A l’heure du numérique, des smartphones et des avancées technologiques, il serait aisé de penser que jeunes et lecture ne font plus bon ménage… ou presque ! Pourtant, quelques maisons d’édition, écrivains tunisiens et librairies privées notent un engouement qui perdure. Des ouvrages (tous styles confondus) en langue française, mais surtout anglaise et même arabe suscitent toujours l’intérêt des jeunes lecteurs.
Séances de rencontres et de dédicaces, ventes honorables, avis positifs ou négatifs échangés, groupes de discussion sur les réseaux sociaux… Cette effervescence ne peut qu’attester encore plus de l’engouement d’une petite partie de la jeunesse tunisienne qui suit, doucement mais sûrement, les nouveautés littéraires locales et étrangères. Une occasion de revenir sur cette relation en dents de scie entre «livre et jeunesse» en Tunisie.
Lecture et jeunesse : la passion y est toujours… ou presque
Se procurer des livres ou opter pour la presse papier devient de moins en moins fréquent. Cette accalmie est universelle et n’est pas l’apanage de la Tunisie. Internet prend de plus en plus d’ampleur et avec l’avènement des smartphones et tablettes, le papier a muté et tout ou presque est devenu lisible en ligne. Une conversion à l’ère du temps qui a impacté le livre négativement… Mais c’est cette passion minime pour le bouquin qui suscite la curiosité.
Une librairie située en plein centre-ville de Tunis attire encore une clientèle fidèle et issue de toutes les catégories sociales. Lotfi, libraire sur place depuis des années, constate cet engouement : «Les jeunes lisent, c’est certain. Ils sont à la page également. S’il y a un genre romanesque très prisé et dont une bonne partie se trouve souvent épuisée, c’est bien les sagas fantaisistes récentes à la “Game of Thrones”, ou “Harry Potter”. Il y a le format livre des séries télé en vogue du moment tel que “13 Reasons Why” qui reste très demandé. Les incontournables Marc Levy, Guillaume Musso ou Laurent Gounelle pour les livres en français, continuent également à attirer des lecteurs, auxquels s’ajoutent quelques “best sellers” et polars en anglais. Pour la langue arabe, c’est surtout la thématique du féminisme qui attire beaucoup, comme Ahlam Mosteghanemi, Nawel Saâdaoui et la jeune romancière tunisienne montante Khaoula Hosni».
Après réflexion, le libraire a souligné l’intérêt pour les livres de psychologie et de développement personnel. «Ce n’est pas une affaire de jeunes seulement, tout le monde s’y intéresse».
D’une librairie à une autre le constat est unanime : de nos jours, les jeunes aiment le surnaturel et le fantastique. Ils cherchent à s’évader et boudent par ailleurs les ouvrages de philosophie et les grands classiques. Selon eux, deux catégories de clients existent : les curieux, qui viennent voir sans forcément acheter, et les fidèles qui s’offrent un livre tous les mois, voire trois. L’avis de S., libraire reste mitigé : «Les jeunes ne se procurent peut-être pas fréquemment des livres, mais ce n’est pas le désert non plus».
Spécialisée dans les ouvrages philosophiques, peu visibles, et dotée d’une façade rétro-vintage, une autre librairie située à la place Barcelone nous renvoie à l’ambiance littéraire des années 80. Une fois à l’intérieur, il est difficile de ne pas sentir l’optimisme débordant de son staff : «Les jeunes lisent de la philosophie, ils sont curieux, ils achètent et s’instruisent, certains vont jusqu’à faire des économies pour en avoir plus. C’est archi-faux de dire que les jeunes ne lisent pas, sinon on aurait fermé boutique depuis longtemps», déclare une libraire, la trentaine.
Un cri de détresse
Mais au-delà des murs des librairies en vogue, le cri de détresse d’un bouquiniste situé rue d’Angleterre se fait entendre : «C’est aberrant de dire que les jeunes sont toujours aussi passionnés de lecture qu’auparavant !», s’indigne Mounir, responsable de « La Bouquinerie Populaire», qui existe depuis bien avant l’Indépendance de la Tunisie. Un simple visiteur ne pourra pas rester indifférent à la quantité considérable de livres et de revues qu’elle possède. Bien achalandé, l’endroit est constitué d’armoires immenses de bouquins divers et anciens pour la plupart. Difficile de ne pas trouver son compte ici, lorsqu’on est passionné de livres. Le responsable enchaîne : «On me sollicite pour des ouvrages scolaires ou universitaires. De futurs bacheliers me rendent visite, mais ils ne le font pas par passion, c’est limite s’ils étaient contraints de le faire. L’époque où les jeunes lisaient plus de 4 livres par semaine est bel et bien révolue».
Mais est-ce seulement cette effervescence technologique qui empêcherait les jeunes de lire davantage ? Pas si sûr…
Le livre est devenu un luxe
Sur terrain, l’amour de la lecture ne s’est toujours pas totalement dissipé. Seulement, se procurer un nouveau livre pour un jeune est devenu une affaire de moyens. Toutes les nouvelles sorties littéraires, et en particulier celles qui sont importées, coûtent cher et n’incitent pas le jeune Tunisien de classe moyenne à acheter. Le pouvoir d’achat a considérablement baissé et la majorité des libraires consultés s’accordent à dire que face à la dévaluation du dinar, celles et ceux qui achetaient des livres fréquemment ne le font plus, faute de moyens.
«Un nouveau livre à 10 ou 15 euros coûte désormais 35 à 40 dinars, une somme vraiment élevée, les jeunes d’aujourd’hui préfèrent de loin dépenser cette somme pour autre chose», déclare Lotfi El Hafi, propriétaire d’une librairie qui a pignon sur rue à La Marsa. Les clients fidèles achètent désormais un livre coûteux tous les deux à six mois. Il est clair qu’il ne s’agit toujours pas d’un véritable désintérêt, mais plutôt d’un manque de moyens. Dépenser autant pour un jeune étudiant tunisien est devenu impossible.
