. Les artistes ont beaucoup de mal à accéder à des espaces ou au matériel nécessaire. ‘‘Mouhit’’ leur fournit le plus important afin d’arriver à mener à bout leur travail. ». ‘‘Mouhit’’, c’est un Safe Space pour les artistes participants. « Al Badil » nous a accompagnés au pas à pas. Les accompagnateurs pensent à tout : à la communication, à la moindre étape. Ce « Pitch bienveillant » a été enrichissant », a-t-elle déclaré.
Mehdi Cherif est le fondateur de « Fahmologia », un média associatif qui se spécialise dans la vulgarisation scientifique et la mise en valeur de la recherche scientifique locale. Newsletters, articles sur des conférences, parution de livres… Deux grands volets composent « Fahmologia » : celui d’informer, de relayer l’information autour de l’actualité et la conception de vidéos de vulgarisation scientifique. Le 2e volet soutient l’écosystème académique en mettant en avant les thèses et les mémoires, chercheurs et autres. « On est sur les réseaux sociaux pour l’instant : tel un média digital ». « Al Badil » nous a accompagnés notamment en fournissant le plus d’informations possibles, y compris l’encadrement autour du modèle économique à adopter et autres », déclare Mehdi Cherif.
Mondher Falleh est l’un des fondateurs de « Wild Tunes », une société de production audiovisuelle. Mondher travaille en collaboration avec Fourat Neffeti. Les deux sont musiciens, connaisseurs de la scène artistique. Le duo gère trois volets au sein de la société de production : résidences artistiques, production et management de services audiovisuels et gestion de management d’artistes.
D’autres projets prometteurs comme Recycl’art, Cinérif, Gloristory, Media Without Borders, Résidence Teatro, Piccolo Teatro Di Bizerta, Bargou Records, CAT : Communauté des artistes tunisiens et Art de vie verront le jour. Nous y reviendrons plus en détail.
Les grands oubliés de cette crise, ce sont bien les artistes. Tout un secteur est à l’arrêt face au silence assourdissant de l’Etat. Divers festivals, dont principalement ceux de Carthage et de Hammamet, étaient la planche de salut pendant l’été pour de nombreux artistes tunisiens programmés, pourtant ils ont tous rimé avec suspension, report et annulation. Le problème n’est pas la crise sanitaire, il remonte même à bien loin …
Leïla Toubel, comédienne : «Nous vivons un changement global à la racine en Tunisie. Je considère que l’annulation de tous les festivals cette année ne peut pas sortir du contexte général et spécifiquement politique : cette politique qui laisse les artistes pour compte. Il y a une sorte de non-considération de l’artiste. Pourquoi ? Parce que dès le début de la crise sanitaire, le secteur de l’art et de la culture était le premier à subir de plein fouet ce revers et à mettre les clés sous le paillasson. Les premières manifestations ont été annulées depuis mars 2020. Ensuite, il y a eu résistance et maintien de quelques manifestations puis, rebelote… On ne peut pas parler aujourd’hui de l’annonce de l’annulation du festival de Carthage et de Hammamet sans évoquer une politique qui a essayé par tous les moyens de massacrer et de détruire ce secteur artistique depuis déjà longtemps.
Au bout de 10 ans, le covid-19 a été le cadeau tombé du ciel pour anéantir complètement ce secteur, qui reste important, vital aux yeux de toutes celles et ceux qui croient en la culture. Ce qui me dérange aussi et ce que je crie haut et fort, c’est que ces jours-ci, on ose encore poser cette question : que va faire l’artiste aujourd’hui ? La résistance des artistes n’est pas occasionnelle ou contextuelle, nous avons toujours été en première ligne de mire… et nous ne réagissons pas à la demande. Nous sommes loin d‘être simplement réactifs. J’ai envie de dire à beaucoup : le problème, ce n’est pas uniquement l’annulation des festivals. Dire cela, c’est vraiment se voiler la face.
