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Yacine Boularès, saxophoniste et musicien de Jazz : «Il y a de l’inattendu dans “Osool“» !
ENTRETIENS1 / 31 / 2023

Yacine Boularès, saxophoniste et musicien de Jazz : «Il y a de l’inattendu dans “Osool“» !

Yacine Boularès, saxophoniste et musicien de jazz, s’est emparé de la scène des JMC, lors de sa 8e édition. Programmé en guise de clôture avec d’autres groupes, l’artiste-musicien s’est entouré d’artistes, comme le rappeur Mehdi WMD, Hedi Fahem, Nesrine Jabeur, Omar el Ouaer, Youssef Soltana et Nasreddine Chabli. Ensemble, ils forment «Osool», groupe musical distingué, qui se fraye un chemin, à l’international et qui chante l’identité en ayant un répertoire varié.


Vous participez aux JMC de 2023 en tant qu’intervenant dans des masterclass, mais aussi en tant qu’artiste-musicien programmé sur scène avec votre groupe «Osool». Pouvez-vous nous en dire plus ?


Le groupe s’appelle «Osool». C’est un groupe que j’ai monté il y a 2 ans, pendant la pandémie. À l’époque, il s’appelait «Night In Tunisia». Il a évolué au fur et à mesure. J’ai eu l’opportunité de créer le festival Habibi à New York, premier festival dédié à la musique actuelle du monde arabe. Je l’ai cofondé avec le Joe’s Pub – Public Theatre. Il remplit une fonction importante puisqu’il y a un vide culturel immense spécialement en ce qui concerne la musique actuelle du monde arabe et particulièrement celle du Maghreb aux USA. La première édition s’est faite en 2021, la 2e en 2022. En tant que cofondateur et artiste en résidence, j’ai eu l’opportunité de faire venir des groupes, de les choisir. Je tenais à ce que le groupe «Osool» fasse une tournée aux États-Unis. On a répété à distance, fait un concert à Tunis au théâtre de l’Opéra en 2021, un autre concert à Abidjan (Côte d’Ivoire), puis, c’était autour de la tournée américaine qui a débuté en octobre 2022. Deux soirs à New York à guichets fermés, dans le New Jersey, et on a fini à Duke University en Caroline du Nord. On a aussi enchaîné le travail dans un studio d’enregistrement. Dans le cadre des JMC, j’ai fait trois jours de Masterclass avec Hedi Fahem sur l’improvisation. Le public était diversifié et très présent.


Quel répertoire joue «Osool» ?


Il est plus orienté Jazz. Avec l’équipe, on a réalisé que ce qu’on voulait faire était différent, qu’il fallait mettre le rappeur Mehdi WMD en avant, qu’on voulait aussi écrire le répertoire autour de l’instrument de Hedi Fahem. J’ai donc écrit le répertoire en puisant dans le Hip-Hop, le chant de Nesrine Jabeur et dans le Ouatar. Le jazz reste présent : je suis saxophoniste, musicien de Jazz initialement, mais le jazz est davantage utilisé comme moyen de composition. La musique d’ «Osool» fusionne des sonorités tunisiennes : châabi, stambali. Du tunisien mélangé au Hip-Hop, au Outari donne au final un résultat hybride. Ce n’est pas un mélange forcé : il reflète nos identités. Notre identité commune en tant que Tunisiens ainsi que nos influences. Quand Hedi Fahem m’a parlé de Mahdi WMD, le rappeur, et quand j’ai écouté ses textes, découvert son écriture en arabe littéraire, senti son sens rythmique poussé, j’ai été attiré d’autant plus que ce n’est pas donné à tous de chanter en live. «Osool» surprend, il y a de l’inattendu, et voir notre rappeur s’adapter à cela, c’est excellent.

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Que pouvez-vous nous dire davantage sur le Habibi Festival que vous avez co-créé aux USA ?


L’organisation s’appelle Joe’s Pub – public theatre. Ils ont un programme de résidence d’artistes destiné à 5 artistes, chaque année. C’est comme un incubateur qui les aide à monter des projets et à les soutenir. Quand j’étais en résidence dans ce cadre, je regardais énormément de concerts, je vivais là-bas et j’ai réalisé qu’aux USA, il y avait pas mal d’artistes de la diaspora arabe qui n’étaient pas assez représentés par rapport à d’autres identités ou ethnies, ou communautés, venues du monde entier. Aux USA, il y a même une image assez muséale de ce que c’est que la musique au monde arabe, qui se rapporte à l’âge d’or de l’Islam, la musique d’antan… Une image très policée qui ne reflète pas du tout l’alternatif qui bouillonne de nos jours et qui est immensément riche. C’est même sous-représenté aux États-Unis et j’ai fini par en parler au directeur du Joe’s Pub, qui était partant pour l’idée. On a lancé une première édition locale du festival en 2021 dans laquelle on a présenté une panoplie d’artistes pendant 4 soirs. La 2e année, on pouvait faire venir des artistes d’ailleurs, et leur garantir le visa. Un rêve qui se réalise pour moi ! Faire traverser les frontières aux artistes sous Trump pour participer au Habibi Festival, c’est un sacré accomplissement. En 2023, ça continue ! Le public suit et part à la découverte aux États-Unis, ce qui n’est pas le cas en France par exemple où le paysage est garni et reste très différent. C’est une opportunité formidable à saisir pour les artistes étrangers désireux de se produire sur scène aux USA. Je suis franco-tunisien, j’ai grandi en France. J’ai une relation musicale avec la Tunisie, mais je suis aussi beur. Dans ma tête, en tout cas, il y a toujours cette différence que j’essaie de combler, et une volonté de comprendre la Tunisie et le monde arabe. Le festival Habibi est pour moi une manière de reconstituer une identité fragmentée.


Quels sont vos prochains projets ?


Je travaille sur un autre disque avec un autre groupe. AJOYO est un groupe avec lequel j’ai déjà joué en Tunisie. J’ai enregistré un disque en quartet de Jazz au mois de novembre. J’ai une série de dates en avril à New York avec Archie Shepp … Et je viens d’avoir un bébé ! (rire). J’espère revenir en Tunisie plus souvent avec ce projet.