La lecture en ligne ou l’autre alternative
Certains affirment clairement que le coût du livre ne fait pas fuir et que dans les bouquinistes comme dans les librairies, les ouvrages à prix réduit existent bel et bien. Le rôle des parents a été pointé du doigt : ces derniers devraient, selon certains, transmettre la passion des livres à leurs enfants : «Il faut que ces mômes grandissent avec cette passion», affirme le bouquiniste de la rue d’Angleterre sur un ton ferme.
Une jeune libraire à La Marsa constate cependant parfois une réelle implication des parents, qui poussent leurs enfants à acheter des livres, allant jusqu’à essayer de les convaincre de réduire leur usage des tablettes et des consoles de jeux, au profit des livres. Les ouvrages pour enfants se vendent beaucoup. Cette approche éducative a gagné du terrain depuis la révolution et la montée du terrorisme : certains parents veulent que leurs enfants lisent afin de nourrir leur sens critique, leur réflexion, pour, notamment, les préserver du fanatisme. Il s’agit toutefois d’une constatation relevée auprès des familles instruites mais surtout aisées.
Face à cette évolution technologique et au prix élevé du livre, les lecteurs se sont tournés en masse vers la lecture en ligne. Les ouvrages les plus recherchés sont disponible en version PDF, gratuitement, en deux clics… et les libraires comprennent et soutiennent la lecture en ligne. Le livre reste sacré pour eux, le contact du papier demeure irremplaçable. Lire en ligne gratuitement aurait un autre charme, «mais cela reste de la lecture et on ne peut qu’encourager. Il ne faut pas dire que c’est mauvais de lire ainsi de nos jours, c’est juste différent, et il faut s’adapter», concluent-ils.
Le désert, chez beaucoup, provoque le vertige. Une étendue infinie de sable fin où l’aridité, le silence et la solitude sont les maîtres-mots. Une immersion en plein cœur du Sahara tunisien prouve le contraire. Embarquement avec l’équipe du PAMT(*) dans les dunes de Douz.
Douz, au sud de la Tunisie (située à 488 kilomètres de la capitale), a longtemps été surnommée «la porte du désert». Nous la franchissons à bord d’un 4×4 piloté par Omar Sanhouri, chauffeur chevronné qui totalise plus de 20 ans d’expérience. Une fois la porte du désert franchie à travers une oasis, la verdure des palmiers commence à se dissiper, ne laissant paraître qu’arbustes secs et dunes à perte de vue. L’évasion prend peu à peu l’allure d’une plongée sablonneuse dans l’inconnu. Plus on s’enfonce dans les dunes, plus on perd de la vitesse, plus la fréquence radio peine à se faire entendre ; les réseaux téléphoniques rendent l’âme et le souvenir des villes s’engloutit dans les sables.
Dans les virées sahariennes, on perd la notion de distance, spécialement les guides, habitués pourtant à parcourir de longs trajets : une dizaine ou une vingtaine de kilomètres, c’est comme une quarantaine, voire une cinquantaine. Rouler des heures et des heures, c’est ce qu’ils ont toujours accompli, sans la moindre contrainte due à l’insécurité ou encore aux intempéries.
La première escale se fait au gré du hasard : le véhicule doit s’arrêter net pour laisser passer un troupeau de dromadaires sauvages. Ces bêtes robustes vaquaient à leurs occupations les plus élémentaires, ils broutent, et subviennent à leurs besoins. La quarantaine de bêtes semble gênée par cette présence inhabituelle : la nôtre. Le troupeau est gardé par un homme qui, seul semble capable de les dompter : Faouzi, la trentaine, vêtu d’un dengueri défraîchi, une clope à la main. Originaire de la région, forcément, Faouzi semble connaître cette infinité de sables comme sa poche ; il s’y oriente à pied avec la plus grande facilité, toujours entouré de ses chameaux. Ce jeune Bédouin ne vit que pour eux et ne rentre chez lui à Douz qu’en s’assurant qu’ils se sont bien nourris. Son quotidien dans les dunes se résume à cette activité, d’une grande simplicité, mais vitale pour lui : les entretenir est son gagne-pain. Originaire de Nouiria, une localité de Douz, il affirme parcourir plus d’une quarantaine de kilomètres chaque jour en tâchant de rentrer chez lui peu avant le coucher du soleil.
Faouzi n’est pas le seul à partager cette vie aride : reptiles et oiseaux laissent leurs empreintes partout où ils passent. Plus loin, les traces d’une activité humaine occasionnelle commencent à apparaître à l’horizon.
Les vestiges d’une ville
Il est 14 heures. L’échappée commence à s’éterniser et le guide nous suggère, sur un ton sec mais toujours souriant, de rentrer à Douz. Un retour difficile qui devait se faire par un autre chemin, plus dur à emprunter que celui du matin : le véhicule s’est enfoncé à trois reprises dans le sable. Pour le dégager, l’équipe du PAMT doit pousser, suer, souffler et se surpasser physiquement. Le guide, lui, a gardé son calme : une panne comme celle-ci est monnaie courante.
Au loin, une oasis commence à apparaître comme un mirage : nous nous apprêtons à la traverser pour quitter ce quotidien saharien finalement pas si calme qu’on peut le penser. «Le Sahara regorge de trésors, et vous n’en avez eu qu’un bref aperçu…». conclut Omar.
Nous rentrons dans le havre de Douz. La ville vit au rythme de son festival international qui vient stout juste de commencer.
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(*) Le Programme d’appui aux médias en Tunisie organise du 19 au 23 décembre une formation-production impliquant 15 jeunes journalistes dans la couverture rédactionnelle du festival du Sahara de Douz et de sa région. Leurs productions sont publiées dans leurs médias, sur le site du PAMT (www.mediaup.tn) et du CAPJC (www.capjc.tn)
Du haut de ses 15 ans, Amir Fehri s'est fixé comme objectif de lutter contre le harcèlement scolaire à travers un ouvrage qu'il vient de publier au titre évocateur «Harcèlement, les journées mouvementées d'un écolier» paru chez KA'Editions. Un sujet longtemps passé sous silence par les parents, les enseignants, et l'Etat et qui ne cesse de briser des vies.
L'engouement se fait sentir autour de votre livre. Est-ce qu'il s'agit de votre première expérience en tant qu'auteur ?
Non. Il s'agit de mon 4e roman. Le 3e est déjà sous presse et celui-ci a été publié avant le 3e. C'est un peu bizarre, je sais. J'en ai 4 qui n'ont pas tous la même thématique.