Le secteur est, en effet, paralysé depuis 2011, et il est toujours aussi figé pendant la crise sanitaire. Comment peut-on oublier la prise d’assaut du cinéma Africa en 2012 ? Comment peut-on oublier les artistes persécutés d’El Abdalia ? L’agression des artistes de théâtre sur l’avenue Habib Bourguiba ? Feu Najib Khalfallah qui a subi une grande pression et même une agression physique pour changer l’intitulé de son spectacle ? On ne peut parler d’une simple annulation alors qu’il y a toute une machine à l’arrêt depuis au moins une décennie. Résultat de la politique de Ben Ali. Nous sommes éloignés et écartés. Sur le terrain, je tiens à préciser que la santé des spectateurs passe avant tout.
La première de «Yakouta» était attendue au festival de Carthage. Ce n’était pas rien. C’est très dur. Je suis blessée, écorchée. Aucune politique ni accompagnement n’a eu lieu pendant la crise sanitaire. L’artiste est citoyen. Aucune vision politique ou économique n’a été présentée. On n’est pas là pour divertir comme l’a dit Mechichi. L’art est un métier. Ma colère est incommensurable face à ce silence est ce mépris. On n’a plus le droit de « bricoler » et s’il y a une révolution socioéconomique en marche, elle est forcément culturelle aussi. Les artistes ont toujours été sur le front aujourd’hui et auparavant. Notre résistance ne date pas de maintenant. On prend et on façonne dans l’art … On ne sensibilise pas. Les gens sont déjà conscients. Il y a une nécessité de repenser le contexte.
Les cafés / restos sont ouverts, pas nous… alors que nous faisons toujours attention au protocole. On nous écarte clairement. L’émergence des nouvelles technologies va de soi : c’est une volonté citoyenne et l’art et la citoyenneté sont indissociables. Je remercie le festival de Carthage pour cette initiative du Live Streaming : c’est courageux de leur part de proposer l’alternative du digital, même si cela a été également annulé, parce qu’ils sont connaisseurs de la situation des artistes en ce moment. C’est un geste généreux et humain. Je suis reconnaissante. Le théâtre est ma vie et c’est la vie de plein d’artistes– citoyens. Tenons bon ! »
Ramzi Jbabeli, entrepreneur culturel et fondateur du Sicca Jazz : «Un festival comme le Sicca Jazz est spécial : il a une ampleur et un impact économique et social direct. Les gens sont recrutés, les commerces sont vivifiés, et le tourisme intérieur marche : toute la ville subit les aléas directs de l’annulation de ce festival. Le problème est que je suis soutenu par le ministère de la Culture : cependant, le silence radio des autorités est affligeant. Il y a une crise de communication institutionnelle énorme. On est pourtant partenaires. Je souligne l’absence de politique culturelle et évènementielle : le désert. Le soutien se fait au nom de la décentralisation, c’est tout. Quand j’ai reporté le festival à deux jours près, les autorités m’ont envoyé valser me demandant d’improviser seul. On est sans appui et ça continue au rythme des reports. Et on rebondit encore une fois pour exploiter les sites archéologiques, historiques de la région, et les anciennes mines.
Nous organiserons des concerts live et nous éclairerons les sites les plus connus via la musique et le digital. (Altibhuros, table de Jugurtha …). Nous le ferons pour mettre en valeur ces sites et qui nous servira à créer une plateforme d’archivage afin d’attirer des visiteurs. L’attractivité de la région du Kef et son élaboration restent de mise et notre objectif primaire. On enregistra 8 concerts qui s’appelleront le «Live Factory». Nous voudrions faire de ce festival un festival immobile. Nous y reviendrons !
Mohamed Ben Said–Producteur : «On est perplexes face au report des festivals. Ça a été converti au digital comme c’est le cas du festival de Carthage et de Hammamet. Après, il y a eu annulation complète du digital. Dans le monde entier, ça a été adopté pourtant… Divers artistes ont espéré le maintenir. 80% des festivals sont programmés pendant l’été. En tant qu’artiste ou producteur, 50% du chiffre d’affaires se fait pendant l’été. L’annulation est annoncée et on ne nous dit rien au retour… pas d’indemnisations ni d’alternatives. Rien.