Yacine Boularès, saxophoniste et musicien de Jazz : «Il y a de l’inattendu dans “Osool“» !
Isaac Haddour, musicien et pianiste-interprète : «J’aime l’interdit et le tabou !»
ENTRETIENS1 / 10 / 2023

Isaac Haddour, musicien et pianiste-interprète : «J’aime l’interdit et le tabou !»

Pianiste-interprète, arrangeur, compositeur, producteur musical, Isaac Haddour sait, dans les coulisses, manier les instruments, et la sono depuis de nombreuses années : l’artiste a collaboré sur de nombreux projets artistiques et en travaillant étroitement avec une nouvelle vague de musiciens-artistes, citons Hassen Doss, Mahdi Ayachi, Ghada Maatouk, prochainement, avec Kafon et Asma Ben Ahmed… Pluridisciplinaire par excellence et vivant entre deux rives, Tunis et Paris, il se lance en solo, en présentant au public un projet musical singulier. Rencontre avec une révélation !


Vous venez de terminer le tournage d’un nouveau clip, réalisé par Karim Berrhouma. Il s’agit du 2e chapitre de votre projet musical. Peut-on avoir droit à des spoilers avant sa sortie ?


C’est bien mon 2e chapitre. Le premier était « Araaès Kozah », qui vient aussi de paraître avec Ahmed Landoulsi en voix-off et Ahmed Tayâa en interprète. Ce 2e clip s’appelle « Ghorfa 211 » (Chambre 211), dont le tournage s’est achevé hier. Ces deux chapitres font partie d’un projet qui reste encore sans nom. (Sourire). Le clip fait écho au premier et continue d’avoir comme thématique la femme et son corps, de la mettre en valeur, d’une manière pas commune et la moins commerciale possible. J’aime l’interdit et le tabou, et je tiens à piocher dans cet interdit-là, en Tunisie, à travers ma musique et mes clips. Dans « Ghorfa 211 », on y voit bien le nu féminin : je tiens à ce qu’on perçoit le corps de la femme, non pas comme un objet, mais comme une œuvre d’art, tout en le valorisant.

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Votre style musical est assez éclectique. Comment le définiriez-vous ?


Musique du monde et brassage de musique classique et tunisienne, sans pour autant revisiter le patrimoine tunisien. Ce sont des compositions à 100%.


Vous avez longtemps fait partie de cette armée de l’ombre qui travaille dans l’univers musical et artistique, mais dans les coulisses. Et actuellement, vous vous lancez en solo en rencontrant votre public. Qu’est-ce qui vous a poussé à passer cette étape ?


Je me suis lancé en solo, mais toujours sans couper avec ma carrière initiale. Je travaille toujours en collaboration avec les artistes et je tiens maintenant à lancer mon projet personnel, dans lequel j’aurai l’entière liberté de travailler à ma guise et dans lequel j’aborderai les sujets que je veux, sans pour autant m’éloigner de ma vocation principale : compositeur et arrangeur. Je fais de la musique parce que j’aime en faire et non pas juste pour gagner en notoriété ou devenir trop visible. Je commence par la Tunisie, ensuite pourquoi pas ailleurs ? Quand on évoque des sujets en rapport avec la femme en Tunisie, cela n’a pas la même résonance qu’en France. C’est sans doute plus impactant ici.


Vous avez, à plusieurs reprises, collaboré avec Hassen Doss, Ghada Maatouk, prochainement avec Kafon ou Asma Ben Ahmed. Avec Doss, comment s’est passée votre collaboration ?


On s’entend parfaitement, musicalement parlant. Ça se passe, bien même si des fois, avec lui, tout n’est pas évident (rire). On communique beaucoup, et le résultat final reste toujours édifiant. Mes collaborations artistiques sont bien choisies, bien désignées. Je m’arrête sur leurs attentes, essaie de cerner leur univers, leurs visions, en prenant en considération leur public. J’ai commencé par Ghada Maatouk, Mahdi Ayachi, Enji Maaroufi et plein d’autres et ça continue…


Vous êtes compositeur, pianiste-arrangeur, interprète. Qu’est-ce qui a fait que vous soyez tout cela à la fois ?


Je me suis formé, passionnément en puisant dans les études et en intégrant des établissements de renom. J’aime me distinguer, mon travail plaît à de nombreux artistes et cela ne peut que me pousser à aller de l’avant.


Comptez-vous un jour vous lancer dans la musique de films ?


Oui, mais je dois bien choisir la production, le film et son sujet. Ça va se faire sans doute un jour. Pour l’instant, on attend la sortie de « Ghorfa 211 » et celui du clip d’Asma Ben Ahmed.

Isaac Haddour, musicien et pianiste-interprète : «J’aime l’interdit et le tabou !»
Rencontre avec Mona Belhaj, auteure : "Ecrire contre l’oubli"
ENTRETIENS1 / 5 / 2023

Rencontre avec Mona Belhaj, auteure : "Ecrire contre l’oubli"

Cette semaine, nous rencontrons Mona Belhaj pour son livre «J’ai Peur d’Oublier», paru chez Contrastes/Editions. L’auteure est bien connue du public tunisien pour ses émissions radiophoniques sur Rtci et ses articles de presse dans les colonnes de notre journal, après avoir collaboré à Tunis-Hebdo et à Dialogue. Entre-temps, elle a eu des expériences théâtrales avec Taoufik Jebali dans «Klem Ellil» et «Présent Par Procuration». Depuis les années 2000, Mona entre dans le monde de la gravure et sculpture sur bois sans jamais quitter l’écriture. On la retrouve aujourd’hui pour parler de son livre qu’elle a adapté elle-même pour le théâtre.


Vous venez de publier «Nkhaf La Nensa», un livre écrit en tunisien. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ?


