La remise des prix annuelle du Comar d’Or se déroulera ce soir au Théâtre municipal de Tunis. La célébration du livre tunisien est organisée simultanément avec «La journée mondiale du livre et des droits d’auteur» et s’annonce sous les meilleurs auspices.
Dans sa 23e édition, le Comar d’Or rend hommage à feu Rachid Ben Yedder, mécène des lettres et de la culture et pilier du groupe Comar, décédé en 2019. Trois catégories sont truffées de nouvelles publications tunisiennes en langue arabe et française dispatchées sur trois catégories : le prix de la découverte, le prix spécial du jury et celui du Comar d’or.
13 titres en langue française et 34 titres en arabe soit 47 livres ont été retenus pour cette année. La sélection des meilleurs titres fut rude pour les deux jurys composés d’universitaires, femmes et hommes des lettres et des arts, journalistes et cinéastes.
Au moins 13 romans en français sont parus entre mars et avril 2019 et ont été présentés pour la plupart à la Foire du livre de 2019, citons «Une histoire qui se répète mal» de Mongi Maaoui : «L’Amant De La Mer» d’Alyssa Belghith, «Zed, L’ex-enfant de l’Occident» de Zoubeida Khaldi, «Saber et la drôle de machine» de Salah El Gharbi, «La princesse de Bizerte» de Mohamed Bouamoud, «La Bande à Badis» de Monya Zwawi, «Une jeunesse d’enfer» de Mohamed Louadi, «Jugurtha un contre-portrait» de Rafik Darragi, «Ayoub un amoureux éperdu de Paris» de Aissa Baccouche, «Les jalousies de la rue Andalouse» d’Ahmed Mahfoudh, «Parole de femme» d’Anouar El Fani, «Les cendres de la mémoire» de Mourad Jedidi et «Tante Sitta» de Atef Gadhoumi. Le jury du Comar d’Or pour le roman français se compose pour cette 23e édition de M. Ridha Kéfi, Mme Myriam Kadhi, Mme Mounira Chapoutout, M. Kamel Ben Ouanès et M. Chaabane Harbaoui.
En langue arabe, on retient des titres comme «Lella Saida», de Tarak Chibani, «Kazma» de Salah Bargaoui, «The Melancholic» de Fathi Laysser, de Bassma Chaouali, «Goyim» d’Ilham Boussoffara, «1864» de Hassin Ben Amou et «Tin Allah (Boue divine)» de Tayeb Jaouadi. Les arabophones ont été plus prolifiques cette année. Le 2e jury se compose cette année de Mme Messouda Ben Boubaker, Mme Neziha Khelifi, Mme Monia Abidi, M. Hedi Thabet et M. Abdelwahab Brahem.
Qui sera l’heureux gagnant cette année ? On le découvrira ce soir lors de la remise des prix, qui sera organisée en hommage à feu Ben Yedder et rythmée par Hafedh Makni et son Orchestre Symphonique de Carthage.
La «Délivrance» selon Haykel Rahali, c’est transgresser les tabous sociaux sur la scène d’El Teatro. «Tanfissa» ou «Délivrance» redonne un souffle nouveau à un spectateur avide d’exprimer tout haut ce que la société vit tout bas.
L’intitulé rime, à première vue, avec liberté, tabous, échappatoire… Une thématique suffisamment présente et qui alimente souvent cette effervescence artistique tunisienne, toute discipline confondue. Pendant 60 minutes, les spectateurs assistent à divers tableaux scéniques, avec, comme fond sonore, une musique variée, tantôt contemporaine, tantôt théâtrale. Une troupe surgit sur scène comme troublée, confuse, hagarde, aux prises avec des questionnements ou tentant de se situer dans un espace-temps qui est méconnu, étranger aux protagonistes : ces derniers peuvent paraître aussi comme suspendus dans le temps, en attente, essayant de s’accrocher à des brèches en guise de repères.
Mouvements corporels et silences expressifs, qui précèdent un discours, difficilement saisissable au départ. Grâce à la tournure verbale — qui constitue le texte — l’auditoire se retrouve rapidement emporté par les répliques acerbes mais audacieuses, échangées au fur et à mesure. Le texte est en grande partie dérisoire : maîtrisé par ses acteurs, il réussit à exprimer tout haut et explicitement leurs tourments : sentimentaux, sexuels, relationnels, sociaux parfois, existentiels. Leur existence est menée d’une main de fer dans une société qui peut être libertine dans les coulisses mais qui demeure conservatrice en apparence. Une masse qui s’adonne à tout, mais qui ne parle pas et ne montre rien. La «Délivrance», selon son créateur, c’est de s’affranchir autant que possible du tabou dans une époque où même faire semblant de vivre librement peut être perçu comme un acte de résistance.