Pour le festival de Dougga, par exemple, on a pris la décision de le faire en digital depuis décembre. Des idées étaient exploitables. La programmation promettait… C’était intéressant. On a misé sur les artistes qui avaient un à deux albums à présenter aussi. Et puis quand on parle de festivals, il n y a pas que Hammamet et Carthage, il y a trop de manifestations et de nombreux festivals nationaux. Que deviennent-ils ? Pour Dougga, un dossier pour une version digitalisée a été déposé depuis 3 mois, aucune réponse… Silence radio. Une aide a été promise, l’année dernière… toujours rien. Ça traine ! Le covid19 a tout dénoncé… Il a montré l’absence de planification et de stratégies et ce vide se sentait davantage pendant la crise. Pour les autorités, un festival n’a qu’une programmation à présenter. Alors que c’est un mécanisme en entier qu’il faut repenser. Pour la production, on survit grâce à des fonds. On a pu avoir de l’argent de l’Afrique du Sud, aucun millime de l’Etat tunisien. On est très réglementé pourtant… Qu’a à dire l’Etat pour la culture et les arts ? Nous voudrions le savoir. S’il y a toujours une politique culturelle caduque, l’avenir restera flou et incertain».
Khawla El Hadef, metteure en scène : «Depuis le début de la pandémie, tout semble désordonné, déstructuré. Face à cette crise, il n’y a pas eu une attitude constructive et rationnelle. L’absence de stratégie claire a provoqué le report et l’annulation des manifestations et des festivals. On a eu une saison culturelle presque vide. Il n’y avait pas de continuité, pas de tournée. Si le ministère ne défend pas le projet culturel et le secteur, face au revers que nous avons subi de plein fouet, qui va le faire ? Il n’y avait pas d’écoute, de réactivité, encore moins auprès des conseils scientifiques pour s’adapter à la crise sanitaire. On s’est approprié le digital, récemment, pour faire valider la session du festival du théâtre tunisien mais foncièrement on était contre. Face à l’absence d’alternatives, on ne pouvait pas faire autrement.
Rien ne vaut ce contact direct avec le public, d’être sur scène, dans une salle ou dans un espace précis. Imaginer les artistes performer dans des espaces vides, c’est frustrant à la longue. Je fais partie du comité des JTC, et on n’a pas encore parlé du format qu’il faut adopter. En cas de crise, que faire ? Je suis personnellement contre le digital…, mais c’est quoi l’alternative!
Ceux qui détiennent les rênes restent indifférents, ce qui signifie qu’il n y a pas de projet. Je commence à croire que le secteur ne va pas changer. Excusez mon pessimisme mais on est à l’arrêt. La gestion est catastrophique. On a fait le plein à Hammamet en 2020 avec des conditions sanitaires efficaces … il ne fallait pas annuler complètement cette année. Tout est ouvert : restaurants, cafés, plages … pourquoi pas nous ? Je suis méfiante vis-à-vis des responsables : il y a eu manifestations, grèves, marches, protestations…, mais rien de concret. Le secteur était déjà très fragilisé, le covid-19 a tout dévoilé. Ce qui se passe est une résultante d’une situation générale déjà très précaire. Tout ne peut changer à la racine aussi rapidement. Il y a eu un cumul que nous subissons depuis des décennies. On est face à une réalité peu reluisante… De très nombreux ministres ont défilé, rien n’a été modifié, ou changé en bien… S’il y a un problème de communication au niveau des institutions, c’est parce qu’il n y a pas de projets et que nous manquons de structure, face à un nivellement vers le bas de plus en plus affligeant, qui ne pousse pas l’artiste à l’échelle individuelle à avancer, à se surpasser, à créer ici et à aller de l’avant».