On ne choisit pas d’écrire, on écrit, voilà tout. Pour moi, c’est une longue habitude, une manière de faire le point, de fixer une idée, une rencontre, un événement particulier. Pendant longtemps, c’est en français que je jetais ces notes. L’origine de mon écriture en tunisien, c’est ma participation à un atelier organisé à El Teatro par Zeyneb Farhat. Je me suis aperçue que je pouvais transmettre des émotions et qu’elles étaient reçues. À partir de ce moment, encouragée par Zeyneb, je me suis mise à écrire, comme si les mots tout d’un coup s’étaient illuminés. Ils disaient d’autres choses, ouvraient des voies d’introspection, installaient des échos, levaient en moi des réminiscences, dévoilaient des scènes du passé jusque-là oubliées. Et puis il y a eu la «révolution». J’ai participé à la manifestation du théâtre court où plusieurs artistes étaient invités par Zeyneb Farhat à occuper la scène pendant une dizaine de minutes. C’est là que j’ai dit mon texte sur les blessés et martyrs de la révolution.


Qu’avez-vous peur d’oublier ?


Nous avons tous vécu des moments troubles où des voix se sont élevées pour rejeter toute forme d’art et imposer une vision nouvelle allant jusqu’à mettre en doute l’identité tunisienne, en proposant leur propre lecture de notre histoire. Cette menace sur notre identité m’a placée dans une sorte d’urgence qui m’a poussée à fixer par l’écriture une mémoire qui se dressait devant moi pour exiger son dû. À travers ces souvenirs personnels, je voulais réveiller la mémoire collective en évoquant des personnages pris dans leur quotidien, loin de toute considération politique ou historique avec un grand «H».

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Pourquoi le choix de la langue tunisienne ?


Pour moi, c’était évident. Je ne m’adresse qu’aux Tunisiens. Sciemment je n’ai pas utilisé le langage de tous les jours. Car j’ai voulu rendre hommage à tous ces mots qui portent notre histoire et dont certains trouvent racine dans un passé millénaire. Je dois ajouter que, tout au long de la rédaction de ce texte, je suis tombée sous le charme : chacun de nos mots était à lui seul d’une grande poésie. Nos expressions nous racontent. Elles sont la preuve de notre particularité. Ce sont elles qui m’ont dicté la forme poétique du récit. Notre langue est aussi notre identité. Elle évolue, épouse le présent et, dynamique, elle va vers l’avenir.


Est-ce que vous évoquez une expérience personnelle ?


On part toujours de soi, mais on ne se raconte pas forcément. Il s’agit d’un récit poétique. La narratrice qui vit les événements que traverse son pays a été atteinte par la remise en question de l’identité prônée violemment par certains. Cela l’a fragilisée au point de tomber dans une sorte de délire, qui lui a fait croire que le passé, en effet, pouvait être effacé. Une nuit, elle a vu en songe une grand-mère venue d’un passé lointain qui s’est dressée devant elle, le regard lourd de reproches. Pour la narratrice c’était comme un signal qui lui donnait mauvaise conscience : cette sévérité d’Ommi Nana lui intimait l’ordre de ne pas oublier. C’est alors que des personnages sont venus répondre à sa quête. À travers eux, différents lieux et différentes époques étaient revisités. Ainsi, l’écriture lui permettait de voyager dans le temps et de faire revivre des ambiances et des destins. Reprenant ses esprits, elle sait désormais qu’elle a accédé à l’impossible oubli. L’amour de son pays l’habite depuis toujours et ne saurait mourir en elle… Pour ma part, je précise que tous les visages évoqués ont réellement existé. Ils ne font pas partie de la grande Histoire et sont donc en principe voués à l’oubli. En accédant au statut de personnages ils entrent dans l’immortalité. C’est ma façon de conjurer l’oubli. Je crois en la force de la littérature.


Pourquoi cette nécessité d’en faire une création théâtrale, alors ?


J’ai eu le plaisir et la chance de connaître des expériences théâtrales à El Teatro avec Taoufik Jebali. J’avais aimé le souffle du public. C’est pourquoi a germé dans mon esprit l’idée de faire une adaptation de mon texte. Sur scène, j’ai présenté le monodrame du même titre : «J’ai Peur D’Oublier». J’avais envie de faire entendre les mots et les musiques qui accompagnent les personnages. Et de les faire vivre sous les yeux des spectateurs.

Rencontre avec Mona Belhaj, auteure : "Ecrire contre l’oubli"
 Jamil Najjar, réalisateur : «Les films humoristiques et les sitcoms en Tunisie passent par une crise»
ENTRETIENS1 / 2 / 2023

Jamil Najjar, réalisateur : «Les films humoristiques et les sitcoms en Tunisie passent par une crise»

«Rehla», signé Jamil Najjar, réunit une panoplie d’acteurs. Haut en couleurs et à l’humour décalé, ce court-métrage a interpellé l’attention d’un important public durant les JCC de 2022. Ces mêmes spectateurs sont sans cesse à l’affût d’un nouvel humour. Dans la lignée de «Ghasra» et de «Linge sale», ses précédentes réalisations, le réalisateur continue d’user de la comédie intelligente afin d’interroger un vécu, et bousculer. Rencontre au sommet !


«Rehla», votre dernier court métrage, a, à son tour, été vécu comme un voyage. Parlons-en !


Comme je suis de La Goulette, j’ai longtemps été marqué par ces véhicules qui passaient avec toutes sortes d’engins, d’accessoires, qu’on voyait en dessus : pneus, tuyaux, papiers… et différentes choses étranges. Le film tire son origine de ces scènes de la vie qui m’étaient restées en tête. Critiquer à travers l’humour m’a toujours attiré : un humour qu’on peut appeler comédie noire, burlesque, qui pousse à réfléchir… Le film est coloré, à l’image d’un pays beau, le nôtre. «Rehla» était, initialement, un long métrage que je n’ai pas fait, au final. Je n’étais pas prêt. Ce n’est pas aussi facile encore pour moi de retenir l’attention du spectateur pendant 1h30. Je l’ai fait donc en 26 min. Je l’ai remis prémonté pour les JCC de 2022, et il a été heureusement retenu. «Ghasra», mon précédent court, a raflé une quinzaine de prix à travers le monde, sans être retenu aux Journées cinématographiques de Carthage. Ce film se fraye différemment un chemin, et j’ai dû l’achever à distance, en post-production. L’avant-première m’a été proposée au « Red Sea Festival » mais j’ai préféré qu’il passe en Tunisie.