Est-ce que cette toute dernière parution est autobiographique ?
Elle l'est, bien sûr. Alex est un pseudonyme. Je compte beaucoup sur le changement de nom parce que le but n'est pas de révéler ce qui s'est passé ou de procéder à un règlement de comptes, non, le but est d'aider les autres. C'est ce que je ressens à chaque fois : on ne doit pas le faire pour nous, on doit penser que chacun a besoin, quand même, de sortir de la situation du harcèlement scolaire. Chaque personne qui souffre de sa différence (couleur de peau, orientation politique, sexuelle, religieuse…) toute chose qui peut faire la différence ne doit pas être un obstacle. On ne doit pas considérer l'autre comme un être étranger.
Vous traitez donc de ce qu'on appelle de nos jours communément le «bullying» ?
Tout à fait ! Et c'est pour cela que j'ai décidé avec Madame Brigitte Macron, avec qui je collabore depuis un certain moment sur la question du harcèlement scolaire, de lancer le hashtag #ImDifferent pour qu'on vienne en aide à ces enfants qui souffrent de ce fléau qui gagne de plus en plus de gens. Et comme le disait Blaise Pascal : «N'ayant pas réussi à faire de ce qui est juste plus fort, on a fait de ce qui est fort plus juste». On a maintenant essayé d'utiliser le harcèlement comme une forme de justice pour punir les gens pour leurs différences, chose qui devrait être une qualité tout d'abord.
Ce sujet sensible est pourtant fréquemment traité sur différents supports (séries TV, films, livres…).
Et heureusement ! Malgré cela, je trouve qu'on n'en parle jamais assez. Et il ne sera jamais assez de dénoncer. Tant qu'il y a un enfant qui n'arrive toujours pas à s'exprimer, c'est qu'on n'a toujours pas fait notre travail comme il faut.
Vous ne trouvez pas que c'est un sujet qui n'est toujours pas pris au sérieux ni par les autorités ni par les parents, encore moins par les enseignants ?
Par les enseignants, je comprends, parce que dans certains cas, c'est eux qui font subir cette forme de harcèlement. Ils ont tout d'abord pour mission de transmettre le savoir, ce qu'ils accomplissent parfaitement dans certaines écoles de la Tunisie, mais on a un certain nombre de plus en plus grand de professeurs ou enseignants qui exercent ce genre de pression, c'est d'ailleurs ce qu'a vécu Alex, le personnage du livre.
Et d'après vous, qui devrait contribuer en premier à faire face à ce phénomène ?
Je pense que c'est l'Etat. C'est ce que je vais demander au président Béji Caïd Essebsi. J'aimerais beaucoup publier un communiqué de presse pour venir en aide aux enfants. C'est une étape essentielle. D'abord, cela aidera les parents à prendre conscience de leurs droits qui seront protégés. Si on instaure une loi contre le harcèlement scolaire, ça ira forcément mieux. C'est comme en France, lorsque l'Assemblée nationale a voté contre le châtiment corporel : une mesure qui est demeurée phare. La suède l'a adoptée depuis les années 70, la France vient de l'adopter, c'est bien. Actuellement, une approche a été présentée contre ces violences-là, comme les parents prendront conscience qu'ils sont protégés par la loi et de part et d'autres les élèves qui pratiquent ce harcèlement auront peur de le faire. Ça sera réciproque. Actuellement, on a besoin de lois pour pouvoir arrêter ce problème-là. On espère avancer le plus rapidement possible. Pour information, je suis parti visiter des enfants dans des camps de réfugiés en Irak, entre autres, pour discuter avec eux sur les droits de chacun, sur le droit d'être libre et sur le droit d'identité. Que chaque personne soit considérée comme un être ayant des sentiments, des émotions. Un enfant n'est pas un objet qu'on peut maltraiter. Il souffre et s'il n'exprime pas cette souffrance, ce n'est pas qu'il ne souffre pas, bien au contraire. C'est qu'elle est en train de devenir de plus en plus profonde.
La cinémathèque Tunisienne a consacré un cycle au « Je » au cinéma et l’a intitulé « de l’autoportrait à l’autobiographie ». Une rencontre avec Rémi Fontanel, spécialiste en 7ème art, enseignant à l’université de Lyon 2 a eu lieu dans l’après-midi du 12 décembre 2018 afin d’animer un échange qui fut fructueux avec les cinéphiles présents et d’éclaircir différents points sur ce genre cinématographique singulier, illustré dans divers films programmés à la cinémathèque. Rencontre avec cet enseignant en Etudes Cinématographiques et Audiovisuelles et également auteur de plusieurs ouvrages sur le cinéma.
Au férus qui étaient absents, pouvez- vous nous rappeler en quoi cet échange a consisté ?
La rencontre a porté sur « le récit de soi au cinéma ». C'est-à-dire, tout ce qui touche à ce qu’on appelle plus communément l’ « autobiographie » ou, la manière de certains cinéastes de relater des parties de leurs vies, des moments de leur existence : leur enfance, leur adolescence … Il s’agit d’une démarche ancrée au présent. Je pense au journal filmé qui est une catégorie du récit de soi que le cinéma restitue : un rapport, un lien, une confrontation avec la littérature et d’autres arts, puisque l’autobiographie n’a pas été inventée par le cinéma : elle a été réinvestie dans le cinéma avec les moyens qui sont les siens et c’est intéressant de comprendre les enjeux qui s’opèrent d’une transposition à une autre : pour moi, est ce que l’image –art du cinéma, art du montage- parvient à investir avec sa propre écriture une catégorie une pratique, un genre qui est littéraire, et qui continu à traverser d’autres arts, mais aussi d’autres pratiques médiatiques ? Aujourd’hui, avec les nouvelles technologies, la question du récit de soi et par soi est présente en permanence dans nos vies.
Est-ce que « le récit de voyage » est considéré comme « un récit de soi » ?