Lassaâd Ben Abdallah– Dramaturge, comédien, metteur en scène : « Est-ce que nous avons su répondre par des solutions à une crise aussi exceptionnelle ? On aurait pu réfléchir à des solutions alternatives pour une situation exceptionnelle… et à une situation exceptionnelle, il faut des mesures exceptionnelles.
Le digital a montré ses limites. On parle des arts vivants et de la présence, pas des arts de l’absence. Le digital n’a de valeur que de témoignages et d’archivage même quand c’est du live. Les plateformes du cinéma ont activé une certaine dynamique et ça a duré pendant le confinement. C’est différent pour l’art vivant. Est-ce que c’est la solution ? Est ce qu’on s’est posé les bonnes questions, trouver de bonnes alternatives ? Et la crise persiste… ici et ailleurs. Il faut poser les vraies questions et leur donner de réponses. Il faut s’interroger pour arriver à un juste milieu qui est de faire travailler les artistes. Il y a des jauges à étudier aussi, actuellement. A 30% d’appui, c’est peu. Il n y a pas de réflexions de base. Et c’est problématique.
En pleine pandémie, qui surprend tout le monde et qui dure, il faut trouver de nouvelles stratégies. Je fais partie de ce secteur, et je suis actant. La question qu’il faut se poser ça sera autour des renouvellements des politiques culturelles qui ne sont plus nationales mais locales et qui ne se sont pas faites. Les politiques culturelles remontent à l’époque de feu Chedli Klibi. Ensuite, on a plâtré sur des années, sans visions concrètes renouvelées. Même en Occident, il y a eu une secousse … Il a fallu des efforts monstrueux pour subvenir aux besoins des artistes. Mais avec des moyens limités comme les nôtres, que peut-on faire sans se victimiser ? Que pouvonsnous faire des budgets des festivals de l’année dernière et de cette année ? Comment peuton les utiliser face à l’arrêt des festivals ? En travaillant avec un protocole sanitaire strict, les questions se posent aussi, d’un point de vue logistique qu’il faut réussir. Est-ce qu’il fallait arrêter les manifestations ou les festivals en guise de solution ? A-t-on épuisé toutes nos ressources autour de cette réflexion ou avons-nous opté pour la solution de facilité ? Une facilité à prendre avec des pincettes car nous sommes le secteur qui a été le plus endommagé par cette pandémie. Pourquoi nous ? Des initiatives peuvent se créer pourtant … Les jeunes, pendant cette crise, n’étaient pas correctement scolarisés, des clubs artistiques réduits auraient pu voir le jour autour d’activités diverses, mais rien … On aurait pu joindre plusieurs bouts, au lieu de tout fermer».
S’interroger sur le statut de l’artiste en pleine période de flottement artistique est justifié. La carte professionnelle définit-elle l’artiste ? Reflète-t-elle son art ? Le valorise-t-elle? Etoffe-t-elle le statut de l’artiste déjà flou, ou au contraire, pourra-t-elle provoquer un changement au niveau des institutions ? Parole libre aux artistes.
