L’été 2019 à Hammamet est marqué par le passage sur la scène de la 55e édition du festival international de Hammamet de la Canadienne tant attendue Charlotte Cardin, précédée par le groupe de rock Myrath : un noyau qui ne cesse de se distinguer dans le monde
Deux jours d’intervalle ont séparé les deux tempêtes qui ont balayé la scène. Retour express sur les deux premiers Sold Out de la saison.
Divine Cardin !
Par un samedi caniculaire, les fans ont commencé à se rassembler en masse devant le théâtre de Hammamet dès 18h00. C’est encore tôt, me dites-vous … Mais non, c’est plutôt normal. Les festivaliers ont hâte de rencontrer leur idole qui n’est autre que la jeune et charmante Charlotte Cardin. La Canadienne de 24 ans ne cesse de briller dans le monde entier depuis plus de 4 ans. Sa carrière a explosé des suites de son passage dans l’émission canadienne «The Voice». Depuis, ce sont ses singles en solo qui l’ont catapultée sur la scène internationale. «Main Girl », «Dirty Dirty» ou encore «Big Boy», l’ont fait connaître. Trois heures d’attente, une file d’attente interminable, un dispositif sécuritaire «excessivement » mis en place, et la star a fini par s’emparer de la scène à 22h00 pile. Pétillante, très ouverte à l’échange avec son public, l’artiste n’a cessé de ponctuer ses chansons avec des anecdotes à elle, extraites de sa vie personnelle, relatée et saupoudrée par des plaisanteries. L’atmosphère était détendue à souhait et Cardin a magnifiquement bercé son public en chantant tous ses morceaux phares. Ce jeune prodige, c’est une voix et un charisme exemplaires, qui a conquis un public européen et américain en un temps record. Elle s’est rapidement imposée sur la scène électro-pop européenne et sur les réseaux sociaux grâce à son talent hors-pair et ses compositions distinguées. Ses reprises font partie intégrante de son répertoire épuré.
Lors de sa prestation, elle est passée de la voix au piano et a fait fondre son public hystérique en chantant des morceaux comme «Faufile» ou «Les Jupes». Charlotte Cardin n’a cessé d’exprimer son émerveillement d’être à Hammamet et en Tunisie entre deux chansons. Elle a fait Sold Out en deux semaines. Le public l’aime et elle le lui a très bien rendu.
Du rock / métal progressif et distingué
Deux jours plus tôt, une tempête musicale, venue d’une autre dimension, totalement différente et distinguée, s’est abattue sur Hammamet. Les nombreux fans du groupe Myrath se sont eux aussi emparés des sièges du théâtre pour un live rock des plus détonants et inédits. Les membres du groupe aux 1.000 concerts dans le monde ont concocté pour leur public : fresques, VG, effets sonores et lumières attrayantes, show et un répertoire nouveau titré «Shehili». Les festivaliers composés majoritairement de jeunes adeptes de leur univers étaient aux aguets pour découvrir les nouveautés promises. Leur musique est teintée de tunisianité, mélange de rock, métal, oriental, folklorique propre à eux. Leurs costumes allaient parfaitement avec le tableau scénique. Comme à l’accoutumée, leur spectacle a été enrichi par la performance de danse orientale remarquable de la Géorgienne Héléna. Ils ont commencé par une intro qui renvoie aux origines musicales du groupe «Asl», cet air, venu du désert, a capté l’attention du public. Ils ont enchaîné avec des titres comme «Mersal», «Lily Tawil» ou «Born To Survive». Le chanteur et également aux claviers Elias Bouchoucha, Zaher Zorgati au chant aussi, Malik Ben Arabia à la guitare, le bassiste Anis Jouini et Morgan Berthet à la batterie ont également servi des morceaux comme «End the Silence» et «Shehili». Le concert a duré 2 heures et a scellé les liens entre le groupe, qui est une valeur sûre en Tunisie et dans le monde entier et son public toujours aussi nombreux. Son style musical évolue et passe de la pop symphonique au rock / métal progressif et mélangé à des sonorités différentes. Ce n’est pas pour rien que « Myrath » est un label à part actuellement aux Etats-Unis.
Vers la fin de la seconde décade de juillet, Sousse, pour la 4e année consécutive, arborera son festival de musique électronique, érigé depuis plus de deux ans comme l’un des évènements majeurs des scènes électroniques maghrébine et africaine. Le démarrage du Fairground Festival aura lieu les 19 et 20 juillet, à Sidi Bou Ali, une localité située à une dizaine de km du port Kantaoui.
L’évènement ne se veut pas être un rendez-vous de sons électro seulement, l’équipe a, cette année, décidé de promouvoir la culture amazigh, de s’ouvrir sur des activités inédites mais surtout de s’engager écologiquement.
Plus de 8.000 festivaliers tunisiens et étrangers sont attendus à l’Eco-village de Sidi Bou Ali, à Sousse. Pendant 48h, ils profiteront d’un Line–Up musical exceptionnel, d’exhibitions artistiques inédites et d’arts visuels. L’ouverture des portes de ce site écologique exceptionnel en Tunisie est programmé en fin d’après midi, le vendredi du 19 juillet. Les festivaliers pourront camper sur place, louer des dômes, qui ont été épuisés en moins de 2h, depuis leur mise en ligne pour location. En quelques jours, plus de 2500 tickets ont été vendus, à des prix peu abordables, mais présentés dans des formules alléchantes de logement, déplacement, et programme du festival.