Le voyage peut être un articulateur : une manière de parler de soi. On peut aussi très bien travailler des récits de voyage sans parler de soi. Le film de Coppola « Apocalypse Now » est un film sur un voyage qui évoque le voyage de quelqu’un qui part à la rencontre de quelqu’un d’autre. Il y’a peu d’autobiographie dans le film, ce n’est pas celle de Coppola en tout cas. Même s’il y’a dans l’aventure du personnage, une aventure que le cinéaste va vivre au sein de son tournage. Le récit de voyage n’est pas exclusivement une autobiographie mais il peut en faire partie, oui. Je pense à « No Sex Last Night » de Sophie Calle qui est un Road Movie. L’héroïne prend sa voiture avec son compagnon et raconte au jour le jour leur voyage et à travers leur récit de voyage on les découvre : ce qu’ils sont ce qu’ils vivent … etc etc
Et quelle est donc cette différence entre l’autobiographie et l’autoportrait ?
C’est large ! Il va me falloir beaucoup de temps. Mais je dirais qu’en premier lieu, il y’a une grande porosité entre les catégories. Il n’y’a pas d’étanchéité entre les deux. Après, l’autobiographie a ses avantages si on prend les choses au pied de la lettre. Et c’est toujours difficile de les prendre au pied de la lettre, parce que la pureté de la catégorie est quand même relative. L’autobiographie a un regard rétrospectif, un désir de construire une image, de Neutraliser le temps. Il s’agit d’un rapport au temps qui pourrait distinguer les deux catégories avec cette idée que l’autoportrait, c’est la reconstruction d’une image par éclats, par fragments, par morceaux. C’est assez paradoxal de parler d’autoportrait au cinéma qui est un acte du récit et du mouvement. Alors que l’autoportrait est une mise à l’épreuve du récit et du mouvement. La question serait de savoir comment le cinéma, bien qu’il soit « art du récit » et « art du mouvement », a finalement réinvesti l’autoportrait ? On le voit dans « Les plages d’Agnès » d’Agnès Varda, par exemple : il y’a cette idée d’éclater le « Je », d’éclater ce qu’elle est, et de partir à la reconstruction de sa personnalité à travers ces morceaux, comme du collage.
D’où vous vient cet intérêt pour l’œuvre de Maurice Pialat ?
Mon intérêt pour Maurice Pialat tient au fait d’être toujours attiré par ses films, son cinéma. Il s’agit d’une référence : c’est un cinéma qui m’a fait comprendre beaucoup de chose sur le 7ème art, sur le monde. Je retrouve chez ce cinéaste un rapport au réel assez particulier. Et puis, je suis assez intéressé depuis toujours par ces cinéastes qui décident de se raconter, de tout mettre sur la table, de se servir de leur vie pour faire du cinéma, du cinéma pour aussi construire leur vie, c’est le cas de François Truffaut par exemple, qui a toujours pensé d’une manière proche et intime, le rapport entre le cinéma et la vie. J’ai beaucoup travaillé sur Jean Moustache aussi.
Quelle est la différence entre adapter une autobiographie et adapter un roman sur grand écran ?
La différence est simple : lorsqu’on adapte un roman, il peut être autobiographique, si c’est vous qui avez écrit ce roman. Par contre, si ce n’est pas vous qui l’avez écrit, vous faites une adaptation ou ce qu’on appelle une « biographie » ou « un biopic ». La différence entre la biographie et l’autobiographie, c’est que dans une biographie, on raconte l’histoire de quelqu’un. Dans l’autobiographie, vous racontez une vie, et c’est la votre. Alors, justement le problème que pose le cinéma : « C’est qui raconte ? » est ce que c’est le scénariste ? Le metteur en scène ? Et quelle est la part du monteur dans cette 3ème lecture. Et c’est là que les choses se complexifient au cinéma. Aborder la question de l’énonciation et trouver qui est ce « Je ». En littérature, ça ne semble pas trop poser de problème, quand quelqu’un écrit sa biographie, c’est forcément lui, mais quand on réalise un film, on est dans une démarche collective, même si une petite caméra permet aujourd’hui de travailler seul, mais globalement, on travaille dans le cadre d’une collaboration collective et dans le cadre de 3 écritures au moins. Quand Jean Moustache fait la maman et la putain, la dimension autobiographique réside dans le scénario qu’il écrit tout seul, après, il faut passer par des acteurs pour interpréter son histoire, et ensuite, faire appel à un monteur pour recomposer son histoire. Donc il y’a quand même des strates qui viennent complexifier la nature autobiographique.
« Yasmina Khadhra » fait un détour par Tunis et part, entre autres, à la rencontre d’étudiants tunisiens en lettres, comme ceux de l’Institut Supérieur des langues de Tunis où il a animé une rencontre - débat intitulée « La Braise des mots, les mots de la braise », organisée par le département de l’établissement universitaire. Le romancier attise la foule et attire le lendemain un raz de marée de lecteurs férus à la librairie El Moez à Tunis : son dernier ouvrage paru « Khalil » a été épuisé en moins d’1h et sa séance dédicace a duré pendant plus de 4h. Samedi après -midi, c’est à la première 3Assise mondiale des journalistes" que le romancier s’est livré devant un public attentif. Un retour s’impose sur les déclarations de l’auteur.
1-L’accueil de votre dernier livre paru « Khalil » en Tunisie était fabuleux. Qu’avez-vous à dire sur cette rencontre avec un public aussi féru ?
C’était un grand bonheur ! Merci beaucoup à l’universitaire Cyrine ben Rjab et à Mohamed Bahri, propriétaire de la librairie El Moez d’avoir organisé cet évènement. Ils y ont cru et ils l’ont fait. Le public était mélangé, j’ai vu des gens venir du sud spécialement pour cette rencontre. Je m’attendais un peu à ça : les tunisiens m’écrivent beaucoup sur les réseaux sociaux. Ce peuple a besoin de recouvrir sa lucidité et j’y crois beaucoup, il se relèvera. Il résistera. Je suis admiratif. Une prochaine tournée aura sans doute lieu prochainement.
2-« Khalil », votre dernier roman en date présente une approche différente du terrorisme. Vous avez à votre actif, autant de romans qui traitent de différents sujets. Etes –vous tenté d’évoquer un thème encore inexploité pour vous ?