Ichraf Sallem, chanteuse d’opéra
« Pour l’opéra, le marché est déjà très restreint. Les concerts ne se font pas beaucoup chaque année… et maintenant, avec le covid-19, il n’y a plus rien. Pour ma part, l’enseignement a été une alternative de survie. Je n’aurais pas pu me contenter des spectacles seulement. Pour la carte pro, j’ai pu avoir la mienne cette année pour la première fois. Les diplômés peuvent l‘avoir d’office et les amateurs doivent passer des auditions. Je trouve que c’est un mode de fonctionnement injuste parce qu’il crée des inégalités : entre quelqu’un qui a fait tout un parcours académique, universitaire et un amateur, qui exerce parce qu’il est mélomane ou simple passionné : on se retrouve, au final, sur un pied d’égalité… et c’est dévalorisant. Cependant, je ne généralise pas : je trouve que de nombreux amateurs méritent amplement la carte pro et sont doués. Auprès de certains recruteurs, posséder la carte est primordiale et définit l’artiste, hélas… Dans mon cas, je n’ai pas fait usage de ma carte encore. On verra… Elle peut nous être utile pour les formalités administratives, pour le visa… Si le système doit changer, je suis pour parce qu’il reste foncièrement discriminatoire. Malheureusement, à l’Institut Supérieur de Musique, les étudiants affluent de moins en moins sur la formation académique, parce qu’ils sont conscients, qu’au final, ils peuvent obtenir cette carte professionnelle, facilement et autrement que d’entamer des études. Ce système nuit déjà à l’enseignement supérieur face à des étudiants de moins en moins présents, des enseignants qui partent et nous assisterons à un délitement progressif du secteur. Il n’y a plus de niveau, en plus, entre professeurs et autres, formés ailleurs ou autodidactes : la différence est fine voire inexistante, puisque tout le monde a sa carte au final… Personnellement, en tant que professionnelle, je préfère faire appel à un amateur passionné que de travailler avec quelqu’un de beaucoup plus formé sur le plan universitaire, ou académique et qui pourrait être réticent, ou exigeant… J’espère voir un jour notre statut de « chanteurs d’opéra » sous de meilleurs auspices et légal. »
Yasser Jradi , artiste musicien et auteur compositeur
« Ce hic m’a personnellement nui. J’ai fait des études à l’école des Beaux-arts, et parallèlement, j’ai entamé un parcours en musique, qui m’a finalement beaucoup plus attiré. Je suis autodidacte et ayant un souci de lecture, je n’ai pas pu passer le concours d’obtention de la carte professionnelle et je n’ai pas moyen de l’avoir. J’ai subi de nombreux refus de concerts et de participation à des festivals… y en a d’autres qui acceptent avec cette diminution de 17% effectuée parce qu’on n’a pas de carte pro… C’est dévalorisant. Cette carte définit l’artiste, non pas son art. C’est tellement administratif comme système. En l’absence de critiques artistiques qui peuvent modérer, sensibiliser davantage quant à ce dysfonctionnement… les choses ne peuvent pas changer facilement. Dans l’histoire de l‘art, les critiques ont un impact et sont annonciateurs de changements ou sinon, c’est l’embrouille… J’ai du mal à participer facilement aux festivals. Avant, à Hammamet et Carthage, on m’a appelé mais je ne peux pas aller vers eux. Auparavant, pour le festival de la Médina, il y a eu une fois où je m’étais embrouillé avec les organisateurs qui m’avaient contacté en 2011, mais quand moi j’ai voulu y participer plus tard, j’ai essuyé un refus de leur part, sous prétexte que « c’est la loi ». Ce système est ridicule et les autorités restent silencieuses. Pour avoir la paperasse, si on ne l’a pas aussi cette carte, ça peut traîner … quand on m’invite à l’étranger, des refus de visa peuvent se faire encore et toujours. Ça dépend des hôtes. La solution serait que le système devienne plus artistique et moins administratif…»
Rym Charfi alias Noy Ara, artiste-DJ
Bien avant la crise du covid-19, le statut de l’artiste suscitait déjà débats et revendications. Textes de loi vus et revus, et décisions en perpétuel report sont restées en suspens. La concrétisation tarde à venir et le flou s’est étalé davantage en pleine tourmente sanitaire et politique. Exercer en ayant une carte professionnelle et revoir le statut de l’artiste restent de mise.
Copyright photo de Benjemy : Emna Jaidane
Ahmed Benjemy, artiste-musicien :
«A une certaine période, concernant la carte professionnelle, les autorités l’ont remise à des artistes professionnels en y ajoutant des prérogatives : c’est comme si le travail s’est fait à l’envers. Même s’ils voulaient s’inspirer du système français, ce n’est pas comparable : en France, quand un concert ou un évènement s’organise dans le cadre d’uns structure légale, tout est réglementé … Ici, tout se fait à l’arraché, en improvisant, en contournant : on se débrouille pour la sono, la vente se fait en ligne ou autre… Avec la carte pro, le secteur peut mieux se structurer, évitant ainsi les débordements. La carte professionnelle peut mieux servir quand le statut de l’artiste s’éclaircira davantage.