Cette production El Teatro Studio & Association : Ahl el Fen, conçue en 2018 rassemble une nouvelle vague de jeunes acteurs comme Amine Ferah, Helmi Ben Ali, Ihsen Timoumi, Inès Ben Moussa, Molka Draoui, Sadok Bousnina et Wafa Memmi.
A « Gabes Cinéma Fen », les festivaliers vivaient au gré des films récents. Entre appréciations et déceptions, les réactions ont foisonné. Tout juste avant la clôture des festivités, « Poisonous Roses » de Fawzi Salah laisse un gout d’inachevé.
L'inachevé "Poisonous Roses"
Le film tourne autour de Saqr, un jeune homme issu des bidonvilles où il a vécu et travaillé toute sa vie. Il rêve de s’évader de ces tanneries, mais il est tiraillé par un conflit intérieur entre l’amour qu’il ressent pour sa sœur, qui vit avec lui, et Reem, qui pourra l’aider à sortir de ce milieu.
Chacun des trois personnages principaux raconte l’histoire de son point de vue, et à chaque fois, les détails, les motivations, le contexte ainsi que les événements changent. L’immersion est totale dans un quartier extrêmement pauvre de l’Egypte mais la fiction en 1h10 prendra peu à peu l’eau : l’histoire n’a finalement pas aboutie, les relations entre les personnages était ambiguë, les répliques se faisaient rares et les non-dits pour une fois n’étaient pas discernables à cause d’une construction peu solide des relations qui liaient les personnages. Le film traite d’une relation incestueuse entre frère et sœur : la forte admiration de la sœur pour son frère, figure masculine pour elle, de possibles amants … Mais Le film ne peut être uniquement réduit à cette relation. Le réalisateur Fawzi Salah, présent lors du débat en post projection a exprimé son souhait de ré esquisser l’espace et ces bidonvilles. Un travail qu’il aurait pu mouvoir en documentaire. Sa fiction, elle, est restée à la surface.
« Une affaire de famille » de Hirakozu Kore-Ada : détonnant de poésie
A « Gabes Cinéma Fen », les festivaliers vivaient au gré des films récents. Entre appréciations et déceptions, les réactions ont foisonné. Retour sur « Une affaire de familles » de Hirokazu Kore-ada, palme d’or à Cannes, projeté à la salle de l’Agora Gabès.
La palme d’or 2018 au festival de Cannes continue à faire des vagues et d’être projetée y compris dans des festivals locaux à travers le monde. « Une affaire de famille » relate le drame accélérée d’une famille nippone.
Au retour d’une nouvelle expédition de vol à l’étalage, Osamu et son fils recueillent dans la rue une petite fille qui semble livrée à elle-même. D’abord réticente à l’idée d’abriter l’enfant pour la nuit, la femme d’Osamu accepte de s’occuper d’elle lorsqu‘elle comprend que ses parents la maltraitent. En dépit de leur pauvreté, survivant de petites rapines qui complètent leurs maigres salaires, les membres de cette famille semblent vivre heureux – jusqu’à ce qu’un incident révèle brutalement de secrets terribles. Le film pose avec subtilités la question des liens familiaux, entre résignation, consentement et acceptation forcée. Dans le monde, ce long métrage continu de conquérir son public et ceux dans toutes les sociétés qu’il a sillonné, mais à ce demander comment il a été accueilli au sein de sa société nippone mère. Beauté des plans, maitrise plus que parfaite de la mise en scène, acteurs prodigieux : ils endossent les rôles d’une famille qui transgresse les tabous, qui est marginale, qui va à l’encontre des convictions de la masse, massacre les règles et les codes sociaux, et fait surtout éclater la sacralisation des liens familiaux dans le japon d’aujourd’hui.
Au gré des projections à « Gabes Cinéma Fen », « You come from Away » D’Amal Ramsis, projeté en dernier lors d’une séance en fin de journée au Complexe Culturel de Gabes lève le voile sur une période historique méconnue, vécue par une partie des Arabes. Ceux qui se sont soulevés aux cotés des espagnols pour combattre le régime fasciste de Franco au début du 20ème siècle entre 1936 et 1939.