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Vous vous êtes toujours distingué dans l’assistanat, et avez réalisé trois courts métrages et une sitcom télé. A quand le long métrage ?


C’est la prochaine étape. Etape par étape. C’est une question de moyens et créer un long métrage en Tunisie nécessite beaucoup de moyens et d’efforts. Je privilégie une bonne écriture et un bon casting. L’écriture, c’est la base pour aboutir à un film de qualité.


L’humour a toujours été votre dada. Pousser à la réflexion, à l’autocritique compte pour vous. Envisagez-vous de changer de registre prochainement ?


J’ai déjà travaillé sur des thrillers, des drames à l’étranger. Les films humoristiques et les sitcoms en Tunisie passent par une crise. Le cinéma pour moi est engagé : nous devons véhiculer des messages à travers le cinéma de l’humour. Le Tunisien suffoque, il veut se divertir. Je tiens à ce qu’il rie, et donc autant rire intelligemment. Le public de «Rehla» récemment a beaucoup ri. Quand ils ont terminé la projection, les spectateurs se sont rétractés, à nouveau. Ils ont ri jaune. La comédie est importante. J’adhère à un humour direct. Le film est retenu pour le Festival de Luxor en compétition officielle. Je croise les doigts pour un prix. Deux projections sont déjà programmées à Paris et à Marseille. Cet humour plaira aux Français et aux Tunisiens, résidant là-bas.


Vous avez campé des rôles par moment comme dans la série humoristique policière de Majdi Smiri «Bouliss». Préférez-vous être devant ou derrière la caméra ?


Après trois ans dans «Bouliss», pour moi, ce n’est pas rien. Je n’ai jamais pensé être acteur, malgré mes cinq ans à faire du théâtre au lycée avec Lassâad ben Abdallah. Je n’ai jamais voulu être devant la caméra. Le contexte, autrefois, m’a poussé à me lancer dans l’acting. On m’a demandé, à la dernière minute, d’incarner le rôle de «Mignon» dans «Bouliss». J’ai beaucoup hésité, je m’étais lancé et c’est sans regret. J’ai beaucoup travaillé le rôle, et la composition du rôle. La preuve, ça a duré trois ans. Etre acteur, je me vois le faire avec et pour des amis, mais ce n’est pas mon métier. J’ai joué le rôle d’un flic dans «A peine j’ouvre les yeux» de Layla Bouzid. Une expérience mémorable.


Jamil Najjar et la télé : vous avez à votre actif la sitcom «Le président», datant d’il y a 6 ans. Que gardez-vous de cette expérience?


La sitcom n’a pas reçu le succès escompté. A l’époque, elle a été même ignorée par les journalistes et les médias. C’était dur ! Je faisais le montage au fur à mesure et j’avais l’impression que ce travail passait inaperçu. Je l’ai pourtant bien écrit. J’ai bien fignolé le montage, le casting, l’écriture. Lors de sa diffusion, c’est comme s’il n’existait pas. Il n’y avait même pas eu de mauvaises critiques. Même les acteurs ont douté du projet. L’audience était plate. Même en ligne, des réactions émanaient de profils douteux, «Fake», et répétaient machinalement des commentaires. De nos jours, on ne parle plus d’un travail de qualité, ce sont les chiffres, les vues et l’audience qui priment. La diffusion ramadanesque est une erreur en soi : «Le président» nécessitait une plus grande concentration. Le public, pendant le mois saint, n’était pas apte à recevoir ce genre d’humour. Les téléspectateurs ne pouvaient pas être assez concentrés. Cet humour est en plus interrompu par la pub. Avec du recul, je dirais que mon traitement était peut-être un peu dur, moins accessible. «Le président» a été revu pendant le confinement, et il a fait écho, bien après sa première diffusion. «Attessia» l’a rediffusé récemment.


Quelle vision portez-vous sur le cinéma tunisien de ces 10 dernières années ?


J’apprécie beaucoup ce que la nouvelle vague fait. Au-delà de la subvention, il faut continuer à réaliser des films, même à petit budget. On a un gros problème de distribution. On est en manque profond de salles de cinéma. Les scénarios, les techniciens et les acteurs tunisiens sont les meilleurs dans le monde arabe. On a du succès dans tous les pays arabes, et partout où on passe. Même en Egypte, pays réputé pour son cinéma, on excelle. Pourquoi ne pas faire du cinéma commercial ? Le cinéma tunisien manque de comédies. Mais ce qui est préoccupant, surtout, c’est le manque de salles. Il faut en ouvrir davantage. Nous manquons de volonté pour ouvrir des salles de cinéma, qui sont actuellement concentrées à Tunis ou dans sa banlieue. C’est insuffisant. Il faut partir dans les régions et travailler sur un modèle économique fiable pour assurer la pérennité d’une salle de cinéma. Tant qu’on a des jeunes tunisiens qui montent, qui créent, qui sillonnent le monde et qui résistent, je reste confiant.


Quels sont vos prochains projets ?


Je ferai tourner «Rehla» dans des festivals à travers le monde. Je le donnerai à des associations, gratuitement, pour le projeter. Je viens de terminer le tournage du prochain film saoudien de Dhafer Al Abidine en Arabie Saoudite. J’ai réalisé un documentaire que je vais sortir prochainement «L’Armée blanche tunisienne», hommage au travail acharné des médecins effectué pendant la pandémie. Il a été tourné pendant le confinement général. Ce film est contre l’oubli. Il rappellera une période dure. Je n’ai fait qu’une seule projection pour les médecins à l’IFT. Il a été très bien reçu. La sortie est pour bientôt. J’ai écrit une sitcom «3 Cats», mais pas pour la télé.

Jamil Najjar, réalisateur : «Les films humoristiques et les sitcoms en Tunisie passent par une crise»
Omar El Ouaer, pianiste jazz et compositeur : «Beaucoup de facteurs sont annonciateurs d’une crise de la scène jazz en Tunisie»
ENTRETIENS12 / 27 / 2022

Omar El Ouaer, pianiste jazz et compositeur : «Beaucoup de facteurs sont annonciateurs d’une crise de la scène jazz en Tunisie»

Omar el Ouaer est pianiste jazz et compositeur. Il participe à une tournée musicale unique dans son genre aux USA, depuis octobre 2022, et s’apprête à concrétiser de nouveaux projets. Dans cet entretien, il nous parle de son actualité et lève le voile sur une scène jazz tunisienne en agonie.