«A travers les gouvernements qui se sont succédé, rien n’a été fixé, ou maintenu concernant le statut de l’artiste dans sa globalité. Il y a un problème grave de communication au niveau des institutions. L’année dernière, des régimes liés à l’assurance sociale ont été évoqués, et à travers la carte pro, on pouvait mieux régler notre statut, gérer sa patente… juste avant la crise du covid-19 qui a tout bloqué. Une démarche qui n’aura servi à rien, de toutes les manières, dans un contexte sanitaire aussi grave… Après, il n’y a pas eu de suivi, ni de rappel. Les caisses de subvention doivent être mieux contrôlées. Les projets musicaux sont subventionnés à la va-vite et attribués à des gens qui ne sont pas productifs ou qui ne créent pas depuis longtemps. Les appels à candidature pour les subventions se font dans de couloirs obscurs, on n’en entend même pas parler … tout est encore flou, il n’y a rien de concret autour de ce statut. »
Neysatu – Badiaa Bouhrizi, chanteuse autrice-compositrice– interprète :
« La carte ‘‘professionnelle’’ » ne rime pas avec professionnalisme, selon moi. D’après la loi élaborée autour de cette carte, en tant qu’artiste, pour l’obtenir, il suffit d’avoir un nombre de contrats à son actif, ou bien passer un test de niveau. J’ai essayé auparavant de procéder ainsi … rien de tout ça n’a été pris en compte ou n’a été appliqué. Je m’étais adressée au commissariat régional parce que la loi le stipule noir sur blanc… en vain. La définition de ‘‘professionnel’’ est que l’artiste vit de son art : c’est son gagne-pain. Qui sont ces gens, désignés pour nous juger ? Selon moi, cette carte ne sert à rien… sauf dans le cadre de coopérations, dans des instituts culturels, ou dans des ambassades, ou en cas de contrôle policier.
«Cette carte est un outil de contrôle… comme celle utilisée par un auto-entrepreneur. C’est un statut vague. Pourquoi demander un cahier des charges à un artiste ? Ainsi, jusqu’à maintenant, à part contourner, on n’a pas de statut défini pour l’artiste spécifiquement. S’il y a des réformes à faire, ça serait éclaircir le statut en urgence. On est au ralenti … j’aurais bien aimé gérer ma carrière comme une entreprise, mieux que de devoir adopter un cahier des charges ambigu ou de lancer une société de services ».
Kamel Ring, musicien de rue :
« La carte professionnelle, de nos jours, est montrée par des artistes pour dire qu’on l’est. On dirait que sans cette carte, l’artiste ne l’est pas. Elle sert à avoir son visa, c’est possible … Sinon, certains la possèdent alors qu’ils n’ont rien à voir avec le domaine artistique : Ils l’ont achetée. Pour la carte d’identité, oui, le statut de l’artiste est mentionné grâce à cette carte dite pro. Par ailleurs, quand on a une opportunité de travail, certains recruteurs l’exigent et veulent savoir s’ils sont face à ‘‘un professionnel’’ selon leurs normes ou pas. Aux yeux de certains, c’est cette carte qui détermine l’artiste pas forcément son art. Pour l’assurance sociale, elle renforce. Personnellement, en tant qu’artiste, j’ai eu mon certificat « Busker License », qui me permet de me produire dans les rues de toutes les villes du monde entier sous la protection de l’Association mondiale de défense des droits des artistes de rue. Même quand je me fais embêter par la police, c’est ce que je présente en contactant l’association, et celles et ceux qui m’ont octroyé le certificat. En Tunisie, notre statut, on se le forge encore, en improvisant ».