Le documentaire, réalisé par l’égyptienne Amal Ramsis est traité sur fond de drame familial. Une famille palestinienne éclatée. Le traitement du film est intimiste est fignolé grâce à des archives photos, lettres échangée entre les membres de la famille et mémoire réanimée. Un travail de recherche laborieux qui se sent dans le traitement de ce documentaire : le film se perd d’ailleurs dans la narration et la lenteur jusqu’à ce qu’à éclipser l’épisode historique, mais cela n’enlève en rien son importance. L’oeuvre atteste de la participation de 1000 arabes bénévolement et des combattants résistants à coté de républicains contre la dictature de Franco : 500 de nationalités algériennes et d’autres issus de différentes nationalités arabes. Une recherche très approfondie a été entamée depuis 2002.
La guerre civile espagnole était une occasion pour elle d’aborder la notion de l’identité et de l’appartenance surtout avec la naissance de palestiniens nés en dehors de la Palestine. L’histoire relatée de la famille de Najati Sidki dans ce film renforce la thématique de la question identitaire chez les Palestiniens. Sa famille a été dispersée au quatre coin du monde à savoir en Russie, au Brésil, au Liban et en Grèce et les suivre a demandé beaucoup d’efforts et de travail.
La fin des années trente évoque également la dislocation de familles palestiniennes, y compris celle-ci, accélérée par des troubles historiques majeurs comme l’éclatement de la 2ème guerre mondiale, la guerre des 6 jours de 1967 ou encore le conflit palestino-israélien. Ce soutien arabe aux espagnoles enjolive l’image négative des arabes maghrébins chez les espagnoles : le rôle de son documentaire était de mettre en valeur le parcours d’arabes anarchistes, communistes au parcours atypiques, très loin de l’image fausse véhiculée actuellement par les médias. Une aide à la production « Takmil », obtenue lors des Journées Cinématographiques de Carthage lui a permis de finaliser son documentaire.
Secteur cinématographique : parlons- en :
« Gabes Cinéma Fen », c’est aussi des rencontres et des panels réalisés qui ont traité de l’avenir du cinéma arabe dans les journées du 15 et du 16 avril 2019. L’académicienne Lamia Guiga BelKaid et la chargée de programmation Samia Laabidi : toutes les deux et en présence d’invités et d’un parterre de festivaliers, ont abordé la question des circuits de distribution des films, du fonctionnement des distributeurs, des enjeux et des challenges à relever, dans une période où la nation arabe est secouée par des bouleversements sociopolitiques importants et des conflits qui opposent le nord au sud. Ils ont mis le voile sur l’émergence du cinéma indépendant arabe et de sa diffusion également, en présence de la critique cinéma Houda Ibrahim, le réalisateur Mourad Ben Cheikh et le critique Ikbel Zalila : ils ont évoqué le pouvoir de l’image, du regard du cinéma arabe sur le cinéma du sud. La chargée de programmation a également parlé de son expérience dans le cinéma palestinien en évoquant d’autres effectuées dans le cinéma arabe. Des cinéastes – réalisateurs tunisiens et arabes comme Abbes Fadhel, Malek ben Ismail, Jilani Saadi et Hechmi Zortal ont relaté leur parcours et leur manière de dépasser les difficultés des subventions. D’autres artistes jeunes comme Mouna Hala, Najoua Zouhaier et abou Bakr Chawki ont prôné les libertés dans le cinéma et ont appelé à dépasser certainement visions clichétiques et à un renouveau du secteur. Tout comme Sami Tlili, le directeur artistique du festival, qui a proposé de reconstruire le système de production en Tunisie dans son intégralité et à le développer à la racine.
La création de Hatem Karoui regorge de sarcasme et tourne en dérision des faits indissociables faisant partie intégrante du quotidien sociopolitique des Tunisiens.