Crédit photo : Mehdi Hassine


Vous avez entamé une tournée musicale aux USA et qui se poursuit prochainement. Pouvez-vous nous en dire plus ?


Le leader du projet est bien Yacine Boularès. Il a eu l’idée en 2021, en plein Covid, de créer un groupe de jazz tunisien, qui ne fait pas vraiment du jazz, mais il le mixe à des sonorités tunisiennes. Il y a eu du rap en arabe littéraire, des chansons écrites par Nesrine Jabeur et la musique composée par Yacine. Yacine est saxophoniste, basé à New York. Il tenait à mettre en lumière cette génération de musiciens tunisiens qui a émergé, et pour lui, c’était une manière de montrer que cette musique s’exporte très bien à l’étranger aussi bien aux USA qu’en Europe. On a passé une année à travailler. On a tenu bon, malgré la pandémie… Yacine nous a décroché une petite tournée en octobre 2022 : on a participé à un festival en Côte d’Ivoire et enchaîné avec une première partie aux USA en octobre 2022 : on a fait New York, Duke University, New Jersey. C’était une mini-tournée de 4 dates qui s’est bien déroulée avec une résidence artistique. La 2e partie se fera en janvier 2023. On est 7 musiciens : moi-même au piano et au Keyboard, Jihed Bedoui à la basse, Youssef Soltana à la batterie, Hedi Fahem à la guitare et au Ouatar (instrument tunisien traditionnel), Nesreddine Chebli à la percussion, le rappeur Mehdi WMD, Nesrine Jabeur au chant et, bien sûr, Yacine Boularès qui chapeaute.


Comment percevez-vous la scène Jazz actuelle en Tunisie ?


D’habitude, je suis très optimiste. Ces derniers temps, il y a un effet étrange qui persiste… Post-Covid, peut-être ? On constate qu’il n’y a presque plus d’endroits où jouer de la musique live. Il y en avait beaucoup avant, mais plus maintenant. Les musiciens passent par une phase critique, faute d’endroits où jouer. Financièrement, c’est aussi la chute libre. Ce qu’on vit en ce moment est dérangeant, pénible, dur. Ce n’est pas les lieux qui manquent pourtant, mais presque aucun ne veut ouvrir ses portes à la musique Live. Cette baisse drastique de lieux où se produire est inquiétante. Notre communauté n’est pas unie : elle s’agrandit pourtant, mais elle est divisée. Le jazz club de Tunis nous réunissait avant… ça donnait de l’impact. Cela nous a donné plus de visibilité. Mais on n’a pas su créer une plateforme qui nous rassemble. La génération actuelle n’a pas où se produire, où apprendre. Il y a beaucoup de facteurs annonciateurs d’une crise de la scène jazz. Il faut s’interroger encore sur ce qui cloche. Les médias devraient encore plus nous soutenir. C’est aussi de notre faute : on ne fait pas assez d’efforts. Je vais lancer un appel aux musiciens prochainement pour essayer d’y remédier. Notre but suprême reste de soutenir la scène locale qui, actuellement, agonise. Il faut trouver une solution tous ensemble en impliquant les propriétaires des clubs, médias, public, musiciens. Il y a un gros malaise : en tant que tunisiens, on a besoin de cette scène. On est oublié par l’Etat et la Cité de la culture. On existe pourtant ! La Tunisie a toujours été une terre de jazz : le festival de Tabarka l’atteste. Le festival de Carthage, dans sa première édition, était jazz. (Très peu de gens le savent). Toutes les icônes du jazz mondiales sont passées par la Tunisie… Aux USA, récemment, les Américains étaient surpris de découvrir notre musique et notre patrimoine. Il y a un potentiel énorme, mais l’Etat ne veut rien voir. La transmission doit se faire de génération de musiciens à une autre. Il faut être rassembleur, fédérer et s’accrocher encore de nos jours.


Avez-vous des projets à venir ?


Je travaillerai en trio pour mon prochain disque. Le 3e. Les deux autres sont sortis en 2014 et 2019. Deux musiciens sont venus en Tunisie pour une résidence : Guilhem Flouzat et Clément Daldosso. Ce projet musical qui verra le jour bientôt est soutenu par l’Agora et l’Institut français de Tunisie. Actuellement, je cherche à l’enregistrer à Paris en 2023. Je fais partie aussi d’un Quartet en Tunisie. Tous les quatre, on a joué dans le cadre du 18e Sommet de la francophonie à Djerba. C’était dans un musée traditionnel : c’est l’Agence du Patrimoine qui nous a contactés. Je prépare, depuis, un projet avec cette même agence qui vise à promouvoir les musées de Tunisie à travers la musique, comme une tournée afin de les faire connaître. Je suis à la recherche de soutien financier. L’idée, c’est de faire tourner un projet musical dans les musées et les sites archéologiques tunisiens. J’essaie aussi de monter un projet de workshops de jazz qui viserait à créer une rencontre entre des musiciens américains professionnels et des musiciens tunisiens. Je cherche des fonds pour cela. En tant que musiciens, on a appris dans des stages auparavant : l’idée est de continuer à initier la nouvelle communauté à la musique jazz. C’est utile pour les jeunes artistes montants qui n’ont aucun environnement où apprendre, qui ne savent pas où se produire, où pratiquer. Le fait de monter un projet actuellement en Tunisie est difficile, et travailler avec l’étranger revient aussi cher, mais nous le ferons.