Artistiquement décapant
Dans la première semaine de juillet, l’équipe du festival a fait appel à une poignée de journalistes pour un point de presse pas comme les autres, totalement inédit et à l’image du festival. Toutes et tous se sont donné rendez-vous à Takrouna à Sousse. Le café mythique de ce village berbère situé en haut de la montagne a abrité pendant une après-midi et jusqu’au coucher de soleil un set exceptionnel de «Boti», jeune artiste tunisien, suivi d’un point de presse d’une heure pour dévoiler les dessous du Fairground 2019. 36 artistes tunisiens et internationaux répondront présents, et seront dispatchés sur deux scènes : les festivaliers pourront profiter de 12 live acts. La première scène géante accueillera des pointures de la scène électronique mondiale comme Recondite, DJ Tennis, Artbat, Hvob, Luigi Madonna, Giorgia Angiuli, Animal Picnic, B2B, Marino Canal, Benjemy & Lola, une nouvelle aventure sonore créée par le Tunisien Ahmed Benjemy, Jan Blomqvist, Olivan Pandhora, Tantsui et Shaman. La seconde scène sera consacrée aux artistes tunisiens Hazem Berrebah, DJ Pila, Khaled Mrabet, Lo-Koality, Melkart, Saif Touati, Mahdi Garnaoui, Vodoom, Astrid, Anemoia, Boti, bien entendu, Vulum, Malek Mestiri, Redsea, Hearthug, Saray, Kasbah, Artgate, Bipolair et Mult Not-Lebled. La scène géante qui s’étend sur 300 m2 sera en VG et sera suffisamment équipée pour permettre à des acrobates professionnels, danseurs et performeurs de faire leur show. La seconde scène, minimaliste, plus discrète, intimiste servira de vitrine à nos artistes nationaux de la scène électronique tunisienne, toutes celles et ceux qui font et défont les nuits nocturnes.
De l’électro écolo !
Les chiffres reflètent l’impact positif que peut avoir le Fairground sur l’économie du pays mais surtout sur le secteur touristique : il s’ouvre sur le monde, se veut être qualitatif mais promeut également la région, ses caractéristiques et sa richesse historique. Le Fairground se consacre aussi à la protection de l’environnement et à la lutte contre les déchets sous le slogan «We Go Green». Pour l’équipe et depuis la genèse du festival, faire la fête écolo est une priorité, déclinée en une charte écoresponsable pour un challenge « Zéro déchet ». Cette année, ils en font un objectif primaire en faisant appel à un organisme montant de la société civile connu sous le nom de «Tunisian Campers», formé par un trio de jeunes activistes écolo qui se consacrent à la protection environnemental. Ils sont leaders et pionniers dans la promotion de l’écotourisme et du tourisme sportif. Grâce à leur coopération, ils feront des festivaliers participants des citoyens responsables, et sensibles à la protection de leur environnement. Une occasion de initier à la culture verte, aux réflexes de tous les jours pour sensibiliser à la sauvegarde la nature. Le festival permettra sur ce site d’accueillir 500 campeurs, il sera doté de douches, de WC, de casiers de rangement et de cabines sanitaires. La sécurité est également renforcée. Une «pool side», des séances de yoga et de méditation, le souk des créateurs, une game zone et une zone de détente «chill» à la thématique berbère pour se déconnecter, seront mis en place pour garantir une expérience sensorielle inédite. La scène électronique renait, et s’apprête encore à faire parler d’elle: des évènements comme le retour des « Dunes électroniques» à Tozeur ou «Fabrika», prévu en octobre à Hammamet, sont d’ores et déjà très attendus.
Qui a dit qu’été rimait avec oisiveté pour les jeunes de 20-35 ans ? Lessivés par l’année universitaire pour la plupart, ils / elles prennent le temps de décompresser, se détendre et s’occupent autrement pendant la nuit. Une chose est sûre : les longues journées chaudes et les courtes soirées d’été ne connaissent point de répit.
Eté va de pair avec fêtes
Recherche costumes kitch désespérément, coups de fil à la pelle, préparatifs à la hâte pendant un lundi. En ce début de soirée, Molka, 27 ans, s’arrange tant bien que mal avec ses amis pour ne pas rater un événement festif pas comme les autres du côté de la banlieue nord de Tunis : il s’agit d’une soirée kitch des années 80/90 où sont attendues près de 400 personnes dans un temple de la nuit très prisé. Nejib Belkadhi est aux platines pour leur faire vivre un bond musical dans le temps : le déguisement ou l’habit kitch est obligatoire s’il vous plaît, et on ne peut pas dire que les conviés n’y sont pas allés de mainmorte : toutes et tous étaient aux aguets pour vivre le moment présent et prêts à faire la fête pendant une bonne partie de la nuit. Demain, c’est lundi, la plupart travaillent, d’autres feront sans doute la grasse matinée. Mais ce n’est guère grave, l’important est de vivre le moment présent. Voici un aperçu de ce que peut vivre une partie de la jeunesse tunisienne, qui a soif de quotidien gai et d’ondes positives, dans un climat actuel politique et sécuritaire tendu pour la plupart. La fête pour déstresser et se détendre oui, mais, pour beaucoup, faire la fête devient aussi une manière de résister aux affres des temps durs, et valider ses vacances en Tunisie reste primordial malgré tout, quand on ne peut pas s’offrir un voyage à l’étranger.
En mode foot !