Dernière création en date du slammeur et comédien Hatem Karoui, la pièce met en scène trois protagonistes hommes joués par Mehdi Mahjoub, Akil Kolsi et Helmi Ben Ali. Avec une voix «off» omniprésente, qui tient habilement les ficelles dans l’ombre et qui fait office d’un quatrième personnage, le gang «des intrus» s’est emparé de la scène d’El Teatro pour la première fois devant un public fort nombreux et habitué à l’humour décadent de Hatem Karoui. Pourtant, la pièce démarre dans une atmosphère sombre, suffocante, qui laisse présager une tragédie scénique. Trois silhouettes en mouvement étouffent, sont en fuite, se noient dans les interrogations et tentent d’interagir avec cette Voix, — celle de Hatem —, qui dicte, dirige, dans l’ombre sur un ton sarcastique. L’ironie prenait le dessus peu à peu, jusqu’à la détente totale. La pièce se classe dans un genre qu’on nomme théâtre expérimental, qui prône les non-dits, et donne libre cours au public d’interpréter, d’être réceptif différemment aux messages véhiculés.
Relations en dents de scie entre peuple et classe politique, politique étrangère (précisément française), répliques salaces, Hatem Karoui, dans sa toute première création en tant que metteur en scène, a mis en place un ascenseur émotionnel divertissant, mais qui pousse à la réflexion et se focalise notamment sur le statut des artistes, ceux qui vénèrent le 4e art spécifiquement, et qui sont pris pour «des intrus».
(crédit photo : Med Karim El Amri)
Quatre protagonistes — deux couples de parents d’élèves — se rencontrent et échangent autour d’un différend qui a opposé leurs deux enfants. Comme dans un huis clos cinématographique, le rythme de cette création théâtrale n’a cessé de s’accentuer au gré des altercations qui ont foisonné… jusqu’au «carnage» final !
Dans sa pièce, adaptée de «Le Dieu du carnage» de Yasmina Reza, Ghassen Hafsia met en scène 4 acteurs d’El Teatro, déjà aperçus dans d’autres créations, à savoir Zied Ayadi, Emira Khelifa, Issam Ayari et Leila Yousfi. 4 artistes qui ont tenu de bout en bout les ficelles de cette réadaptation maîtrisée en tunisien. Des parents d’élèves issus d’un milieu social aisé, instruit, se rencontrent afin de dissiper une altercation juvénile qui a eu lieu entre leurs mômes dans la rue. Ils commenceront au départ à arborer masques et bonnes manières, à faire semblant d’être aimables, corrects, à lancer cette machine infernale des faux semblants, qui n’a cessé de se décarcasser, cédant la place à des piques, des altercations toujours sous couvert d’humour.
Dans le but de résoudre le problème, le différend ne fera que s’accentuer. Les parents de la «victime» s’expliqueront avec les parents du «coupable». Rapidement, les échanges cordiaux cèdent le pas à l’affrontement. « Carnage » est la première expérience de Ghassen Hafsia en tant que metteur en scène. Avec ces acteurs, ils sont tous issus d’El Teatro Studios. La création est dotée d’une scénographie attrayante et est rythmée par une musique de fond.
Ce huis clos scénique — entre pétages de plomb, vomissement, jet de portable dans un vase — tient en haleine de bout en bout. Le véritable exercice était la réécriture réussie du texte en tunisien : les répliques sont tordues, drôles et mordantes à souhait. Un texte truffé de mots qui atteignent leur cible bien plus que les gestes ou même les poings. La pièce rappelle incontestablement la réadaptation cinématographique de ce livre de Reza par Roman Polanski dans un film appelé aussi «Carnage» sorti en 2011 et qui rassemble un quatuor d’acteurs américains époustouflants, à savoir Kate Winslet, Christoph Waltz, John Reilly et Jodie Foster. Nos acteurs tunisiens n’ont pas manqué de peps sur la scène d’El Teatro : ils sont déjà passés les 5 et 6 avril avant l’annonce d’un nouveau cycle prévu pour bientôt.
Des artères entières truffées de stands, et dispersées sur les 3 halls du palais du Kram, abriteront jusqu’au 14 avril, les différentes maisons d’édition et éditeurs étrangers, arabes et tunisiens : elles consacreront leurs espaces aux écrivains et autrices venus échanger avec les visiteurs présents. Le démarrage se fait tout doucement cette année : la présence du public était timide pour un premier week-end mais s’est considérablement accrue au cours de la semaine.