Peut – être un roman érotique ! (rire). Je ne suis pas spécialisé dans le terrorisme. J’ai fait voyager mes lecteurs un peu partout au Mexique, aux Etats-Unis, au Cuba, en Palestine. Je suis quelqu’un de très à l’écoute de son époque. Le grand malaise de la littérature, c’est qu’elle se fait actuellement otage des manifestations et des problèmes d’identification alors qu’on a beaucoup de chose à dire du monde et au monde qui est toujours réceptif. Il ne faut pas hésiter à répondre aux attentes du public.
3-Le terrorisme change de visage et a été traité différemment dans un grand nombre de vos romans y compris le dernier…
Il y’a un courant terrible pire que le djihadisme, c’est celui des philosophes et ntellectuels, politiques, qui essaient de stigmatiser l’Islam et les musulmans alors que notre maux suprême à tous c’est le terrorisme. Cette manipulation peut être le résultat d’un choc entre les cultures, les nations. On est voué à des théories fantaisistes, on est effrayé, c’est ça le véritable terrorisme psychologique. Autant vivre sa vie, malgré tout, foncez et ce qui doit arriver arrivera. Ne pas se plier face à cette idéologie fasciste. Il s‘agit d’un mouvement ultra puissant. D’un endoctrinement terrible derrière lequel il existe un grand lobbying.
4- Avez – vous un auteur que vous admirez ?
Je n’ai pas d’auteur qui m’inspire mais tous les auteurs m’ont construit, je leur dois tout ce que je fais, tout ce que j’écris. Il faut se nourrir de tous les courants littéraires.
5- Vous participez à un évènement majeur comme ces premières « Assises du journalisme » organisé à la cité de la culture. Il s’agit d’une occasion en or pour les journalistes de débattre…
Pas débattre, les journalistes savent exactement ce qu’ils ont à faire mais de se rassembler, de se retrouver, d’échanger, c’est bien. Il faut qu’ils retrouvent cette notoriété qu’ils ont toujours ou qu’ils avaient, qu’ils luttent à leur manière contre les courants extrêmes et les dictatures naissantes. Qu’ils soient solidaires, convaincus par leur mission, par l’apport qu’ils doivent donner pour une société meilleur. Des militants.
6-Quelle est la part de responsabilité d’un citoyen comme vous et moi ?
Un citoyen n’a pas honte d’avoir confiance. S’il s’aperçoit qu’on lui ment, il cède à la toile, qui est capable d’apporter tout ce qu’il a besoin de savoir en un simple clic. Mais le journaliste a la légitimité de l’information, il doit absolument la recouvrir cette information, sur la toile elle est chosifiée, vilipendée … ce qui provoque un ras-le-bol citoyen. J’espère que tout cet enthousiasme pour la toile va s’amenuiser. La vérité et l’authenticité retrouvent toujours leur place.
7- Mais le citoyen, comme le journaliste de nos jours est devenu acteur. Il ne relaye pas cette information sur le net mais il l’a reproduit …
C’est un figurant, il est souvent anonyme. Le citoyen n’aura jamais autant de poids face au journaliste et la presse redeviendra la force qu’elle était le jour ou elle comprendre qu’elle ne doit obéir qu’à sa propre conscience. Trump se bat tout le temps contre le « Washington Post » et ce 4 ème pouvoir, mais la Presse américaine n’a rien à craindre là-bas parce qu’elle est libre et qu’elle croit en son authenticité.
Avant d’être élue 4ème femme à la tête de la Fédération Tunisienne des Cinéclubs, Manel Souissi, médecin de formation a toujours été membre actif pendant des années au sein de cet organisme historique réputé pour son militantisme pour la diffusion d’une culture cinématographique accessible à tous les citoyens sans concession. Avec l’émergence d’un cinéclub à Hammamet, depuis 2012 et plus d’une trentaine d’autre à travers toute la Tunisie, la présidente nous livre un bilan des acquis, des travaux réalisés et nous donne un avant-gout des objectifs à atteindre.
Puisque votre actualité récente a davantage tourné autour de la 2ème édition de « Regards de femmes - Biouyounihonna », pouvez-vous nous dire comment cette initiative a vu le jour ?
Tout d’abord, il faut retenir que le festival « Regards de femmes » est le 4ème festival réalisé par la Fédération Tunisienne des Cinéclubs : le cinéma de la Paix, le festival des Courts métrages à Gabes, et un autre à Menzel Bourguiba. Pourquoi un festival ? Parce qu’au sein de la FTCC, on croit fort que ce type d’initiatives peut refléter une vision qui peut être compatible avec la diffusion de la culture cinématographique à travers les cinéclubs mais aussi les festivals et toutes les journées ciné organisés, notamment dans les régions. Des journées qui peuvent avoir un impact important dans des villes et des régions qui n’ont jamais connu le 7ème art auparavant. Ces citoyens peuvent connaitre une cohésion sociale, iront dans des endroits qu’ils n’ont pas l’habitude de fréquenter et connaitront les passionnés actifs au sein de la FTCC. Ils peuvent s’y initier et seront là également à guetter les retombés économiques grâce à ces manifestations : les jeunes auront plus de chance de travailler. Ils œuvrent pour un paysage cinématographique meilleur qui a surtout besoin d’une distribution. Puisqu’il n’y’a pas de salles de cinéma, les cinéclubs et les festivals les remplacent et serviront de plateformes de distribution de films en Tunisie ou ailleurs. Des festivals aux petits budgets et à la thématique récurrente comme la paix, la femme…
Pourquoi la femme ?
La femme parce qu’à Hammamet par exemple, tout est partie sur la discrimination : le festival repose essentiellement sur une rencontre des femmes cinéastes en Tunisie ou dans le sud de la méditerranée. Elles sont dans l’échange, rencontrent leur public et présentent leurs films. L’important est que l’œuvre soit créée par une femme peu importe la thématique traitée. En plus des formations consacrées aux enfants, les résidences d’écriture pour les jeunes cinéastes femmes dirigées par Besel Ramsis, les tables rondes pour parler d’un sujet précis. L’année dernière c’était l’écriture féminine, cette année, c’’était l’aide à la production. Une table ronde en présence de réalisateurs, de femmes cinéastes. Dire, qu’il y’a des ouvertures sur différents axes aux participants. Il faut citer aussi les statistiques qui attestent que le nombre des femmes cinéastes ou travaillant dans le domaine du cinéma est bien plus qu’inférieur aux hommes. J’ai jeté un coup d’œil sur le programme des Journées Théâtrales de Carthage, j’ai trouvé que dans chaque catégorie il n’y avait que 2 ou 3 femmes … c’est peu. Le festival valorise la place de la femme dans le secteur. La 2ème édition, on l’a aussi attaché aux « films Festival Academy » qui est une formation pour des jeunes cinéastes organisée presque en parallèle par la FTCC et qui se déroulait à Hammamet, au centre culturel de la ville sur 4 sessions. Les participants à cette formation ont pu y participer et apprendre beaucoup notamment en matière de « Branding », d’écriture, de journalisme… Ces mêmes jeunes qui conserveront ainsi en même temps la pérennité du festival.