Omar El Ouaer, pianiste jazz et compositeur : «Beaucoup de facteurs sont annonciateurs d’une crise de la scène jazz en Tunisie»
Raouf Medelgi, auteur de « Bonjour Monsieur Bussac : itinéraire d’un écrivain des deux rives » : « Je suis resté fidèle à cette idée de ‘‘pont’’ et d’appartenance »
ENTRETIENS11 / 21 / 2022

Raouf Medelgi, auteur de « Bonjour Monsieur Bussac : itinéraire d’un écrivain des deux rives » : « Je suis resté fidèle à cette idée de ‘‘pont’’ et d’appartenance »

Paru aux éditions Orizons, « Bonjour monsieur Bussac » est un ouvrage de Raouf Medelgi, professeur – universitaire, spécialiste en langue française – littérature caribéenne. L’auteur passe au crible les écrits et la vie de l’écrivain François G.Bussac en se basant sur son vécu en Tunisie durant plus de 15 ans et sur ses histoires de famille ancrées dans notre pays. François G.Bussac (dit le Capitaine) a, depuis, regagné la France. Cette rencontre autour d’un livre retrace une tranche de vie. Entretien.


« Bonjour monsieur Bussac : Itinéraire d’un écrivain des deux rives » vient de paraître aux éditions Orizons. Il s’agit de votre tout premier livre édité autour de la vie et des écrits de François G. Bussac. Un ouvrage qui a été conçu suite à un échange amical, spontané et drôle …


Pour remettre le texte dans son contexte et l’histoire dans son sillage, c’était autour d’un déjeuner avec Monsieur Bussac, chez Martine Gafsi, la comédienne. (rire). Nous discutions de « biographies d’auteurs ». Et spontanément, pour rire, j’ai dit à monsieur Bussac : « On devrait écrire une biographie sur vous ». (Rire). Comme il a plus que 25 ouvrages à son actif et qu’il a longtemps écrit des nouvelles, des romans et des livres pour enfants, on l’a furtivement pensé. Et ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd… (rire) Quelques jours plus tard, on était chez lui au sémaphore à La Goulette et notre écrivain revient sur cette proposition. Il m’a exprimé sa volonté de le faire à condition que le livre soit davantage focalisé sur la relation France / Tunisie : d’où le titre « Itinéraire d’un auteur entre deux rives ». J’ai toujours écrit mais je n’ai jamais donné à lire mes textes à quelqu’un (ou rarement) et l’exercice s’annonçait dur. Le faire, c’est se lancer dans une aventure et comme l’auteur concerné est un ami, on se dit finalement, pourquoi pas ? Il faut éviter le pathos, l’emphase : il faut trouver le ton juste et celui qui donnera envie de découvrir l’univers Bussac. On l’a construit donc ensemble : il s’agit d’une collaboration, entre nous deux et avec nos amis, notamment journalistes, écrivains et universitaires.


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Comment ce livre illustre-il cette relation entre les deux rives de la France et de la Tunisie ?


J’aime bien appeler ce livre « Le pont », aussi simple que soit ce mot. On est dans cet « entre-deux », et nous pouvons saisir ce trait d’union qui unit les rives tunisiennes et françaises. Il ne faut pas oublier également ce lien indéfectible qui lie François G. Bussac à la Tunisie. En effet, pour donner envie et pour parler juste, son grand-père et sa mère ont vécu un temps dans notre pays. Je garde le suspense pour les lecteurs … et de là, a commencé la construction de ce pont. Cet héritage familial a fait que François-George a toujours eu un attachement fort à notre pays. Une relation que je n’ai pas décelée dès le départ : Lui, il était directeur des médiathèques de Tunisie, moi j’ai été journaliste, et on n’avait pas au départ des atomes crochus : on a appris à se connaître bien après, avec la création de la troupe des « Vives voix ». Je suis resté fidèle à cette idée de « pont » et d’appartenance.


Ce livre rend-il hommage à l’écrivain – Capitaine ?


Oui. Il a passé 15 ans de sa vie et la fin de sa carrière en Tunisie. Il a choisi de rester ici après son départ à la retraite et de ne pas rentrer en France. Le Capitaine a beaucoup écrit en ayant ce regard à la fois juste, amusé et parfois inquiet sur la Tunisie. C’est un hommage à l’histoire familiale, aux amitiés tunisiennes et un regard sur les aléas du pays. Il n’y a qu’à voir ses chroniques sur la révolution pour saisir leur force. « Bonjour monsieur Bussac » est un livre qui nous ouvre par petites bribes, par truchement, l’univers de l’écrivain, son antre. Ce livre est un hommage à sa manière d’écrire, à l’écrivain et à l’homme. Le Capitaine est un personnage, qui marque et interpelle toutes celles et ceux qui l’ont connu de près ou de loin, dans le cadre professionnel ou personnel : il a une présence, une prestance, une voix qui remplit l’espace. Il ressemble à un personnage qui sort d’un roman. Un alchimiste qui attirerait le monde autour de lui : on peut l’aimer, avoir de l’affection pour lui, lui en vouloir aussi (mais pas pour très longtemps). L’amitié fait des miracles : mais écrire sur quelqu’un fait encore plus de miracles parce qu’on découvre des choses. On se laisse aller dans des confidences et parfois on devine des choses derrière l’écriture. Quand on lit l’œuvre, on devine des choses après : Il y a une authenticité qui se dégage, il y a une sincérité qui transparaît, qui glisse. C’est un ami des lecteurs, un écrivain-ami, un beau mélange. « Bonjour monsieur Bussac : Itinéraire d’un écrivain des deux rives » paraîtra d’ici un mois en Tunisie aux Editions Arabesques.

Raouf Medelgi, auteur de « Bonjour Monsieur Bussac : itinéraire d’un écrivain des deux rives » : « Je suis resté fidèle à cette idée de ‘‘pont’’ et d’appartenance »
François G.Bussac, «Le miracle de Méméti» : «Une lettre d’au revoir» à la Tunisie !
ENTRETIENS11 / 19 / 2022

François G.Bussac, «Le miracle de Méméti» : «Une lettre d’au revoir» à la Tunisie !

Publié aux «Editions Orizons», la parution du roman «Le miracle de Méméti» résonne comme un testament laissé aux lecteurs tunisiens. François G.Bussac, son auteur, l’a fait paraître en France, avant de le faire publier prochainement aux éditions Arabesques, en Tunisie. François G.Bussac rend hommage, à travers cette double publication, à la Tunisie, qui a longtemps été son pays hôte…


Vous avez une actualité bien rythmée : depuis votre retour en France et après de longues années passées en Tunisie, deux livres paraissent chez les éditions Orizons en France : le premier est de vous «Le miracle de Méméti», et un 2e sur vous «Bonjour Monsieur Bussac», publié par le professeur Raouf Medalgi, en hommage à un parcours prolifique, qu’est le vôtre. Pouvez-nous donner un aperçu sur votre dernière publication ?