Simultanément, les endroits avoisinants et d’autres éparpillés partout ailleurs regorgent aussi de jeunes mais pas du tout pour la même raison : l’été 2019 est vécu aux rythmes des parties de football interminables : la nation et le continent africain vivent en mode CAN. La Coupe d’Afrique des nations attise la foule : jeunes femmes et jeunes hommes passent parfois des après-midi entiers à attendre les matchs de la Tunisie, qui provoquent réactions collectives diverses et débats interminables. Une bonne partie de ces jeunes passionnés s’arrangent pour s’organiser un plan foot en groupe dans un endroit où il fait bon manger, ou déguster des boissons en même temps. Mieux, un endroit où il est possible de profiter de la plage, de la mer ou d’une piscine, ferait amplement l’affaire : entre deux mi-temps, l’idéal est de plonger, se rafraîchir par ce temps caniculaire. Le foot touche tout le monde : toutes classes sociales confondues. Même dans les cafés maures, populaires et partout sur le territoire tunisien ou dans le monde entier, le foot mobilise, rapproche fortement et incite à la consommation : Foued, 29 ans, ne rate pas une partie de football. Pendant toute la Coupe, sa table est réservée dans un café populaire situé dans son modeste quartier, son narguilé quotidien et son verre de thé sont installés quotidiennement sur sa table «réservée». Des amis le rejoignent ensuite pour des retrouvailles fréquentes et bruyantes : qui a déjà dit que le football était l’opium des peuples ? Ce n’est pas faux…
S’adonner à la consommation dans des endroits plaisants est très fréquent pendant l’été, peu importe le sexe, l’âge et la classe sociale. Consommer oui, mais pas aux mêmes degrés : s’offrir des cafés n’est pas comme partir en soirée, comme celle citée ci-haut, où il faudrait consacrer un budget précis si des jeunes voudraient s’y rendre beaucoup plus souvent.
Les festivals d’été, l’autre lubie
Toujours dans la même lignée des festivités, à partir du 10 juillet, place à la programmation attendue de la plupart des festivals tunisiens : Carthage débute le 11 juillet avec «Le Lac Des Cygnes» du ballet russe de Saint-Pétersbourg, tandis qu’à Hammamet, une première théâtrale attendue signée Jamel Madani ouvrira le bal : Il s’agit de «Messages de Liberté». De grandes personnalités sont programmées cet été comme à l’accoutumée : la tradition des festivals est en effet profondément ancrée dans les habitudes des jeunes pendant l’été. Mohamed et Manel, un couple de fiancés, ensemble depuis des années, ne se privent pas de soirées festives.
«On cherche des têtes d’affiches, des spectacles inédits, divertissants, de qualité, et on s’y prend à l’avance, côté budget : pour nous, voir le maximum de spectacles pendant l’été est obligatoire : ça nous permet de nous occuper, de partir à la découverte, de voyager à travers la musique et les arts, d’échanger et de rencontrer des gens. Après, on se rue vers le marchand de glace le plus proche, histoire de nous rafraîchir avant de rentrer», commente Manel en riant. Mohamed enchaîne : «Franchement, à quoi ça sert de passer ses nuits caniculaires enfermés chez soi, à dormir ou à flâner dans un café populaire, à jouer aux cartes et à parler de tout et de n’importe quoi avec n’importe qui, alors, qu’un peu plus loin, le quotidien peut être tellement trépidant, enrichissant?». Cette année, la plupart des gouvernorats vivent au rythme des festivals internationaux et locaux. De Sidi Bouzid à Bizerte, le peuple tunisien est gâté et sa jeunesse encore plus.
Partir à la découverte de nouveaux horizons
Pour un grand nombre de jeunes, partir en voyage en Tunisie ou à l’étranger est vital et ils s’y prennent à l’avance : congés pour les employés, fin de thèses et de soutenances validées avec succès pour d’autres, actuellement, place aux évasions.
A l’échelle locale, les maisons d’hôtes sont en vogue : s’évader de la vie urbaine stressante dans un coin isolé est le meilleur moyen pour beaucoup de se retrouver entre proches et de se couper du monde pendant une bonne période. Pourquoi les maisons d’hôtes ? : «Parce que le rapport qualité-prix est bien meilleur que de se retrouver dans un complexe hôtelier qui coûte trop cher pour pas grand-chose : trop souvent, on est déçu par le service qui laisse à désirer, la saleté et la clientèle bruyante et désagréable : on préfère payer pour se retrouver dans un endroit calme où on est sûr de bien profiter de ses moments en or entre nous, mieux que de prendre un risque aussi élevé de gâcher nos vacances dans un hôtel ailleurs.
Autant laisser les hôtels aux vacanciers de masse et aux étrangers qui adorent flâner dans des hôtels sans faire grand-chose d’autre!», commentent Sarah, Wiem et leur frère Sami. Agés de 24 à 28 ans, ils sont frères et sœurs et invitent chaque été cousins et amis dans une maison d’hôte, loin de la capitale et de leurs quartiers respectifs pour une évasion garantie. «S’il faut tout claquer, autant le faire dans un très bon plan et ne pas avoir de regrets après». D’autres s’accordent le voyage de l’année à l’étranger, mais pour y arriver, les économies sont de mise et il faut s’y prendre à l’avance, pendant l’année. «Il devient de plus en plus difficile de voyager de nos jours : ça coûte de plus en plus cher avec la dévaluation du dinar et les formalités du visa de plus en plus difficiles à faire pour des destinations européennes, asiatiques ou ailleurs», commente Salah, 30 ans, ingénieur, adepte de voyages divers depuis si longtemps qui cite : «Pour quelqu’un comme moi qui voyage depuis longtemps, on sent la différence : voyager n’est plus à la portée, hélas, mais je m’accroche. Ne pas m’offrir au moins un voyage par an me rendrait fou».