Après une inauguration en grande pompe, effectuée par le chef du gouvernement Youssef Chahed et le ministre des Affaires culturelles M. Zine el Abidine, place désormais aux visiteurs : véritables férus des livres. Des adultes, en grande partie des parents, arpentaient les allées dès samedi matin. Le rendez-vous livresque annuel a commencé… et ils l’entament en compagnie de leurs enfants : bouquins de coloriage, ouvrages ludiques, contes pour enfants, et un espace de garderie, équipé de jouets et d’une assistance. Mais pas que… des spectacles réalisés par des enfants — pour la plupart de théâtre et de chorégraphie — se faisaient en boucle. Les parents rencontrés sur place sont soucieux des connaissances de leurs enfants : ils tiennent à les initier aux livres, à l’écriture et à l’art, et c’est dans le cadre de la foire qu’on réalise que ce n’est nullement une question de classe sociale : toutes les catégories étaient sur place et n’avaient qu’un seul but : l’éducation de leurs progénitures pour la plupart réceptives et enthousiastes.
Les éditeurs tunisiens les plus connus, des plus récents aux plus anciens dans le milieu, arboraient leurs plus belles productions littéraires. Pop Libris, la maison d’édition fondée juste après la révolution par Atef Attia et Samy Mokaddem (également écrivains acharnés), ne cesse de faire connaître de jeunes auteurs et autrices. De nouvelles publications sont en effet apparues : la dernière en date est le recueil de poésie anglaise « Skein Of Wool » du jeune Mohamed Hichem Samaali. « Dimansia » de Tarek Lamouchi était également exposé et demandé, mais aussi « Les contes du clair de lunes » publié par cette même maison d’édition en collaboration avec « Beit Riouaya Tounes ». Le recueil contient douze textes en langues arabe et française écrits par des auteurs tunisiens, issus de toutes les générations, de tout âge et rassemblent les différents genres littéraires. 25% des bénéfices de la vente de ce livre seront versés à l’association d’aide des enfants de la lune de Tunisie. Aussi, disponibles des livres d’Atef Attia, Samy Mokaddem, Salma Inoubli et bien d’autres.
Un peu plus loin, on s’approche paradoxalement de la maison d’édition la plus ancienne en Tunisie, à savoir Arabesque qui organisait une séance de dédicace dédiée à Anouar El Fani, présent sur place pour lancer « Regards de femmes », son nouvel ouvrage qui connaît déjà un franc succès auprès de la gent féminine. Khaoula Hosni, auteure de la trilogie «Into the Deep», dont deux tomes sont déjà publiés, « Le cauchemar du Bathyscaphe » / « Du Vortex à l’Abysse », et qui a depuis récemment sorti le premier book audio paru en Tunisie et dans le monde arabe en langue française, ne pouvait rater ce rendez-vous sous aucun prétexte. Un cadre unique pour rencontrer son public épris depuis quelque temps par son dernier ouvrage de nouvelles « Les cendres du Phoenix ». Une connexion intergénérationnelle enrichissante sur le même stand.
Pas très loin d’Elyzad, celui de Cérès. L’historienne, chercheuse et universitaire, Héla Ouardi, gère une séance de dédicace de son ouvrage « La Déchirure », premier tome de sa série « Les Califes maudits », récemment publié à Paris chez Albin Michel et également édité à Tunis, par Cérès Editions, ce qui le rend disponible à un prix abordable (20 DT). L’écrivaine a fait sensation 2 ans plus tôt en publiant les « Derniers jours de Mohamet ». Ouardi raconte la dispute qui a eu lieu entre les compagnons du prophète concernant son héritage. Tout un hall ou presque est consacré à la littérature algérienne, saoudienne et au monde arabe. Un rayon consacré au spirituel et à la religion, qui attire mais pas autant que les livres consacrés à la psychologie, aux différentes disciplines artistiques, culturelles, et aux nouveautés littéraires nationales et internationales. Les adaptations ciné et sérialisées sont très prisées.
« Oueld Fadhila », d’Amira Charfeddine, a été lancé chez « Cérès » face à une foule de curieux pour la plupart des jeunes venus se procurer le livre qui traite de la question de l’homosexualité et le vécu du personnage principal dans un quartier populaire de la capitale. Une leçon de tolérance, d’acceptation de l’Autre qui s’insère dans la thématique principale de la foire, à savoir « Libertés individuelles et égalité ». Les panels et débats tournent autour de cet axe : un débat animé par Rihab Boukhayatia, journaliste pour le Huffpost, a rassemblé Saif Eddine Jelassi de «Fanni Roghmane Anni » et Mariem Guellouz, directrice des Journées chorégraphiques de Carthage. Ensemble, ils ont traité de la question « du corps dansant » et son rapport à la sexualité, à la liberté, au genre, à l’espace public et à la relation homme / femme. La salle Zoubeida-Bchir a abrité un échange autour « des libertés individuelles et des jeunes » en présence de Haythem el Mekki, Amal Khlif, Lina Ben Mhenni et Youssef Ben Moussa. Le panel réservé à l’écriture en tunisien a connu un vif échange en présence du jeune auteur Dhia Bousselmi, d’Anis Ezzine et modéré par Wahid Ferchichi. 319 Stands, c’est bien, mais autant de conversations autour de cette thématique resteront de loin l’atout fort de cette 35e édition.