Pour ce 1er livre cité, je le considère comme une «Lettre d’au revoir» à la Tunisie. Certains me disent que «Le miracle de Méméti» est comme un testament littéraire. Disons que c’est le premier roman politique dans lequel j’essaie de montrer la Tunisie dans toute sa complexité sociale, en suggérant aux Tunisiens, à ma manière caracolante, de se regrouper, de rester solidaires, afin d’éviter l’abîme à ce beau pays que nous aimons tant.


Dans cette société tunisienne, à qui vous adressez-vous ?


A un public francophone, et à un public qui essaie toujours de concilier démocratie et Islam. Qui continue de tirer des leçons des 10 dernières années postrévolutionnaires, qui n’ont pas été que négatives. J’ajoute ma pierre modeste dans l’essai de compréhension de ce pays.


Une Tunisie, qui, avec ses aléas, a toujours fait partie de votre œuvre…Qu’est-ce qui différencie votre approche dans «Le miracle de Méméti» ?


Le livre qui m’a fait connaître est bien celui du «Jardinier de Metlaoui» : c’était l’histoire de mon grand-père, qui travaillait dans les mines de phosphate tunisiennes, des décennies auparavant. Un livre qui m’a fait connaître et qui a éclairé un moment du protectorat, peu connu au sud de la Tunisie. J’ai publié des livres sur la jeunesse, et un roman qui s’appelle «Le cousin», toujours chez les éditions Arabesques. «Le miracle de Méméti», le dernier paru, est très différent. Il y a aussi cette histoire de ravissement de l’auteur : lorsqu’il crée 6 personnages, qui ne se connaissent pas, et qui sont tunisiens, issus de toutes les classes sociales, âgés ou jeunes, et qui, décident, un jour, de former un groupe théâtral, ensuite politique. Leurs destins s’entremêlent sur 22 chapitres, et avec l’envie commune de faire du bien à leur pays. Une Tunisie, de nos jours, qui se vide de son élite et de sa jeunesse brillante.


«Le miracle de Méméti », d’où s’inspire ce titre qui interpelle ?


«Méméti», c’est la grand-mère de celle qui s’appelle Nour, 25 ans, et qui fait partie du groupe cité. Elle vit au Kram et s’occupe de ses frères et sœurs. Elle rentre un beau jour chez sa grand-mère, au Kef, et se ressource en redécouvrant de nouvelles valeurs humaines.


La plupart de vos personnages sont inspirés de la réalité…


C’est un clin d’œil. Sur les 6 personnages, il y en a 4 inspirés par certains de mes amis proches.


«Le miracle de Méméti» est actuellement publié en France, et le sera bientôt en Tunisie.


Chez les éditions Arabesques, en effet. Ce livre sera vendu en Tunisie, à des prix abordables pour notre lectorat francophone.


Simultanément, Raouf Medelgi, professeur universitaire, publie un livre «Bonjour monsieur Bussac», chez Orizons aussi. Un livre qui relate votre œuvre, votre parcours et ce lien qui vous a uni à la Tunisie.


(Rire), une parution curieuse ! Raouf Medelgi est critique littéraire, journaliste, et professeur. Je le connaissais déjà ! Il prépare une thèse actuellement et comme il a eu l’occasion de lire bon nombre de mes livres, il a proposé d’écrire un essai sur mes livres. On a travaillé la main dans la main. Ce livre est celui de Raouf Medelgi. Des amis proches, académiciens et des journalistes y ont participé. Une publication qui est enrichie par quelques inédits de ma part. Il sera aussi édité par Arabesques éditions.

François G.Bussac, «Le miracle de Méméti» : «Une lettre d’au revoir» à la Tunisie !
Isabelle Coulon, documentariste-Photographe : «L’exposition photographique offre un regard complémentaire aux films»
ENTRETIENS11 / 14 / 2022

Isabelle Coulon, documentariste-Photographe : «L’exposition photographique offre un regard complémentaire aux films»

«Sur la route» a interpellé l’attention des cinéphiles. L’exposition photographique installée à la Cité de la culture est une continuité des projections de la trilogie ethnographique de Jean-Michel Corillion et Isabelle Coulon, programmée lors des JCC. Ce travail photographique itinérant a vu le jour grâce au soutien de Dalila Choukri, consultante artistique du festival. Il sensibilise à des problématiques socioclimatiques majeures.

L’exposition «Sur la route» à la Cité de la culture a accompagné les visiteurs. Comme un complément aux projections de votre trilogie ethnographique, coréalisée avec Jean-Michel Corillion et présentée lors de la 33e édition des Journées cinématographiques de Carthage, elle a permis à des spectateurs de poursuivre cette itinérance, à travers une série de photographies prises pendant le tournage. Quelle est sa genèse?


L’idée d’organiser cette exposition a, en effet, surgi en même temps que la projection des trois films «Sur la route», tournés au Malawi, en Chine et en Inde. Les photos sont un moyen de raconter autre chose : une vision, moins documentaire et plus poétique de ce qu’on peut voir dans les films. L’expo nourrit l’imaginaire de personnes qui regardent les photos et qui se créent leurs propres histoires. C’est un cheminement différent mais complémentaire aux films. On a fait une sélection de 5 photos par pays, classées selon des thématiques : celles des femmes, de la nature, de la spiritualité et celle liée à une atmosphère, ou à des ambiances.


«Sur la route» offre aux spectateurs de la trilogie, projetée pendant les JCC, une autre vision de vos trois films. Comment les visiteurs l’ont-t-ils vu ?