Le travail et les études n’empêchent pas les jeunes de nos jours de profiter pleinement des vacances d’été, chacun à sa manière, à son rythme, en couple, en solo, en groupe, entre collègues ou en famille, tout est question d’organisation et de moyens : en effet, tant que le porte-monnaie le permet, rien ne les empêche de croquer le mois de juillet et d’août à pleines dents.
Cette exposition initie les visiteurs à l’art psychopathologique soigneusement chaperonné par l’artiste plasticienne Mme Jihene Benaich Elmouaddeb, avec l’aide de l’association. Scruter chaque œuvre accrochée, c’est comme permettre à une personne de voir par le trou de la serrure d’une porte : ces tableaux donnent un aperçu fascinant, déroutant souvent, intrigant de l’univers dans lequel baigne le patient. Des pensées aux idées, en passant par des maux esquissés : certaines œuvres paraissaient juvéniles… malgré l’âge des 6 patients-artistes participant à cette activité et qui oscille entre 30 et 50 ans.
L’idée a germé depuis plus d’une année, mais le processus de sa concrétisation était lent : il s’agit du premier projet présenté par ses activistes militants pour la santé mentale et qui ne se veut pas caritatif mais vise plutôt à abolir les tabous qui entourent les troubles mentaux et à promouvoir un potentiel artistique.
Dans sa première étape, l’association a collaboré avec l’hôpital Razi doté déjà d’une unité pilote d’«Art-thérapie». Comme elle n’est pas active depuis 5 ans, il fallait juste la renforcer, l’appuyer, y créer, entre autres, des activités : la faire revivre et mettre par la suite en exergue ses œuvres précisément. L’art thérapie est une spécialité dédiée aux plasticiens et qui vise à soigner mentalement via un art précis : musique, peinture, etc. Une spécialité déjà mise en pratique à l’hôpital Razi depuis des années, mais qui reste peu visible, connue : elle apaise, soigne les patients en mal de vivre et les aide à mieux se réinsérer socialement.
L’artiste Jihen Benaich Elmouaddeb, avec l’assistance d’une psychologue, a créé un processus de sélection des patients consentants et intéressés à participer à cette activité : s’assurer qu’ils ne sont pas réticents à y participer est capital. «Pour la nouvelle collection, 6 patients ont répondu à l’appel», souligne Imen Bel Abid, médecin résidente à l’hôpital Razi et cofondatrice de l’Association des activistes pour la santé mentale.
Par ailleurs, on remarque que les œuvres n’étaient pas titrées et que certaines n’étaient même pas signées. Notre résidente explique : «Les patients ne veulent pas signer : de nombreuses explications sont possibles, mais l’histoire, la littérature ont vu défiler ce type d’expériences et cette réticence à s’exposer était et est toujours récurrente. Il ne faut pas non plus les obliger à le faire. De très nombreuses toiles ont été réalisées, mais au final, on n’a pas pu être sûr de l’identité exacte de celui qui les a peintes». L’activité a duré un an pour prendre totalement forme. L’exposition s’est étalée sur trois jours et de nombreuses toiles ont été vendues. Ce vernissage était une occasion unique pour découvrir la forêt secrète de ces patients-artistes hors du commun.
Le programme du RightsCon Tunis a couvert de nombreuses questions pressantes et d’actualité dont des sujets cruciaux comme l’intégrité du système électoral et l’érosion des valeurs démocratiques.
Après Toronto, l’année dernière, San Francisco, Rio de Janeiro, Manilla ou encore Bruxelles, c’est au tour de Tunis d’accueillir le premier évènement mondial sur les droits humains à l’ère du numérique organisé par « Access Now ». 3000 participants venus du monde entier n’ont cessé d’affluer depuis le 11 juin. L’évènement s’est étalé sur 5 jours au palais des congrès et aux hôtels avoisinants. Il s’agit d’une première en Afrique et au Moyen-Orient.
Ce sommet mondial a démarré sur les chapeaux de roues dans la soirée du 11 juin : Facebook, Amazon, Reddit, Instagram, Microsoft, Google et une quarantaine de leaders du net ont répondu présent au palais des congrès. Le RightsCon, c’est des rencontres, panels, du networking, des workshops, des évènements privés et autres conférences qui ont tourné principalement autour de la sécurité numérique, entre autres, l’émergence des réseaux sociaux, la démocratie à l’ère du numérique, etc. L’évènement, qui reste considérablement payant, attire un grand nombre de participants engagés dans l’activisme à l’échelle mondiale et s’adresse spécialement, dans sa ville hôte, à sa société civile : ONG, activistes, associations diverses qui œuvrent pour les droits humains : ils ont fusionné et sont entrés en contact pendant presque une semaine avec les chefs d’entreprises mondiales, décideurs/politiques, directeurs/trices juridiques, représentants/es de gouvernements, technologues, universitaires, chercheurs et défenseurs des droits humains. Ensemble, ils ont mobilisé un grand nombre de secteurs afin de créer des partenariats, collaborer, élaborer des stratégies pour mener à de grands changements pour un monde plus libre, ouvert, connecté mais surtout sécurisé. Des problèmes urgents et forcément d’actualité se trouvant à l’intersection des droits humains et de la technologie numérique ont été largement abordés.
Une grande diversité de thèmes
Le programme du RightsCon Tunis a couvert de nombreuses questions pressantes et d’actualité dont des sujets cruciaux comme l’intégrité du système électoral et l’érosion des valeurs démocratiques, l’intelligence artificielle et la responsabilité algorithmique, notre identité en ligne, la biométrie, et les technologies de reconnaissance faciale, la convergence des technologies émergentes, la protection des données et le contrôle des utilisateurs aux niveaux local, régional et mondial, la désinformation et l’avenir du journalisme, la perturbation et la discrimination des réseaux, la vie privée, la surveillance et le contrôle social, l’inclusion numérique et l’accessibilité, la technologie comme outil pour les objectifs de développement durable, le renforcement de la sécurité informatique et l’avenir du cryptage, la politique de cybersécurité, ou encore le conflit et les réponses de l’aide humanitaire à l’ère du numérique.