Vous dirigez également la Fédération Tunisienne des Cinéclubs depuis un an. Un petit bilan de vos travaux accomplis s’impose …
On a opté en premier lieu pour un retour aux fondamentaux et aux cinéclubs. Les festivals par la suite, et aussi les formations. Le cinéclub de Tunis à un très bon atelier. Les autres cinéclubs tentent de lancer les leurs aussi. Je vois dans cette effervescence la naissance d’un mouvement cinématographique alternatif. Les clubs pullulent partout, à Tibar, Médenine, dans toutes les régions… ce réseau alternatif qui est accompagné, encadré … on diffuse la culture cinéma, et on accorde de l’importance aux débats, aux sorties tunisiennes inédites. Armé les spectateurs pour leur permettre d’être mieux réceptifs aux productions cinéma quelque soit son genre, son thème, son origine, et grâce aussi au maintien des formations.
Et quels sont les projets d’avenir de la Fédération ?
Cette année par exemple, on a assisté au lancement de l’initiative « Cinéma fi Houmetna » dans 26 régions. On a transporté du matériel afin de projeter des longs, courts et moyens métrages dans toute la Tunisie et dans des quartiers divers principalement les régions isolées. Les projections ont eu lieu sur les murs, dans des places publiques. L’expérience est importante et est aux cœurs des objectifs de la FTCC. On compte en faire à long terme un cinéma ambulant.
Le cinéclub Hammamet a été conçu par une équipe de jeunes dont vous, en 2012 et il poursuit ses activités depuis au centre culturel international d’Hammamet. Une programmation est – elle à l’heure du jour ?
Bien sur ! Le temps de terminer les Journées Culturelles de Carthage et les activités reprendront comme chaque année. Le cinéclub de la ville a acquis une notoriété importante, il possède son public, ses habitués. Comme elle est en manque de salle de cinéma, Hammamet doit bénéficier d’un cinéclub, d’un festival. On va vers l’ouverture de nouveau projet comme on a fait avec « Tfannen », et on a des projets prochainement avec le réseau des cinéclubs algériens. On était à Bjaïa, le réseau algérien a vu le jour dans ce cadre là. Ils ne savent pas encore si c’est une association ou un réseau. On s’est partagé notre expérience mutuellement à travers des formations. Dans un moyen terme, on assistera espérons à la naissance d’un festival itinérant entre la Tunisie et l’Algérie.
En tant que jeune femme active dans l’engagement cinématographique local, quels sont les difficultés auxquelles vous avez été confrontée ?
Je sens par moment, qu’on est toujours réticent à l’idée qu’on puisse compter sur une femme dans ce milieu, celui de l’engagement, ou du militantisme. Mais je signale que je suis volontaire, pas du tout professionnel et qu’entre les deux, ce n’est pas pareil. Le combat de la femme sur ses deux fronts n’est pas comparable.
Etes – vous toujours optimiste face à cette fuite des cerveaux et celles des jeunes talents en particulier ?
On ne reste pas indifférent face à cette fuite que je vis depuis la médecine. Je suis médecin et pendant mon cursus, on n’a pas cessé de voir les jeunes partir. De nos jours, il s’agit d’une politique, que je comprends. Je ne blâme pas ceux et celles qui partent, parce qu’en restant ici ils ne trouvent pas d’alternatifs, rien qui puisse réellement subvenir à leur attente. Y’en a qui restent, qui ne sorte pas de leur bocal : ils se résignent. La résignation que je considère comme un acte de résistance de nos jours. Il s’agit d’un concept qu’on discute beaucoup de nos jours, très récurrent d’habitude dans le domaine de la psychiatrie. C’est des épreuves qu’il faut surmonter pour instaurer de force et parfois malgré le manque de moyens, la culture des cinéclubs. Heureusement qu’il y’en a qui restent, qui s’accrochent et qui aspirent aux changements. Je reste quand même optimiste.
Comment définiriez – vous le paysage cinématographique tunisien actuel ?
On vit une renaissance ! Il y’a un mouvement important qui se créé. Une nouvelle vague de jeunes créateurs qui ne cessent d’émerger, qui innovent, qui surprennent des fois, malgré le manque de budget. On voit davantage les films d’animation : à la FIFAK par exemple, j’ai vu des créations sur l’environnement. Les jeunes sont sensibles à divers sujets internationaux. Ça fait plaisir.
La FTCC sera présente lors des prochaines JCC ?
Evidemment ! Comme chaque année. On est un partenaire historique. On va faire la présentation de tous les films retenus dans la compétition officielle et hors compétition, les 4 focus avec l’aide de nos cinéphiles venus de toute part. On les prend en charge, ils animent au retour les rencontres, les débats, les présentations. On donne cet aspect là au festival, pour qu’il ne devienne pas un marché du film. Et on travaille sur le décorticage des œuvres cinématographiques, le rapprochement entre public et réalisateurs. Etc
L’artiste tunisienne Emel Mathlouthi est revenue spécialement de New York à Tunis, le temps d’assurer un concert qu’elle donnera à l’occasion du lancement de la toute première édition des « Journées culturelles de Carthage pour les artistes tunisiens à l’Etranger », programmé pendant la soirée du 13 octobre 2018 à la Cité de la culture. Enthousiasme débordant et nouveautés se font sentir et seront au rendez-vous.