L’exposition découle non pas des films, mais de leurs tournages. C’est un regard complémentaire à des histoires racontées sur grand écran. Le vernissage s’est déroulé à la Cité de la culture. Je suis très heureuse de cette collaboration franco-tunisienne puisque l’imprimeur est tunisien et s’appelle Saber Bahri, un professionnel qui a mené à bout l’impression des photos. C’était un travail collaboratif. De Paris, il n’y a eu que les envois de photos en fichiers. Le développement et le processus se sont entièrement déroulés en Tunisie. Tout s’est bien passé. Je suis satisfaite. Il y a des formats horizontaux de photos qui montrent la nature. Et d’autres verticaux, d’1m50 sur 1 mètre, offrant ainsi une proximité entre nous, spectateurs, avec les personnes visibles sur les photos. Ces mêmes photos qui permettent à ces dernières d’être avec nous. Y en a un, par exemple, qui est décédé, et qui continue de vivre à travers l’image. Pendant la fin de l’expo, on peut voir un moine qui regarde la vallée : on l’a suivi et on a clôturé le travail avec lui. La photographie est un instant figé, comme un arrêt sur image : j’essaie d’instiller des mouvements dans la photo en ayant l’impression que les personnages photographiés sont souvent en activité, en mouvement. Les déplacements sont ressentis à travers nos photos. Une autre thématique cruciale, visible, c’est bien ce rapport qu’entretient l’Homme avec la nature et les animaux. Ce rapport-là est traité différemment d’une culture à une autre.


Pouvez-vous nous en dire plus sur cette trilogie ethnographique, visionnée sur grand écran pendant les JCC ?


Ces trois films longs documentaires sont : «Sur la route de Phirilongwe» au Malawi, «Sur la route de Zanskar» en Inde, et le 3e «Sur la route de Xiao Jang», et sont coréalisés avec Jean-Michel Corillion. Nous avons été extrêmement touchés par la réaction du public. Il y a eu des pleurs, des applaudissements… C’était émouvant, touchant. C’est uniquement dans des festivals qu’on a des retours intéressants.

Isabelle Coulon, documentariste-Photographe : «L’exposition photographique offre un regard complémentaire aux films»
Sahar el Echi, artiste photographe et programmatrice : «L’entretien d’une dynamique de réflexion est crucial »
ENTRETIENS11 / 13 / 2022

Sahar el Echi, artiste photographe et programmatrice : «L’entretien d’une dynamique de réflexion est crucial »

Lors de la 33e édition des Journées cinématographiques de Carthage, une nouvelle section «Semaine de la Critique» a brillé par la sélection de ses films signés par des réalisateurs en pleine ascension. Le débat a foisonné autour d’un nouveau cinéma éclectique et souvent méconnu du large public. Sahar El Echi, responsable et programmatrice de cette Semaine de la Critique, nous en dit plus.


Vous avez géré une nouvelle section lors de la 33e édition des Journées cinématographiques de Carthage, celle de la «Semaine de la Critique». Elle rappelle celle du festival de Cannes… Celles de festivals comme Venise, Berlin…


L’appellation fait écho à cette section internationale qui a toujours existé dans les plus grands festivals du monde. Cette année, dans le cadre des JCC, on s’est intéressé à ces films qu’on ne voit pas beaucoup dans la compétition officielle : ceux qui nous viennent de l’Amérique latine, de l’Europe de l’Est, quelques films européens aussi… Mais ce qui distingue cette section, c’est qu’elle soit davantage focalisée sur les 1ère et 2es œuvres longs métrages de fiction des auteurs. Cette section offre un espace à ces artistes émergents qui viennent d’intégrer l’industrie cinématographique. Elle existe désormais pour les soutenir.


Comment s’est faite cette sélection de films ?


Il y a eu un appel à films lancé depuis mai 2022. Plusieurs films ont été reçus via la plateforme. Tout un comité de sélection m’a accompagnée. La semaine de la Critique est une section indépendante avec un comité de sélection indépendant formé par des critiques de cinéma qui sont aussi à la Fipresci. On a vu tous les films soumis et on les a retenus via un système de sélection, sur des étapes et en se basant sur des critères. Les films sont de nationalités diverses : Ils nous viennent du Mexique, de Roumanie, du Chili, de Belgique / Sénégal, du Maroc, d’Italie et de France. Il ne s’agit pas d’une copie des sections qu’on voit dans les autres festivals. Il faut retenir qu’il s’agit d’une section qui rassemble tous les cinémas du monde, ceux des réalisateurs émergents du monde entier. C’est important pour notre festival qui est arabe et africain de leur donner un espace aussi utile. Rappelons que Tahar Cheriaa a toujours milité pour le cinéma du sud. C’est essentiel qu’ils soient aussi dans une compétition, avec un prix décerné à la fin. C’est impératif de confronter les cinémas du sud et du nord et de mettre en valeur des films avec leurs atmosphères particulières et leurs univers qu’on ne voit pas ailleurs. S’ouvrir sur un cinéma aussi distingué, c’est tout aussi important pour le public tunisien.


Peut-on revenir sur le jury de cette sélection ?


Le jury international se compose de critiques : Serge Toubiana est le président d’UNI France, ancien rédacteur en chef de «Cahiers de Cinéma», ancien directeur de la Cinémathèque. Il a un rapport très personnel à la Tunisie puisqu’il a grandi ici. Les JCC marquent son retour. Kamel Ramzi est écrivain et critique égyptien. Thiorno Ibrahima Dia du Sénégal est chercheur en arts, critique et journaliste. Chiara Spagnoli Gabardi, d’Italie, est critique de cinéma et journaliste. La section doit susciter l’intérêt des critiques tunisiens et journalistes, et celui des Tunisiens qui sont cinéphiles. Après chaque projection, un débat s’organise autour des films projetés. Cette dynamique reste primordiale. La présence du public était remarquable. Cette soif de découverte était omniprésente. Le maintien de cette section est une réussite avec des retombées qui l’attestent. Nous avons aussi invité Charles Tesson qui est critique de cinéma pour une journée autour de la critique cinématographique, organisée en partenariat avec l’IFT. C’était une master-class fructueuse.


Le public présent était conquis. Cette ouverture sur le monde, sur une autre esthétique, et l’entretien de cette dynamique de réflexion sont cruciaux. La section prône des causes humaines, universelles, politiques qui provoquent le débat. Ces films reflètent leurs cultures, mais s’adressent, en même temps, à tout le monde.

Sahar el Echi, artiste photographe et programmatrice : «L’entretien d’une dynamique de réflexion est crucial »
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