Mme Michelle Bachelet, Haut Commissaire des droits de l’homme, ainsi que 5 rapporteurs spéciaux représentants des Nations unies ont répondu présent. Plusieurs personnes éminentes du gouvernement tunisien et de l’Union européenne sont déjà sur place. Sociétés privées et acteurs de la société civile et mondiale sont massivement représentés.
Pourquoi Tunis ?
Étant un centre de technologie émergente et de démocratie naissante, la Tunisie a été choisie parce qu’elle est toujours perçue comme un symbole d’espoir dans la région et dans le monde depuis le déclenchement de la révolution de 2011. D’ailleurs, depuis 2014, « Access Now » se situe à Tunis et travaille sur des cadres juridiques basés sur le respect des droits, la sensibilisation du public à travers des campagnes de plaidoyers et offre un soutien technique pour les utilisateurs à risque disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
Les événements récents en Tunisie, tels que le décernement du prix Nobel de la paix et l’entrée en vigueur du StartUp Act, situent le pays à l’avant-garde de la région grâce à son engagement dans ces conversations cruciales au sujet des droits humains à l’ère du numérique. RightsCon Tunis est aussi une opportunité pour mettre en valeur la richesse du patrimoine et l’histoire de la Tunisie, ainsi que sa vision de l’avenir où le pays a plusieurs fois affirmé son engagement à devenir un chef de file dans le domaine de la technologie numérique. 130 pays ont rythmé le RightsCon Tunis depuis son démarrage. Il prendra fin aujourd’hui vendredi 14 juin.
« Personnelle », comme son titre l’indique ? Le mot est faible. Du haut de ses 27 ans, fraîchement diplômée, l’artiste Dorrine Nasri se dévoile à son public pendant un mois, lors d’une première exposition. Pour le 27 avril et en guise de portails d’accès à son jardin dissimulé, elle a mis en place, dans l’enceinte de la librairie « Fahrenheit 451 », ses propres tableaux picturaux : ceux qu’elle a esquissés depuis une dizaine d’années jusqu’à nos jours. Immersive à souhait, son œuvre est certes intimiste, mais finit par dérouter à coup de messages subtilement féministes.
« Melancholia », « Vicieuse », ou encore « Radio silence », « Rébellion » ou « la gambadeuse »… Autant d’appellations pour cette jeune dame dans tous ses états, qu’on voit défiler devant nos yeux sur une quinzaine de tableaux… en portraits seulement. Une quinzaine de tableaux … ou sur ce qu’il en reste. Dorrine Nasri, architecte de formation, et artiste peintre de vocation, a descellé le monde dans lequel a longtemps gambadé son personnage féminin et est parvenue à toucher un bon nombre d’acheteurs.
Nous partons à la découverte d’une jeune femme, émanant de son imaginaire. Est-ce son reflet ? Est-ce elle ? Impossible de le deviner en découvrant son exposition, mais les états d’âme exprimés sont les siens : «une affirmation de soi », elle l’avoue haut et fort. Des ressentis et un vécu qui ont forgé sa propre personnalité au fil des années et ont été endossés par cette jeune inconnue imaginée le temps d’une exposition. « Il s’agit de ma première exposition personnelle, comme son nom l’indique, propre à moi, qui m’a permis de connaître un public intéressant et intéressé. Il fallait sauter le pas. », déclare-t-elle. Faits de peinture à l’huile, les tableaux sont inspirés d’un support réel, des influences, des photos, et, d’un tableau à un autre, elle fignole, remodèle, modifie, crée.
Le jet spontané a commencé depuis ses 17 ans. De nos jours, et 10 ans plus tard, les autres créations ont suivi. « Je ressens les changements, mes changements, mon évolution que je reflète». Elle enchaîne : « Mon exposition prône un certain féminisme, peu farouche ». Des messages subtils mais facilement décelables évoquent frontalement la condition de la femme : la pression qu’elle subit, d’ordre social, parental, familial, conjugal… son quotidien qui rime souvent avec « résistance ». « Sur l’un des tableaux, on voit un œil qui explose, en référence, à un ras-le-bol, une pression ; le fardeau d’une existence ». Dorrine a contracté le virus de la peinture très tôt, depuis sa plus tendre enfance, grâce à sa mère, également peintre. Cette dernière l’initiait à la lecture, quand l’artiste, au lieu de lire, redessinait les illustrations des livres pour enfants et tissait de nouvelles histoires autour. Dorrine Nasri exposera jusqu’au 27 mai à la librairie Fahrenheit 451 à Carthage.
Des artères entières truffées de stands, et dispersées sur les 3 halls du palais du Kram, abriteront jusqu’au 14 avril, les différentes maisons d’édition et éditeurs étrangers, arabes et tunisiens : elles consacreront leurs espaces aux écrivains et autrices venus échanger avec les visiteurs présents. Le démarrage se fait tout doucement cette année : la présence du public était timide pour un premier week-end mais s’est considérablement accrue au cours de la semaine.