Grâce à la direction pointue d’Erige Sehiri, « La voie normale » dévoile au spectateur l’envers du décor, celui du secteur ferroviaire tunisien et de ses failles. Un cri de détresse qui s’annonce retentissant, projeté dans les salles obscures tunisiennes à partir d’hier 27 mars.
Trains, chemins de fer, wagons abandonnés, parfois accidentés, grisaille et bruits de fer en permanence, voyageurs en mouvement et pas moins de 4 personnes qui rythment la narration de ce film au titre attrayant, intriguant. Le long métrage relate l’histoire de 4 cheminots affectés à « La voie normale », il s’agit de la voie la plus délabrée et la plus abandonnée du réseau. Pourtant, c’est celle qui a été initialement construite selon les normes internationales. Au quotidien, rien ne se passe jamais comme prévu : pannes, accidents, altercations entre employés, hiérarchies étouffantes, bureaucratie administrative, l’œuvre projette une réalité dure, brutale, méconnue par les Tunisiens. Un secteur rongé par l’absence des autorités, le manque d’encadrement des employés et qui demeure rythmé par les chassés-croisés de personnes qui se vouent corps et âme au secteur des chemins de fer.
Des travailleurs tenaces, aux parcours rudes, aux personnalités éclectiques et qui luttent pour une situation meilleure, à commencer par Ahmed, 34 ans, qui a hérité d’un savoir-faire, celui d’un père et d’un grand-père anciennement cheminots. Sur le tas, il apprend son métier manuellement aux côtés de nombreux conducteurs.
Fitati (38 ans) lutte autrement pour remédier à la déliquescence de la Sncft. Un combat qui frise l’obsession. Dans le film, on le voit tentant tant bien que mal de mettre la lumière sur les défaillances du secteur ferroviaire tout en s’attirant les foudres des autorités, de l’administration et … de sa propre femme. Le film suit aussi le parcours de Abderrahim Aka Abee. Du haut de ses 27 ans, il puise dans ce chaos ferroviaire pour parvenir à enregistrer son premier album de rap conciliant ainsi profession et passion. « La voie normale » suit également une femme battante qui perce dans un univers masculin.
Le déroulement du tournage pourrait faire un excellent making off au film. Un tournage chaotique à l’image de la Sncft. Produit par Nomadis Images et les films de Zayna. Les coulisses ont été particulièrement rudes : le tournage a mis un temps à démarrer, faute d’autorisation et le film a mis 5 ans pour prendre forme. L’équipe a tenté de filmer en cachette en attendant l’obtention d’une autorisation légale d’un mois seulement. Un temps record pour parvenir à tout boucler. Soutenu par les conducteurs et les travailleurs au sein de la Sncft, il fallait faire face aux aléas d’une administration en perpétuel changement et des ministres qui défilaient. En suivant Fitati, agitateur aux yeux des autorités, nous assistons à ses tentatives pour médiatiser la dégradation du secteur, depuis 2010. Au gré des hasards, il rencontre Erige Sehiri, la réalisatrice qui filmait sur place. Leur rencontre a été capitale pour la concrétisation du film. L’alerte est lancée à travers ce long métrage qui nous prend aux tripes. Une mobilisation des autorités urge. Difficile de sortir indemne face à la dureté d’un quotidien aussi bien poétisé sur le grand écran. Distribué par Hakka Production, le film est disponible dans les salles Cinémadart et Amilcar.
Dans la lignée de «Bidoun» et «Bidoun 2», Jilani Saâdi rempile avec un 3e «Bidoun». Le long métrage, distribué par Hakka distribution, casse avec les codes d’un cinéma conventionnel en traçant l’échappée existentielle de deux êtres que tout oppose et qui finissent par se croiser… au gré des errances.