Nous assistons au lancement d’une manifestation tunisienne inédite dédiée aux « artistes tunisiens à l’étranger » et vous serez la première à ouvrir les festivités. Qu’avez –vous à nous dire sur ce festival ?
J’ai senti d’emblée qu’il y’ avait énormément d’enthousiasme derrière cette initiative de la part des initiateurs de ce festival et de l’équipe organisatrice. Ils ont dû faire face à beaucoup de difficultés et ont tenu bon. Je m’associe à eux et je les encourage vivement. Il s’agit d’une initiative noble qui vise à promouvoir les artistes tunisiens vivant à l’étranger et c’est important. Tout mon soutien aux musiciens particulièrement. Tout artiste tunisien est comme une fenêtre qui s’ouvre sur le monde : il tend à enjoliver l’image de notre pays. Des nouveautés se créent à l’échelle locale et c’est extraordinaire !
Qu’avez-vous préparé à votre public ce samedi 13 octobre 2018 pour la soirée d’ouverture ?
J’ai quand même pris mon temps, et j’ai beaucoup réfléchie en me référant au concert que j’avais donné à Carthage l’année dernière. D’ailleurs, j’ai tenu bon à revenir en Tunisie depuis, et voilà que l’occasion se présente. J’opterai pour une sorte de compilation de mes anciens morceaux. Quelques uns du moins, jusqu’à arriver aux nouveautés et à l’inédit voire jusqu’à présenter quelques morceaux de mon dernier album. Je serai accompagnée sur scène d’un quatuor à cordes. Depuis ma prestation au prix Nobel, je me suis focalisée davantage sur la rythmique, la sono, les cordes.
Les responsables des « Journées culturelles de Carthage pour les artistes tunisiens à l’étranger » vous rendront hommage lors de la cérémonie d’ouverture. En tant que jeune artistes, quelle importance peut avoir cette récompense pour vous ?
Je viens tout juste de le savoir, en effet. Je suis agréablement surprise. (rire) J’en suis honorée et touchée. On se sent comme éternellement jeune (rire). Je ne demande rien. Le plus important pour moi est d’être en Tunisie très souvent. Je ne peux pas me permettre de m’absenter. Je veux être présente lors des festivals. Revenir à la source. Dès qu’on m’offre la possibilité de me produire sur la scène de n’importe quel festival ici, je suis toujours partante avec mes musiciens.
Se produire sur scène à l’étranger ou ici, est-ce la même chose pour vous ?
Non, pas du tout. Déjà, je stresse davantage quand je suis ici (rire). Je me suis produit un peu partout, dans pas mal de concerts, mais ici, sur n’importe quelle scène, je me dois de me donner toujours plus et c’est comme si c’était ma première fois sur scène. Une sensation plaisante, déjà parce que je chantais en arabe, d’ailleurs je le fais toujours. Mon nouvel album est pour information, en préparation. J’ai déjà beaucoup chanté en arabe devant un public qui ne le comprenait pas y compris pour le public arabe qui ne comprend pas forcément le tunisien.
Qu’avez-vous à nous dire sur votre dernier album ?
Je vis depuis 4 ans aux Etats-Unis et j’ai éprouvé le besoin d’enregistrer mon dernier disque en anglais. Me surpasser tout en ayant en tête que je peux le faire. Chanter en tunisien ou en arabe est toujours une fierté mais j’ai envie de me donner dans de nouvelles expérimentations. L’album comporte 12 chansons dont 3 en arabe et les thématiques traitées concernent davantage les aspects humains. L’humanité a besoin d’empathie face à autant de malheurs dans le monde. On doit toutes et tous se sentir concerner par les réfugiés les immigrés, les guerres, les maladies … etc
Un dernier mot à dire à votre public tunisien ?
Vous m’avez tant manqué. Même si je ne suis pas souvent ici, je voudrais leur dire que je ne pourrai hélas pas l’être davantage. Je suis reconnaissante et je ne vous remercierai jamais assez pour votre soutien notamment sur les réseaux sociaux. J’essai d’interagir le plus possible et j’espère que le concert de samedi vous plaira.
Vous avez défini le théâtre dans un média étranger en citant « Il est temps de mettre fin au théâtre bourgeois », qu’est ce que vous entendez par cela ?
Grâce au théâtre, on peut changer un point de vue sur le monde. Pour le passionné, le théâtre est comme le cinéma ou la musique. Le 4 ème art devrait être plus ouvert, plus populaire. Je me réfère au concert que je chante : je me suis retrouvé dans des situations extraordinaires et dans des ambiances festives. Il y’a des gens qui viennent voir mon concert musical et qui sont mélangés, issus de tout bord : de différentes religions, cultures, des réfugiés, venant de territoires de guerre. Le théâtre est plutôt réservé à un une élite ciblée. En Europe, en tout cas, il l’est. Et pour moi le théâtre doit être ouvert aux autres, à tout le monde sans exception, et toujours plus accessible.
Votre spectacle « La Goia », « La Joie » programmé lors de la 54 ème édition du Festival international d’Hammamet, est défini comme une idée angoissante. Contrairement à ce que son titre reflète. Pouvez-vous nous en dire plus ?
La joie c’est une parole, une felcidade, c’est hippie… c’est un sentiment très profond qui se confond avec la douleur dans certaines conditions. « La joie », on peut l ‘atteindre après avoir traversé des épreuves difficiles. C’est la tragédie qui génère la joie dans des contextes inattendus et qui n’inspire que douleur et tristesse.
Est-ce qu’on peut dire que votre démarche théâtrale repose sur le questionnement plutôt quesur les discours ?
Oui, je me questionne tout le temps. Au fond, je suis une personne qui a beaucoup de capacités mais qui a aussi ces limites. Ces limites m’ont poussé à bout, m’ont montré le plus dur dans la vie et m’ont permis de me poser des questions : qu’est ce que tu fais ? Pourquoi tu fais du théâtre ? Pourquoi parler de certains sujets ? Des éléments qu’il faut remettre en cause incessamment. Et c’est toujours bien de se remettre en question.
Votre travail est très visuel et met en valeur le travail du corps …
Oui, c’est un théâtre de couleurs, de paroles, de mots, de chants, d’images, de musique. Je préfère me perdre dans mes spectacles. Il y’a un sens profond dedans : on parle de la guerre, de la vie, de la mort, de l’amour, de l’espoir, de l’amitié… de la JOIE. Et avant d’arriver à ça, tu te perds dans le rêve et dans l’imaginaire.