Après une inauguration en grande pompe, effectuée par le chef du gouvernement Youssef Chahed et le ministre des Affaires culturelles M. Zine el Abidine, place désormais aux visiteurs : véritables férus des livres. Des adultes, en grande partie des parents, arpentaient les allées dès samedi matin. Le rendez-vous livresque annuel a commencé… et ils l’entament en compagnie de leurs enfants : bouquins de coloriage, ouvrages ludiques, contes pour enfants, et un espace de garderie, équipé de jouets et d’une assistance. Mais pas que… des spectacles réalisés par des enfants — pour la plupart de théâtre et de chorégraphie — se faisaient en boucle. Les parents rencontrés sur place sont soucieux des connaissances de leurs enfants : ils tiennent à les initier aux livres, à l’écriture et à l’art, et c’est dans le cadre de la foire qu’on réalise que ce n’est nullement une question de classe sociale : toutes les catégories étaient sur place et n’avaient qu’un seul but : l’éducation de leurs progénitures pour la plupart réceptives et enthousiastes.
Les éditeurs tunisiens les plus connus, des plus récents aux plus anciens dans le milieu, arboraient leurs plus belles productions littéraires. Pop Libris, la maison d’édition fondée juste après la révolution par Atef Attia et Samy Mokaddem (également écrivains acharnés), ne cesse de faire connaître de jeunes auteurs et autrices. De nouvelles publications sont en effet apparues : la dernière en date est le recueil de poésie anglaise « Skein Of Wool » du jeune Mohamed Hichem Samaali. « Dimansia » de Tarek Lamouchi était également exposé et demandé, mais aussi « Les contes du clair de lunes » publié par cette même maison d’édition en collaboration avec « Beit Riouaya Tounes ». Le recueil contient douze textes en langues arabe et française écrits par des auteurs tunisiens, issus de toutes les générations, de tout âge et rassemblent les différents genres littéraires. 25% des bénéfices de la vente de ce livre seront versés à l’association d’aide des enfants de la lune de Tunisie. Aussi, disponibles des livres d’Atef Attia, Samy Mokaddem, Salma Inoubli et bien d’autres.
Un peu plus loin, on s’approche paradoxalement de la maison d’édition la plus ancienne en Tunisie, à savoir Arabesque qui organisait une séance de dédicace dédiée à Anouar El Fani, présent sur place pour lancer « Regards de femmes », son nouvel ouvrage qui connaît déjà un franc succès auprès de la gent féminine. Khaoula Hosni, auteure de la trilogie «Into the Deep», dont deux tomes sont déjà publiés, « Le cauchemar du Bathyscaphe » / « Du Vortex à l’Abysse », et qui a depuis récemment sorti le premier book audio paru en Tunisie et dans le monde arabe en langue française, ne pouvait rater ce rendez-vous sous aucun prétexte. Un cadre unique pour rencontrer son public épris depuis quelque temps par son dernier ouvrage de nouvelles « Les cendres du Phoenix ». Une connexion intergénérationnelle enrichissante sur le même stand.
Pas très loin d’Elyzad, celui de Cérès. L’historienne, chercheuse et universitaire, Héla Ouardi, gère une séance de dédicace de son ouvrage « La Déchirure », premier tome de sa série « Les Califes maudits », récemment publié à Paris chez Albin Michel et également édité à Tunis, par Cérès Editions, ce qui le rend disponible à un prix abordable (20 DT). L’écrivaine a fait sensation 2 ans plus tôt en publiant les « Derniers jours de Mohamet ». Ouardi raconte la dispute qui a eu lieu entre les compagnons du prophète concernant son héritage. Tout un hall ou presque est consacré à la littérature algérienne, saoudienne et au monde arabe. Un rayon consacré au spirituel et à la religion, qui attire mais pas autant que les livres consacrés à la psychologie, aux différentes disciplines artistiques, culturelles, et aux nouveautés littéraires nationales et internationales. Les adaptations ciné et sérialisées sont très prisées.
« Oueld Fadhila », d’Amira Charfeddine, a été lancé chez « Cérès » face à une foule de curieux pour la plupart des jeunes venus se procurer le livre qui traite de la question de l’homosexualité et le vécu du personnage principal dans un quartier populaire de la capitale. Une leçon de tolérance, d’acceptation de l’Autre qui s’insère dans la thématique principale de la foire, à savoir « Libertés individuelles et égalité ». Les panels et débats tournent autour de cet axe : un débat animé par Rihab Boukhayatia, journaliste pour le Huffpost, a rassemblé Saif Eddine Jelassi de «Fanni Roghmane Anni » et Mariem Guellouz, directrice des Journées chorégraphiques de Carthage. Ensemble, ils ont traité de la question « du corps dansant » et son rapport à la sexualité, à la liberté, au genre, à l’espace public et à la relation homme / femme. La salle Zoubeida-Bchir a abrité un échange autour « des libertés individuelles et des jeunes » en présence de Haythem el Mekki, Amal Khlif, Lina Ben Mhenni et Youssef Ben Moussa. Le panel réservé à l’écriture en tunisien a connu un vif échange en présence du jeune auteur Dhia Bousselmi, d’Anis Ezzine et modéré par Wahid Ferchichi. 319 Stands, c’est bien, mais autant de conversations autour de cette thématique resteront de loin l’atout fort de cette 35e édition.
Le désert, chez beaucoup, provoque le vertige. Une étendue infinie de sable fin où l’aridité, le silence et la solitude sont les maîtres-mots. Une immersion en plein cœur du Sahara tunisien prouve le contraire. Embarquement avec l’équipe du PAMT(*) dans les dunes de Douz.