Pour pouvoir atteindre ses rêves ou un semblant de havre de paix, l’être humain déterminé, doit lutter, survivre, surmonter toute sorte de difficultés et s’armer jusqu’au bout. Dans «Bidoun 3», le poids d’une société étouffante et d’un environnement peu propice à l’épanouissement, voire hostile, a poussé Douja (Lina el Euch), une jeune femme de 20 ans passionnée de chant et de musique, à fuir Bizerte, sa ville natale. Conflit parental, société patriarcale, conservatrice, la pression peut être insupportable, pour une femme (ou un homme), tous âges confondus, qui aspire à un minimum de liberté, qui soit passionnée… et qui voue un culte à la vie.
Douja débarque à Tunis, s’entiche d’un jeune homme (joué par Noureddine Mihoub), devient aussi vite son petit ami : peu fréquentable et générateur d’ennuis, il lui mènera la vie dure. Parallèlement, Momo (interprété par Hached Zammouri), un homme d’un certain âge, ancien chanteur, qui (sur)vivait également de sa passion dans les cabarets/restos glauques de Bizerte, sombre dans l’alcoolisme et la dépression suite au décès de sa mère et… à la perte de sa voix. Rongé par les hallucinations, le désarroi ambiant, les tourmentes, quelques fétichismes, il prend aussi le large dans une quête de soi, qu’elle mènera… jusqu’à Douja. Ensemble, ils s’insulteront, se taperont dessus, trouveront un terrain d’entente… et se réuniront autour d’un Dessein.
Le dernier long métrage de Jilani Saâdi, réalisé en 2016 avec très peu de moyens, porte toujours autant l’empreinte de son créateur, célèbre pour des films qui retracent des fictions filmées avec un réalisme saisissant. Des images qui peuvent paraître floues, peu éclairées, pixélisées, filmées avec une caméra amateur portative, (ou pire un téléphone). Des prises qui donnent vie à un scénario, et à des scènes plus vraies que nature qui se font et se défont sous les yeux du spectateur. Une manière de filmer propre au réalisateur, qui peut paraître peu maîtrisée mais qui ne l‘est sûrement pas. «Chaque tremblement, chaque détail, chaque prise est entièrement maîtrisée et voulue», déclarera le réalisateur aux journalistes peu après la projection- presse. Un résultat sur grand écran qui file le tournis, dérange… mais qui reflète à la perfection l’environnement anxiogène dans lequel vivent les protagonistes. Une caméra qui esquisse aussi un Bizerte sombre et un Tunis nocturne… qui ne l’est pas moins.
Entre un cinéma documentaire et fictif, il n’existe pas de différence pour Jilani Saâdi : tout ce qu’on peut voir défiler sous nos yeux est voulu, minutieusement choisi et décidé. Filmés avec une caméra numérique «Go Pro», les maniements étaient donc restreints pour un «cinéma direct», réalisés dans des conditions difficiles. «Mes films sont des expériences cinématographiques vécues, qui ne sont pas réalisées uniquement dans le but de raconter une histoire», déclare le réalisateur en enchaînant : «Pour «Bidoun 3», réalisé en 11 jours sans autorisation en collaboration très étroite avec les jeunes acteurs et l’équipe technique majoritairement jeune, les autorités ont cru qu’on réalisait un projet de fin d’étude !». La construction des personnages était inspirée d’autres personnes connues dans la vraie vie. Une écriture scénaristique qu’on peut sentir légère, parfois improvisées mais qui est entièrement dirigée. Le scénario a été écrit en langue française, initialement, mais a été traduit par les acteurs en tunisien. Saâdi révèle de jeunes talents dans ses films comme c’est le cas de la jeune Lina El Euch : douée aussi pour le chant, elle a ajouté un vent de fraîcheur au film grâce à une interprétation qui peut paraître juvénile mais juste. Zammouri, en endossant le rôle très peu bavard de l’alcoolique dépressif, a su dégager une rafale de non-dits pendant 1h24. Des personnages qui se fondent dans une esthétique, celle de la fiction du réel.
Le film possède les allures d’un délire onirique pas «tout public» rythmé par une musique issue d’un répertoire tunisien, point fort de ce long métrage. Un fond musical finement ficelé par le jeune musicien Selim Ajroun, et réinterprété par Lina El Euch. «Bidoun 3» reste (très) cru mais casse avec l’ordinaire, le classique. Ce cinéma, peu courant dans des fictions tunisiennes, rend ce dernier «Bidoun» audacieux, voire transgressif.