La scène artistique et culturelle tunisienne s’enrichit ! Une compétence s’apprête en effet à faire son grand retour. Ayant trop vécu entre deux rives, Fériel Remadi tunisienne, spécialiste en danse théâtrale et en chorégraphie décide de revenir doucement mais surement aux sources. Elle troque un vécu personnel et professionnel longuement mené en France contre un retour en Tunisie, sa terre natale, bouillonnante d’art, de culture et de nouvelles initiatives jeunes à booster. A partir du 16 décembre jusqu’au 26 décembre 2017, elle mettra au service des jeunes, son savoir-faire dans le cadre d’un projet baptisé « Boussole » et réalisé par l’association tunisienne «Tunisie paix » à Djerba. Fériel, qu’on surnomme couramment « Folla », travaillera essentiellement sur 4 axes : la confiance, le corps, la voix et l’art visuel. De quoi titiller la fibre artistique des participants dans le cadre de 8 workshops où elle les initiera également à l’écriture scénaristique d’un spectacle et à la réalisation. Rencontre !
En parcourant vos 23 ans de carrière, votre polyvalence ne laisse pas indifférent. Vous avez touché aux arts visuels, aux arts sonores, à l’expression corporelle et à l’associatif. Parlons – en histoire de nous mettre dans le bain !
C’est en France, pendant 23 ans que j’ai pu acquérir autant d’expériences qui n’ont cessé de se renouveler. Pour des raisons familiales, j’ai été plus ancré là-bas. J’ai commencé à 18 ans dans le socioculturel et mes créations ont commencé à émerger à ce moment- là. Récemment des portes se sont ouvertes en Tunisie. Je chapeaute très prochainement un projet à Djerba, celui de « Tunisie paix », section Médenine qui m’ont contacté pour prendre en charge de jeunes amateurs afin de les initier à la chorégraphie théâtrale basée sur le mouvement. Ce qui est important pour moi, c’est d’être à l’écoute et de savoir ce que les gens aiment faire, tel un chef d’orchestre qui ramène des idées et les laisse surtout s’exprimer. L’art pas pour l’art, l’art qui a une portée et qui peut être un vecteur de paix, entre autres… J’ai été emporté tôt par cette dynamique éclectique, du métissage, des différences, au moment même où j’ai entamé des études en droit que j’ai validé. A Lyon, là ou j’ai vécu, je me suis spécialisé dans le théâtre, j’ai fait de la coordination et j’ai fait aussi beaucoup de photos notamment en Egypte, à Beyrouth. Ça n’a pas été rose et encore moins facile là-bas, j’ai souffert de racisme entre autres, mais on y arrive.
Avez-vous enseigné ?
J’ai enseigné ado, adultes, enfants. J’ai travaillé l’encrage du corps avec des autistes et des parkinsoniens, et des gens plus âgés. M. Paul Bocuse a fait appel moi. Et le fait d’être bilingue m’a beaucoup aidé. Je suis fédératrice de bonne énergie avant tout en continuant à me développer.
Et en quoi consiste votre apport à la Tunisie ?
La tentative, c’est d’essayer de montrer ce que j’ai accompli pendant toutes ces années à la Tunisie parce que ça me manque terriblement. Il y’a des perspectives à saisir à Tunis et je prévois de revisiter les régions, de les ré-exploiter à travers le vecteur artistique et je retravaillerai sur la notion « du bien et du mal » pure et dure à la « Matrix », à travers le personnage d’un « papillon ».
Il s’agit là d’un retour sur votre dernière création « Butterfly destiny », réalisée en 2012 ?
Je l’avais écrite et travaillée en 2012 avec un irakien. A un moment donné, on a juste traité la question du « paradis et de l’enfer ». Je ne l’ai pas totalement accompli, j’ai eu à réaliser d’autres créations par la suite, à propos de ma cuisine, où j’ai fait une performance en cuisine sur place pour retravailler sur la notion de l’attention : une femme confinée dans sa cuisine, capable de gérer plusieurs tâches à la fois et réalisée toujours en danse théâtralisée sous la forme de plusieurs tableaux où j’intègre la voix. Puisque je suis en contact direct avec le public, le tout doit être chorégraphié, super fixé. J’aime toujours laissé une petite touche d’improvisation.
Vous travaillez souvent en solo ?
Souvent, oui ! Et ce n’est pas un choix. C’est juste parce que soit on m’appelle pour diriger des projets de 45 acteurs ou pour coordonner un groupe de jeunes. Mais je suis « moi – même » plusieurs fois sur scène. Il y’a mille et une Fériel qui vont sortir sur scène. Je suis bien dans ça. Je me comprends.
En quoi se résume votre engagement associatif ?
Il se repose sur la notion de l’ascétisme et de la paix. Le vecteur de la paix est essentiel à la dynamique de mon association « la compagnie Folla » lancée en 2001 et forte de son métissage culturelle, des cultures minoritaires et des outils artistiques. Je suis porteuse de projet. Je donne de l’importance à tout ce qui est coopérative. Ce qui compte pour moi, c’est que les personnes qui bossent avec moi se sentent bien. Je n’ai jamais voulu faire une carrière fulgurante. L’important pour moi a toujours été de se sentir bien avec les autres. Et ça créée une reconnaissance sur la durée.
La Tunisie sera – elle satisfaisante d’après vous ?
La demande y ‘est, l’accueil aussi ! En Tunisie, en même temps, j’aime cette mise à l’épreuve, d’être comme les autres, je suis une observatrice artistique. Dès le départ, j’ai galéré ici, je n’arrêtais pas de courir dans tous les sens. Loin de cette bulle de confort. Mais je suis une « challengeuse ». Je n’ai pas de hautes idées mais je n’ai que des idées hautes, « des idéaux ». En mars dernier c’était un élément déclencheur, lorsque je me suis senti « embourgeoisée », tout me paraissait à porter de main. Et il fallait que ça s’arrête ! Mon existence devenait carrée et il fallait que ça cesse. Il est temps de partir vers de nouveaux horizons.