Douz, au sud de la Tunisie (située à 488 kilomètres de la capitale), a longtemps été surnommée «la porte du désert». Nous la franchissons à bord d’un 4×4 piloté par Omar Sanhouri, chauffeur chevronné qui totalise plus de 20 ans d’expérience. Une fois la porte du désert franchie à travers une oasis, la verdure des palmiers commence à se dissiper, ne laissant paraître qu’arbustes secs et dunes à perte de vue. L’évasion prend peu à peu l’allure d’une plongée sablonneuse dans l’inconnu. Plus on s’enfonce dans les dunes, plus on perd de la vitesse, plus la fréquence radio peine à se faire entendre ; les réseaux téléphoniques rendent l’âme et le souvenir des villes s’engloutit dans les sables.
Dans les virées sahariennes, on perd la notion de distance, spécialement les guides, habitués pourtant à parcourir de longs trajets : une dizaine ou une vingtaine de kilomètres, c’est comme une quarantaine, voire une cinquantaine. Rouler des heures et des heures, c’est ce qu’ils ont toujours accompli, sans la moindre contrainte due à l’insécurité ou encore aux intempéries.
La première escale se fait au gré du hasard : le véhicule doit s’arrêter net pour laisser passer un troupeau de dromadaires sauvages. Ces bêtes robustes vaquaient à leurs occupations les plus élémentaires, ils broutent, et subviennent à leurs besoins. La quarantaine de bêtes semble gênée par cette présence inhabituelle : la nôtre. Le troupeau est gardé par un homme qui, seul semble capable de les dompter : Faouzi, la trentaine, vêtu d’un dengueri défraîchi, une clope à la main. Originaire de la région, forcément, Faouzi semble connaître cette infinité de sables comme sa poche ; il s’y oriente à pied avec la plus grande facilité, toujours entouré de ses chameaux. Ce jeune Bédouin ne vit que pour eux et ne rentre chez lui à Douz qu’en s’assurant qu’ils se sont bien nourris. Son quotidien dans les dunes se résume à cette activité, d’une grande simplicité, mais vitale pour lui : les entretenir est son gagne-pain. Originaire de Nouiria, une localité de Douz, il affirme parcourir plus d’une quarantaine de kilomètres chaque jour en tâchant de rentrer chez lui peu avant le coucher du soleil.
Faouzi n’est pas le seul à partager cette vie aride : reptiles et oiseaux laissent leurs empreintes partout où ils passent. Plus loin, les traces d’une activité humaine occasionnelle commencent à apparaître à l’horizon.
Les vestiges d’une ville
Il est 14 heures. L’échappée commence à s’éterniser et le guide nous suggère, sur un ton sec mais toujours souriant, de rentrer à Douz. Un retour difficile qui devait se faire par un autre chemin, plus dur à emprunter que celui du matin : le véhicule s’est enfoncé à trois reprises dans le sable. Pour le dégager, l’équipe du PAMT doit pousser, suer, souffler et se surpasser physiquement. Le guide, lui, a gardé son calme : une panne comme celle-ci est monnaie courante.
Au loin, une oasis commence à apparaître comme un mirage : nous nous apprêtons à la traverser pour quitter ce quotidien saharien finalement pas si calme qu’on peut le penser. «Le Sahara regorge de trésors, et vous n’en avez eu qu’un bref aperçu…». conclut Omar.
Nous rentrons dans le havre de Douz. La ville vit au rythme de son festival international qui vient stout juste de commencer.
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(*) Le Programme d’appui aux médias en Tunisie organise du 19 au 23 décembre une formation-production impliquant 15 jeunes journalistes dans la couverture rédactionnelle du festival du Sahara de Douz et de sa région. Leurs productions sont publiées dans leurs médias, sur le site du PAMT (www.mediaup.tn) et du CAPJC (www.capjc.tn)
A l’heure du numérique, des smartphones et des avancées technologiques, il serait aisé de penser que jeunes et lecture ne font plus bon ménage… ou presque ! Pourtant, quelques maisons d’édition, écrivains tunisiens et librairies privées notent un engouement qui perdure. Des ouvrages (tous styles confondus) en langue française, mais surtout anglaise et même arabe suscitent toujours l’intérêt des jeunes lecteurs.
Séances de rencontres et de dédicaces, ventes honorables, avis positifs ou négatifs échangés, groupes de discussion sur les réseaux sociaux… Cette effervescence ne peut qu’attester encore plus de l’engouement d’une petite partie de la jeunesse tunisienne qui suit, doucement mais sûrement, les nouveautés littéraires locales et étrangères. Une occasion de revenir sur cette relation en dents de scie entre «livre et jeunesse» en Tunisie.
Lecture et jeunesse : la passion y est toujours… ou presque
Se procurer des livres ou opter pour la presse papier devient de moins en moins fréquent. Cette accalmie est universelle et n’est pas l’apanage de la Tunisie. Internet prend de plus en plus d’ampleur et avec l’avènement des smartphones et tablettes, le papier a muté et tout ou presque est devenu lisible en ligne. Une conversion à l’ère du temps qui a impacté le livre négativement… Mais c’est cette passion minime pour le bouquin qui suscite la curiosité.
Une librairie située en plein centre-ville de Tunis attire encore une clientèle fidèle et issue de toutes les catégories sociales. Lotfi, libraire sur place depuis des années, constate cet engouement : «Les jeunes lisent, c’est certain. Ils sont à la page également. S’il y a un genre romanesque très prisé et dont une bonne partie se trouve souvent épuisée, c’est bien les sagas fantaisistes récentes à la “Game of Thrones”, ou “Harry Potter”. Il y a le format livre des séries télé en vogue du moment tel que “13 Reasons Why” qui reste très demandé. Les incontournables Marc Levy, Guillaume Musso ou Laurent Gounelle pour les livres en français, continuent également à attirer des lecteurs, auxquels s’ajoutent quelques “best sellers” et polars en anglais. Pour la langue arabe, c’est surtout la thématique du féminisme qui attire beaucoup, comme Ahlam Mosteghanemi, Nawel Saâdaoui et la jeune romancière tunisienne montante Khaoula Hosni».
Après réflexion, le libraire a souligné l’intérêt pour les livres de psychologie et de développement personnel. «Ce n’est pas une affaire de jeunes seulement, tout le monde s’y intéresse».
D’une librairie à une autre le constat est unanime : de nos jours, les jeunes aiment le surnaturel et le fantastique. Ils cherchent à s’évader et boudent par ailleurs les ouvrages de philosophie et les grands classiques. Selon eux, deux catégories de clients existent : les curieux, qui viennent voir sans forcément acheter, et les fidèles qui s’offrent un livre tous les mois, voire trois. L’avis de S., libraire reste mitigé : «Les jeunes ne se procurent peut-être pas fréquemment des livres, mais ce n’est pas le désert non plus».
Spécialisée dans les ouvrages philosophiques, peu visibles, et dotée d’une façade rétro-vintage, une autre librairie située à la place Barcelone nous renvoie à l’ambiance littéraire des années 80. Une fois à l’intérieur, il est difficile de ne pas sentir l’optimisme débordant de son staff : «Les jeunes lisent de la philosophie, ils sont curieux, ils achètent et s’instruisent, certains vont jusqu’à faire des économies pour en avoir plus. C’est archi-faux de dire que les jeunes ne lisent pas, sinon on aurait fermé boutique depuis longtemps», déclare une libraire, la trentaine.
Un cri de détresse
Mais au-delà des murs des librairies en vogue, le cri de détresse d’un bouquiniste situé rue d’Angleterre se fait entendre : «C’est aberrant de dire que les jeunes sont toujours aussi passionnés de lecture qu’auparavant !», s’indigne Mounir, responsable de « La Bouquinerie Populaire», qui existe depuis bien avant l’Indépendance de la Tunisie. Un simple visiteur ne pourra pas rester indifférent à la quantité considérable de livres et de revues qu’elle possède. Bien achalandé, l’endroit est constitué d’armoires immenses de bouquins divers et anciens pour la plupart. Difficile de ne pas trouver son compte ici, lorsqu’on est passionné de livres. Le responsable enchaîne : «On me sollicite pour des ouvrages scolaires ou universitaires. De futurs bacheliers me rendent visite, mais ils ne le font pas par passion, c’est limite s’ils étaient contraints de le faire. L’époque où les jeunes lisaient plus de 4 livres par semaine est bel et bien révolue».
Mais est-ce seulement cette effervescence technologique qui empêcherait les jeunes de lire davantage ? Pas si sûr…
Le livre est devenu un luxe
Sur terrain, l’amour de la lecture ne s’est toujours pas totalement dissipé. Seulement, se procurer un nouveau livre pour un jeune est devenu une affaire de moyens. Toutes les nouvelles sorties littéraires, et en particulier celles qui sont importées, coûtent cher et n’incitent pas le jeune Tunisien de classe moyenne à acheter. Le pouvoir d’achat a considérablement baissé et la majorité des libraires consultés s’accordent à dire que face à la dévaluation du dinar, celles et ceux qui achetaient des livres fréquemment ne le font plus, faute de moyens.
«Un nouveau livre à 10 ou 15 euros coûte désormais 35 à 40 dinars, une somme vraiment élevée, les jeunes d’aujourd’hui préfèrent de loin dépenser cette somme pour autre chose», déclare Lotfi El Hafi, propriétaire d’une librairie qui a pignon sur rue à La Marsa. Les clients fidèles achètent désormais un livre coûteux tous les deux à six mois. Il est clair qu’il ne s’agit toujours pas d’un véritable désintérêt, mais plutôt d’un manque de moyens. Dépenser autant pour un jeune étudiant tunisien est devenu impossible.
La lecture en ligne ou l’autre alternative
Certains affirment clairement que le coût du livre ne fait pas fuir et que dans les bouquinistes comme dans les librairies, les ouvrages à prix réduit existent bel et bien. Le rôle des parents a été pointé du doigt : ces derniers devraient, selon certains, transmettre la passion des livres à leurs enfants : «Il faut que ces mômes grandissent avec cette passion», affirme le bouquiniste de la rue d’Angleterre sur un ton ferme.
Une jeune libraire à La Marsa constate cependant parfois une réelle implication des parents, qui poussent leurs enfants à acheter des livres, allant jusqu’à essayer de les convaincre de réduire leur usage des tablettes et des consoles de jeux, au profit des livres. Les ouvrages pour enfants se vendent beaucoup. Cette approche éducative a gagné du terrain depuis la révolution et la montée du terrorisme : certains parents veulent que leurs enfants lisent afin de nourrir leur sens critique, leur réflexion, pour, notamment, les préserver du fanatisme. Il s’agit toutefois d’une constatation relevée auprès des familles instruites mais surtout aisées.
Face à cette évolution technologique et au prix élevé du livre, les lecteurs se sont tournés en masse vers la lecture en ligne. Les ouvrages les plus recherchés sont disponible en version PDF, gratuitement, en deux clics… et les libraires comprennent et soutiennent la lecture en ligne. Le livre reste sacré pour eux, le contact du papier demeure irremplaçable. Lire en ligne gratuitement aurait un autre charme, «mais cela reste de la lecture et on ne peut qu’encourager. Il ne faut pas dire que c’est mauvais de lire ainsi de nos jours, c’est juste différent, et il faut s’adapter», concluent-ils.